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(a) de la naïveté du récit, & du foin que l'on prend d'en exclure tout ce qui feroit fuperflu. (b)

Du refte, il pardonne au Poête des négligences, pourvu qu'elles foient en petit nombre & rachetées par de grandes beautés. Il y a même en Poéfie, comme en Peinture, un genre qui vu de loin produit fon effet, quoiqu'il n'ait pas la correction des détails; mais ce qui eft fini a l'avantage de pouvoir être vu de près, toujours avec un plaifir nouveau. (c)

La conclufion d'Horace eft que la Poéfie n'admet point de talens médiocres. (d)

Encore eft-ce peu du talent, ce don précieux de la Nature, fi le travail ne le développe, fi l'étude ne le nourrit, fi des amis judicieux & féveres ne le corrigent en l'éclairant ; fi le Poête enfin ne fe donne à lui-même le temps d'oublier, de revoir, de retoucher fes ouvrages avant de les exposer au jour. (e)

(a) Fita voluptatis caufâ fint proxima veri.
(b) Omne Supervacuum pleno de pectore manat.
(c) Hæc placuit femel, hæc decies repetita placebit.
(d) Mediocribus effe Poetis

Non homines, non di, non conceffere columnæ.

(e) Membranis intùs pofitis delere licebit Quod non edideris : nescit vox missa reverti.

On ne fauroit donner des préceptes généraux ni plus folides ni plus lumineux; mais cet ouvrage eft un résultat d'études élémentaires, par lefquelles il faut avoir paffé pour le méditer avec fruit: il les fuppofe & n'y peut fuppléer.

Defpréaux applique à la Poéfie françoife les préceptes d'Horace fur la compofition & le ftyle. en général, & il y ajoute en les développant. Il veut que la rime obéiffe & que la raifon ne lui cede jamais; qu'on évite les détails inutiles & l'ennuyeuse monotonie, le style bas & le style ampoulé

» Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.

..... כך

Soyez fimple avec art,

» Sublime fans orgueil, agréable fans fard.

Il recommande l'exactitude, la clarté, le refpect pour la langue, & la fidélité aux regles de la cadence & de l'harmonie : préceptes dont il donne l'exemple.

Horace a peint en un feul vers la beauté du ftyle poétique :

Vehemens liquidus, puroque fimillimus amni.

Defpréaux qui ne le confidere que par rapport à l'élégance & à la pureté, a pris une image plus humble.

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» J'aime mieux un ruiffeau qui fur la molle arene,
→ Dans un pré plein de fleurs, lentement se promene,

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Qu'un torrent débordé qui d'un cours orageux,

» Roule plein de gravier fur un terrein fangeux.

Il définit les divers genres de Poéfie, à commencer par les petits Poêmes ; & la plupart de ces définitions font elles-mêmes des modeles du ftyle, du ton, du coloris qui conviennent à leur objet.

Les préceptes qui regardent la Tragédie font tracés d'après Ariftote & Horace. La regle des trois unités & la défense de laiffer jamais la fcene vuide, font renfermées en deux vers admirables.

» Qu'en un lieu, qu'en un jour, un feul fait accompli » Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.

On y voit l'unité de lieu prefcrite, à l'égal de l'unité de temps & d'action: regle nouvelle que les Anciens ne nous avoient point impofée, & qu'on n'eft pas obligé d'obferver à la rigueur.

Après avoir rappellé l'origine & les progrès de la Tragédie dans la Grece, il la reprend au fortir des ténebres de la barbarie, & telle qu'on la vit paroître fur nos premiers théâtres fans goût, fans génie & fans art; & il la

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conduit jufqu'aux beaux jours des Corneilles & des Racines. Il confeille aux Poêtes d'y employer l'amour,

» De cette paffion la fenfible peinture

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pour aller au cœur la route la plus fûre.

ce qui ne doit pas être pris à la lettre, car les fentimens de la nature font plus touchants que. ceux de l'amour; & il n'y a point fur le théâtre d'amante qui nous intéreffe au degré de Mérope.

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Il ajoute :

Et que l'amour fouvent de remords combattu,

» Y foit une foibleffe & non une vertu.

regle qui n'est point exclufive; car un amour vertueux & facré peut être dans le malheur auffi douloureux qu'un amour criminel; & le cœur des amants est déchiré de tant de manieres, que pour arracher des larmes ils n'ont pas befoin

du fecours des remords.

Horace eft admirable quand il enseigne à obferver les mœurs & à les rendre avec vérité; Defpréaux l'imite & l'égale. Il termine les regles de la Tragédie par le caractere du génie même qui lui convient.

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Q'il foit aifé, folide, agréable, profond;

Qu'en nobles fentimens il foit toujours fécond.

On diroit que c'est le génie de Racine qu'il vient de peindre.

L'Épopée differe de la Tragédie par son étendue, & par l'usage du merveilleux qui en eft l'ame. Ce Poême, dit Defpréaux,

» Dans le vaste récit d'une longue action, » Se foutient par la fable & vit de fiction.

Il se moque du vain fcrupule de ceux qui ont voulu bannir la Fable de la Poéfie françoife, mais il condamne le mêlange du merveilleux de la Fable & de celui de la Religion, il défapprouve même l'emploi de celui-ci quoique fans mêlange:

Et fabuleux Chrétiens, n'allons pas dans nos fonges,
D'un Dieu de vérité faire un Dieu de menfonges.

maxime qui n'exclut pas une fiction prise dans la vérité même, & qui n'en eft que l'extenfion.

Defpréaux veut pour l'Épopée un héros recommandable par fa valeur & par fes vertus: que le fujet ne foit point trop chargé d'incidens; que la narration foit vive & preffée; que les détails en foient intéreffants & nobles, mêlés de grace & de majefté.

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