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l'expreffion réponde exactement à la pensée, elle eft claire & précise à la fois. Tout ce qui n'ajoute pas à la lumiere de l'idée ou à la chaleur du fentiment, l'intercepte ou la diffipe; & plus l'image eft ramaffée, plus l'impreffion en eft vive & diftincte.

Un écueil plus dangereux pour la précision, c'eft la féchereffe; mais émonder un bel arbre, ce n'eft pas le mutiler le mutiler; c'eft le délivrer d'un

poids inutile:

Ramos compefce fluentes.

: Voilà l'image de la précifion. Que l'on
effaye de retrancher un feul mot de ces Vers
de Corneille.

Rome, fi tu te plains que c'est là te trahir,
Fais-toi des ennemis que je puisse haït.

regrets !ô respects! Ah qu'il eft doux de plaindre Le fort d'un ennemi quand il n'eft plus à craindre ! On voit par-là que la précifion, loin d'être ennemie de la facilité, en eft la

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compagne fidelle. Un vers où tous les mots font appellés par la pensée & placés naturellement femble être né au bout de la plume; un vers où des incidens inutiles viennent de force remplir la mefure, annonce la gêne & le besoin.

Je fais que rien n'eft moins facile que de soncilier ainfi la précifion & la facilité; mais

Art fé cache

comme le ver-à-foie, fous le

tiffu qu'il a formé.

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La précifion, comme on doit l'entendre, n'exclut ni la richeffe, ni l'élégance du ftyle, Voyez dans un deffein de Bouchardon ce trait qui décrit la figure d'une belle femme; il est auffi moelleux qu'il eft pur il fuit dans fes douces inflexions tous les contours de la Nature, & l'œil y trouve réunies Fexactitude & la liberté la correction, la force & la grace. Telle eft encore la précifion. Elle exclut des beautés fans doute, mais, des beautés étrangeres, ou nuifibles à l'effet que l'on fe propose. La précifion du ftyle du Poête n'eft pas la précifion du style du Philosophe ou de l'Historien : le principe en est le même; favoir, de tendre à fon but par la voie la plus directe; mais le style philofophique a pour but d'enseigner la vérité; l'hiftorique, de la tranfmettre; le poétique, de l'embellir. Tout ce qui rend l'idée. plus lumineufe, l'image plus vive ou plus touchante, le fentiment plus naïf, la paffion plus énergique; tout ce qui ajoute à la perfuafion, à l'illufion aux moyens de féduire & au plaifir d'être féduit n'eft donc pas moins effentiel au ftyle du Philofophe ou de l'Hiftorien; ce qui nous éclaire fur la nature des

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TENSE

FILOLOSTA

$.BLICK

MADRID

chofes ou fur la vérité des faits. Mais com ment accorder la précifion avec l'hyperbole fi familiere en Poêfie? Lafontaine va nous l'ap-. prendre. S'il peint la guerre des vautours,

Il plut du fang (dit il) je n'exagere point.

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Et en effet il me femble ne pas croire exagérer, quoiqu'il ajoute :

Et fur fon roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à fa peine.

L'hyperbole ne doit être fenfible que pour celui qui écoute, & jamais pour celui qui parle voilà fa regle. Toutes les fois que l'expreffion dit plus que l'on ne doit penfer naturellement, elle eft fauffe; elle eft jufte toutes, tes fois qu'elle n'excede pas l'idée qu'on a, ou qu'on peut avoir. C'eft dans cette vérité relative confifte la précifion de Phyperbole

que

même. Ce qu'on a répété cent fois qu'elle dit plus pour ne pas dire moins (a), qu'elle vife plus haut que le but pour y atteindre tout cela, dis-je fe réduit à ce principe invariable , Que chacun doit parler d'après fa pensée, & peindre les chofes comme il les voit. Celui qui foupiroit de voir Louis XIV trop

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(a) Extrà fidem non extra modum. Quintil,

& qui difoit pour

l'étroit dans le Louvre, &

fa raifon :

Une fi grande Majefté

A trop peu de toute la rerre ;

le penfoit-il? pouvoit - il le penfer ? C'est la pierre de touche de l'hyperbole,

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Le Poête qui fait gloire de préférer une expreffion laconique mais froide & feche & fans couleur à une expreffion moins ferrée mais revêtue d'éclat & de grace, tombe dans Fexcès oppofé, & manque à la fois de goût & de fens. N'eft-ce que pour parler à l'efprit qu'il eft Poête? la richeffe le coloris, l'élégance du ftylé poétique en font lä

parure.

Il n'y a que les chofes dont la fimplicité fait le charme ou dont la beauté naturelle eft au deffus des ornemens, qui gagnent, fi je l'ofe dire, à fe laiffer voir toutes nues ; & c'est la réponse à la critique qu'on a faite du ftyle enchanteur de Quinaut.

«On reproche à Quinaut la foibleffe de fes 2 vers (dit M. Racine le fils), parce qu'en » effet, quoique fécond en fentiment & fou » vent heureux en penfées, il ne s'éleve pref

que jamais par l'expreffion. Je n'examine » point s'il auroit dû s'élever davantage (pour a fuit M. Racine) & fi les vers faits pous

» être mis en chant doivent avoir une certaine

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la

molleffe. Je me contente d'observer que » verfification de Quinaur, pleine de fenti» mens eft prefque toujours dépouillée d'ima »ges.. Il fait dire au vieux Égée, qui fe flatte » que fes victoires doivent cacher fa vieilleffe » aux yeux de ce ce qu'il aime :

Je ne fuis plus au temps d'une aimable jeunesse » Mais je suis Roi, belle Princesse,

"Et Roi victorieux »

«Mithridate, plein de cette même idée, la » rend par ces images ..

Jufqu'ici la fortune & la victoire même

→ Cachoient mes cheveux blancs. fous trente diadêmes »

Le eritique auroit pu fe fouvenir que cette même idee eft rendue auffi dans Quinaur par une image affez belle.

Faites grace à mon âge en faveur de ma gloire :
La vieilleffe fied bien fur un front couronné,
Lorfqu'on y voit briller l'éclat de la victoire.

Il auroit pu fe rappeller auffi que dans les cho Les dont l'expreffion fimple n'est pas affez rele vée, Quinaut fait, comme Racine, employer le ftyle figuré. Quant aux chofes de fentiment, il me ferait facile de prouver, par l'exemple de Racine lui-même, qu'elles n'en font que plus, touchantes dans leur noble fimplicité. Il en eft

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