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de parer fon langage, lui répugne. Peindre comme on voit, s'exprimer comme on fent avec le moins de mots & le plus de force qu'il eft poffible, voilà le ftyle auftere & grave il ne brille que de fa beauté.

La douceur & l'harmonie du ftyle font des modes indépendants de la pensée ; ils tiennent au méchanisme de la langue : nous allons bien-. tôt nous en occuper. Mais ce que l'élocution reçoit de la penfée, ce font les mouvemens & Fes tours.

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Montagne a dit de l'ame"
a dit de l'ame “l'agitation eft fa

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vie & fa grace.,, Il en eft de même du ftyle encore eft-ce peu qu'il foit en mouvement, fi ce mouvement n'est pas analogue à celui de l'ame; & c'eft ici que l'on va sentir la jufteffe de la comparaifon de Lucien, qui veut que le ftyle & la chofe comme le cavalier & le cheval, ne faffent qu'un & fè meu-. vent ensemble. Ces tours qui expriment l'action de l'ame, font ce que les Rhéteurs ont appellé figures de penfée. Or l'action de l'ame peut fe concevoir fous l'image des directions que fuit le mouvement des corps. Que l'on me paffe la comparaison; une analyfe plus abftraite ne feroit pas auffi fenfible.

Qu l'ame s'éleve ou elle s'abaiffe, ou elle

s'élance en avant, ou elle recule fur elle-même, ou ne fachant auquel de fes mouvemens obéir 2 elle penche de tous les côtés, chancelante & irréfolue ou dans une agitation plus violente encore, & de tous fens, retenue par les obftacles, elle fe roule en tourbillon comme un globe de feu fur fon axe.

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Au mouvement de l'ame qui s'éleve, répondent tous les transports d'admiration, de ravif sement, d'enthousiasme, l'exclamation, l'impréçation, les vœux ardents & paffionnés, la révolte. contre le ciel, l'indignation contre la foibleffe & les vices de notre nature. Au mouvement de Fame qui s'abaiffe, répondent les plaintes, les humbles prieres, le découragement, le repentir 2 tout ce qui implore grace ou pitié. Au mouve ment de l'ame qui s'élance en avant & hors d'elle-même, répondent le defir impatient, l'inf tance vive & redoublée, le reproche, la mena¬ ce, l'iufulte, la colere & l'indignation, la réfo lution & l'audace tous les actes d'une volonté ferme & décidée, impétueufe & violente, foit qu'elle lutte contre les obftacles, foit qu'elle faffe obftacle elle-même à des mouvemens op pofés. Au retour de l'ame fur elle-même, répondent la furprise mêlée d'effroi, la répugnance & la honte, l'épouvante & le remords, tout ce qui

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eprime ou renverse la réfolution, le penchant, l'impulfion de la volonté. A la fituation de l'ame qui chancele, répondent le doute, l'irrésolution, l'inquiétude & la perplexité, le balancement des idées & le combat des fentimens. Les révolu tions rapides que l'ame éprouve au dedans d'ellemême lorfqu'elle fermente & bouillonne, font un compofé de ces mouvemens divers, interrompus dans tous les points.

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Souvent plus libre & plus tranquille, au, moins en apparence, elle s'obferve fe poffede & modere ses mouvemens. A cette fitnation de l'ame appartiennent les détours, les allufions, les réticences du ftyle fin, délicat, ironique, l'artifice & le manege d'une éloquence infinuante, les mouvemens retenus d'une ame qui fe dompte elle-même, & d'une paffion violente qui n'a pas encore fecoué le frein.

Rien n'eft plus difficile à définir que les graces Celles du ftyle confiftent dans l'aifance, la fou pleffe, la variété de ses mouvemens, & dans le paffage naturel & facile de l'un à l'autre. Voulezvous en avoir une idée fenfible? appliquez à la Poéfie ce que M. Watelet dit de la Peinture. « Les mouvemens de l'ame des enfans font

fimples, leurs membres dociles & fouples. I réfulte de ces qualités une unité d'action &

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» une franchise qui plait.... La fimplicité & la » franchise des mouvemens de l'ame contri» buent tellement à produire les graces, que les » paffions indécises ou trop compliquées les font » rarement naître. La naïveté la curiofité » ingénue, le defir de plaire, la joie fpontanée, »le regret, les plaintes & les larmes même » qu'occafionne un objet chéri, font susceptibles » des graces, parce que tous ces mouvemens » font fimples. » Mettez le langage à la place de la perfonne, croyez entendre au lieu de voir, & cet ingénieux Auteur aura défini les graces du ftyle. Du refte, il ne faut pas confondre le gracieux & le plaifant: rien au monLe Taffe. de n'eft plus oppofé. Da cagione oppofiti nafcono il rifo, è gratiofe.

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Les mouvemens fe varient d'eux-mêmes dans le ftyle paffionné, lorfqu'on eft dans l'illufion & qu'on s'abandonne à la Nature: alors ces figu res, qui font fi froides quand on les a recherchées, la répétition, la gradation, l'accumulation,

c. fe préfentent naturellement avec toute la chaleur de la paffion qui les produit. Le talent de les employer à propos n'eft done que le talent de fe pénétrer des affections que l'on exprime: l'art ne peut fuppléer à cette illufion; c'est par elle qu'on eft en état d'observer la génération

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la gradation, le mélange des fentimens, & que dans l'efpece de combat qu'ils fe livrent, on fait donner tour à tour l'avantage à celui qui doit dominer. Ce n'est que dans l'illufion qu'on imite bien ce défordre, ce renversement des idées qui eft quelquefois fi naturel. Ctefias fait écrire à une Femme Scythe par un jeune Perfan, qui lui ayant fauvé la vie & rendu la liberté, mouroit de douleur de n'avoir pu lui plaire: "Je vous ai sauvé la vie, & je viens de mourir pour » vous. On a trouvé l'expreffion fauffe. Mais dans quel moment croit parler celui qui écrit? Ne fent-on pas que c'eft dans le moment où fa lettre sera lue? Il voit celle qu'il aime lifant fes adieux, & lorfqu'elle lit il n'eft plus. Je viens de mourir eft donc très naturel & d'une imagination fortement affectée.

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A l'égard du ftyle épique, au défaut de ces mouvemens, il eft animé par un autre artifice & varié d'autres moyens.

par

Une idée à mon gré bien naturelle bien ingénieufe, & bien favorable aux Poêtes, a été celle d'attribuer une ame à tout ce qui donnoit quelque figne de vie : j'appelle figne de vie l'action, la végétation, & en général l'apparence du fentiment. L'action eft ce mouvement inné qui n'a point de caufe étrangere connue, & dont

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