Page images
PDF
EPUB

Våguement. C'est - là cependant qu'il feroit beau de concilier le précieux de la vérité avec la décence du style ; mais cet Art, c'est l'étude & l'exercice qui le donnent ; secondés du talent fans

. lequel l'exemple eft infructueux & le travail même inutile.

On demande pourquoi il est des Auteurs dont le style a moins vieilli que celui de leurs contemporains. En voici la cáuse : il est rare que l'usage retranche d'une langue les termes qui réunissent l'harmonie ; le coloris ; & la clarté.

; Quoique bizarre dans les décisions, l'usage ne Jaiffe

pas de prendre assez souvent conseil de l'esprit, & sar - tout de l'oreille : on peut donc compter assez sur le pouvoir du sentiment & de la raison pour garantir , qu'à mérite égal , celui des Poêtes qui dans le choix des termes aura le plus d'égard à la clarté , ai coloris , à l'harmo: nie , fera celui qui vieillira le moins.

Un fort oppofé attend ces Ecrivains qui s'em pressent à faifir les mots dès qu'ils viennent d'ém €loire & avant même qu'ils soient reçiš. Ces mots que Labruyere appelle aventuriers font d'abord quelque fortune dans le monde , & qui s'éclipsent au bout de fix mois ; font dans la style , comme dans les tableaux , ces couleurs brillantes & fragiles , qui après nous avoir séduits

[ocr errors]
[ocr errors]

qui

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

quelque temps , noircissent & font une tache. " Le secret de Pascal est d'avoir bien choifi ses couleurs.

Le Didionnaire d'un Poête , ce sont les Poêtes eux-mêmes, les Historiens & les Orateurs qui ont excellé dans l'art d'écrire. C'est là qu'il doit étudier les finesses, les délicatesses , les richesses de la langue ; non pas à mesure qu'il en a besoin, mais avant de prendre la plume ; non pas pour se faire un style des débris de leurs phrases & de leurs vers mutilés, mais pour faifir avec précision le sens des termes & leurs rapports,

leur

oppofition , leur analogie , leur cara&ere & leurs nuances, l'étendue & les limites des idées qu'on y attache , l'art de les placer , de les combiner , de les faire valoir l'un par l'autre; en un mot , d'en former un tissu , où la Nature vienne se peindre , comme sur la toile sans que l'Art paroisse y avoir mis la main. Pour cela, je le répete, ce n'est pas assez d'une le&ure indolente & superficielle , il faut une étude sérieuse & profondément réfléchie. Cette étude seroit pénible autant qu'ennuyeuse fi elle étoit isolée ; mais en étudiant les modeles on étudie tout l'Art à la fois , & ce qu'il a de fec & d'abstrait s'apprend fans' qu'on s'en apperçoive , dans le temps même qu’on admire ce qu'il a de plus ravissant.

[ocr errors]
[ocr errors]

Le style change de modes selon les genres de Poéfie ; nous l'allons voir en les parcourant. Ici je me, borne à donner une idée de ces qualités accidentelles du style que j'appelle modes.

On distingue d'abord trois tons ou degrés dans le style : l’humble , le sublime & lė tempéré.

Ces caracteres lui font donnés, moins par les mots que par les choses ; mais , quoiqu'il y ait mille façons de parler communes aux trois modes que je vais définir , il y en a mille aufli qui conviennent à l'un mieux qu'à l'autre, Suppofons la même chose d'exprimer : ce qui dans la bouche d’un komme affligé feroit l'expression la plus naturelle , paroîtra foible. & nu dans le style du-Poête; & ce qui dans le récit tranquille du Poête fait une grace , une beauté de style , feroit trop recherché , trop flewi dans les plaintes d'un homme affligé. Andromaque & Homere ne doivent pas raconter de même le combat d'Achille & d'He&or. Voyez dans Mérope combien le récit d'Egiste est simple & modeste , combien celui de la mort de Poliphonte est élevé. L'un est dans la bouche d'un héros, mais d'un héros inconnu à lui - même, accusé, chargé de fers , interrogé comme un vil criminel ; l'autre est dans la bouche d'un simple confident, mais

[ocr errors]
[ocr errors]

dans l'enthousiasme de la joie & dans ces moi vemens de l'ame qui font les hommes éloquents.

Le style humble est de tous les genres & il n'exclut pas la nobleffe. C'est le langage naturel des passions qui nous abattent : c'est ainsi que s'expriment l'innocence craințive & la verțu dans

le malheur. Horat. Telephus. Ega Peleus, cum pauper exul uterque. Il est fimple , négligé , timide ;

il ne rechers che aucune parure ; il ne connoît que les fleurs,

; des champs, celles qui naisseut d'elles-mêmes , & que l'on peut cueillir en chemin. Mais qu’on, y prenne garde, la négligence du stylę n'est rien moins que l'incorredion, J'entends louer quelquefois des fautes que l'on érige en graecs ; vain préjugé : dès qu'on parle une langue , ili faut s'en imposer les loix. Il est aussi indispenfable , dans le fyftêmę. de la Poésie, de s'expriz. mer correctement , qu'il l'eft en Musique de chanter justę. La négligence qui fait une grace de style est donc celle des ornemens & non pas, celle des regles. Une licence légere eit une. légere faute, qui peut être aisément rachetée ; mais la preuve que c'est une tache, c'est le besoin de l'effacer par un agrément de plus, à l'ombre duquel on permet qu'elle palle.

Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis offendar Horan

maculis (a). C'est ainfi que pense le. Public judicieux ;; mais son indulgence éclairée dissimule une faute sans l'autoriser; & de ce qu'on applaudit les beaux vers de Racine, avec les incorrections qu'on y a observées, il ne s'ensuit pas que ces incorrections. foient un privilege de la Poélie, comme on a voulu nous le faire entendre..

Ce qu'on appelle le style füblime appartient: aux grands objets, à l'essor le plus élevé des. sentimens & des idées. Que l'expression réponde: à la hauteur de la pensée , elle en a la fubli

. mité. Supposez donc aux pensées un haut degré d'élévation : fi l'expression est juste, le style est fublime. Si le mot le plus fimple est aussi le plus. clair & le plus sensible , le sublime sera dans la: fimplicité: fi le terme figuré embrasse mieux l'i-. dée & la présente plus vivement, le sublime sera dans l'image. « Tcut étoit Dicu excepté Dieu Boffue ti. même »: voilà le sublime dans le simple. « L'Uni- Idem, vers alloit s'enfonçant dans les tenebres de l'idolâtrie

»

voilà le sublime dans le figuré. Le rôle de Cornélie & celui de Joad font dans

:

[ocr errors]

(2) Dans des yers remplis de beautés Je pardonne aisément quelques taches légeres.

« PreviousContinue »