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Après avoir établi les regles de la Tragédie, il les applique à l'Épopée. La Fable en doit être dramatique & renfermée dans une feule action. Il fait voir dans les deux Poêmes d'Homere l'ordonnance même de la Tragédie. L'Epopée, dit-il ne differe de la Tragédie que par fon étendue & par la forme des vers. Il compare les deux genres, & donne la préférence à la Tragédie, parce qu'elle a pour elle l'évidence de l'action & qu'avec plus d'unité & moins d'étendue, elle produit mieux fon effet.

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Ces préceptes ont coûté des peines infinies a éclaircir & à concilier. A peine la foule des Commentateurs y a-t-elle compris quelque chofe. Il ne falloit pas moins que des favans comme Caftelvetro & Dacier, & un génie comme Corneille pour y répandre la clarté; encore arrive-t-il fouvent, & dans les points les plus effentiels, que Caftelvetro n'eft point d'accord avec Dacier, ni Dacier avec Corneille, ni celuici avec Ariftote, ni Ariftote avec lui-même. Par exemple, de tous les incidens qui produisent la révolution, le plus théâttal, dit ce Philofophe, eft la reconnoiffance qui empêche d'exécuter le crime, & qui par conféquent change heureusement la face des chofes ; cependant de toutes

les catastrophes, la plus tragique à fon avis, eft celle qui termine l'action par le malheur du perfonnage intéreffant. Or comment d'une révolution favorable peut-il naître un dénouement funefte? Si le crime n'eft pas confommé, comment le malheur peut-il l'être? comment concilier dans la même Fable la révolution de Mérope & le dénouément d'Edipe? Voilà donc Ariftote en oppofition avec lui-même ; il l'est auffi avec Corneille, & Corneille avec Dacier, car Dacier fe fait une loi d'être de l'avis d'Ariftote. Caftelvetro n'a pas le même respect; mais s'il a quelquefois raifon de contredire fon Auteur, il arrive auffi quelquefois qu'il a tort, & j'en citerois plus d'un exemple.

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Du choc de fes opinions, la lumiere n'a pu manquer de naître, & dépuis Corneille & Dacier, l'art de la Tragedie & de l'Epopée a été fi bien difcuté, qu'on a vu à peu près tout ce qu'on y peut voir; mais c'est le résultat de ces difcuffions que l'on n'a point donné encore.

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Horace, dans fon Art Poétique, parle de la Poéfie en Poête, en Philosophe, en homme de goût & de génie. Il veut que le Poême foit homogene; que les parties qui le compofent fe conviennent & foient d'accord; qu'elles foient

proportionnées, & qu'on y évite les ornemens fuperflus & mal afsortis. (a)

Que le Poête foit en état de traiter, nonfeulement telle ou telle partie, mais toutes les parties de fon ouvrage ; qu'il fache les finir & les mettre d'accord; qu'il choififfe un fujet proportionné à fes forces, & qu'il s'en pénetre en le méditant; (b) qu'il diftribue fon fujet avec intelligence & avec fageffe ; qu'il choififfe avec goût ce qui peut intéreffer, & rejette ce qui peut déplaire. (c)

Il diftingue les genres de Poéfie par les différentes efpeces de vers: il fait fentir les convenances à obferver entre le fujet & le ftyle. (d) Il exige non feulement qu'un Poême foit beau, mais de cette beauté qui touche, perfuade, attire. (e)

Dans la conduite qu'on fait tenir à fes per

(a) Denique fit quodvis fimplex dumtaxat & unum. (b) Cui lecta potenter erit res,

Nec facundia deferet hunc, nec lucidus ordo.
(c) Et jam nunc dicat jam nunc debentia dici :

Hoc amet; hoc fpernat.

(d) Defcriptas fervare vices operumque colores. (e) Et quocumque volent animum auditoris agunto.

fonnages,

Tonnages, on doit fuivre, dit-il, l'opinion, ou observer les vraisemblances ; & celles-ci dépendent de l'analogie & de l'accord des qualités qui compofent un caractere. (a)

Non-feulement ces qualités doivent être d'accord entr'elles, mais relatives à la fortune, à l'âge, à la condition, à toutes les circonstances. qui peuvent influer fur les mœurs.

Horace fait obferver toutes ces nuances; mais c'eft furtout dans la defcription des mœurs qui diftinguent les differents âges de la vie, que l'on reconnoît le Philofophe attentif à obferver la Nature. (b)

Scaliger ajoute encore aux leçons du Poête fur les mœurs, & je profiterai dans la fuite des lumieres de l'un & de l'autre.

Dans la compofition de la Fable, Horace nous affranchit des liens d'une imitation timide. Ofez feindre, nous dit-il, mais que la fiction se concilie avec la vérité, & s'y mêle fi naturellement, qu'on ne s'apperçoive pas du mêlange; (c) que le début du Poême foit modefte, &

(a) Sevetur ad imum.

Qualis ab incepto procefferit, & fibi conftet.

(b) Mobilibufque decor naturis dandus & annis.
(c) Primo ne medium, medio ne difcrepet imum.

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que l'action n'en foit pas prife de trop loin; que fur le théâtre on ne présente aux yeux rien de révoltant ni rien d'impoffible; que la piece n'ait pas moins de trois actes ni plus de cinq; qu'il n'y ait jamais en scene plus de trois interlocuteurs; que le chœur s'intéreffe à l'action dont il eft témoin ami des bons ennemi des méchants; qu'on n'emploie jamais de machine poftiche, & s'il fe mêle dans l'action quelque incident merveilleux, qu'elle en foit digne par fon importance; que le ftyle de la Tragédie foit grave & févere; mais que dans le comique, l'aifance & le naturel de la compofition faffent dire à chacun, que rien au monde n'étoit plus facile (a).

Après avoir réfumé fes préceptes, Horace recommande aux Poêtes l'étude de la Philofophie & des mœurs. Il diftingue dans la Poéfie deux effets, l'agrément & l'utilité, quelquefois féparés, fouvent réunis. (b) Mais l'agrément de la fiction dépend de l'air de vérité qu'on lui donne

(a) Ex noto fictum carmen fequar, ut fibi quivis Speret idem; fudet multum, fruftraque laboret Aufus idem.

(b) Aut prodeffe volunt, aut delectare Poétæ, Aut fimul & jucunda & idonea dicere vita.

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