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Commençons par les qualités habituelles. La premiere eft la clarté.

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Avant d'écrire, il faut fe bien entendre & fe propofer d'être bien entendu. On croiroit ces deux régles inutiles à prefcrire, rien n'eft plus commun cependant que de les voir négliger. On prend la plume avant que d'avoir démêlé le fil de fes idées', & leur confufion fe répand dans le ftyle. On laiffe du vague & du louche dans la pensée, & l'expreffion s'en reffent.

Dans le ftyle figuré, la clarté dépend de la transparence des images ; & nous allons bientôt examiner d'où vient qu'une image eft claire ou qu'elle ne l'eft pas. Il ne s'agit ici que du ftyle fimple.

Les termes vagues qui ne préfentent à l'efprit aucune idée nette & diftincte, font les plus incompatibles de tous avec le ftyle poétique : on y a recours dans la ftérilité, & alors le style n'eft pas obfcur, il eft vuide. C'est un van bruit qui frappe l'oreille & qui ne fait paffer dans l'ame ni lumiere, ni fentiment.

L'obfcurité réelle vient de l'indécifion ou de la confufion des rapports, & c'est de tous les vices du ftyle le plus inexcufable, au moins dans notre langue.

Il n'y a point de langue qui quelquefois ne

manque à la pensée, mais fi la nôtre n'a pas de quoi tout exprimer avec la même grace & la même force, il n'eft rien, j'ofe le dire, qu'elle ne rende avec clarté. J'avoue qu'elle a des équivoques inévitables, & qui veut chicaner en trouve mille dans l'ouvrage le mieux écrit. Mais, comme Lamotte l'a très bien observé, il n'y a que l'équivoque de bonne foi qui foit vicieufe dans, le ftyle. Toutes les fois que la fignification ou le jufte rapport des termes eft évidemment décidé par le fens, il n'y a plus d'équivoque, & fi nos déclinaifons ce font pas affez variées par les articles, pour indiquer des rapports éloignés, & concilier avec la clarté les inverfions des langues anciennes, nous avons pour y fuppléer une conftruction naturelle & facile, qui ne laiffera jamais d'obfcurité dans le fens , pourvu qu'on

ait foin d'éviter les doubles relations & l'ambiguité du régime. On ne doit donc pas s'inquiéter des critiques vaines & futiles qui tombent fur nos homonimes & fur l'équivoque de nos pronoms. « Les beaux Efprits veulent trouver » obfcur ce qui ne l'eft point » ( dit la Bruyere ); mais les bons Efprits trouvent clair ce qui eft clair, & pour eux il est aisé de lever l'équivoque des termes. Il n'y a pas dans Racine un feul vers dont l'intelligence coûte au Lecteur un moment de réflexion.

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pas

Il n'eft moins facile d'éviter dans la contexture du ftyle, les incidens compliqués qui ettent de la confufion dans les périodes & du trouble dans les efprits. Pour cela il fuffit de répandre fes idées à mefure qu'elles naiffent, tant que la fource eft pure & limpide; & de leur donner, fi elle est trouble, le temps de s'éclaircir dans le repos de la méditation.

L'entaffement confus des périodes eft un vice de l'Art, non de la Nature. Il fuffit de ne pas le chercher pour n'y tomber jamais. La preuve en eft, que dans le langage familier aucun de nous ne s'égare dans ces longs circuits de paroles; & en général l'affectation nuit plus à la clarté, que la négligence.

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Personne n'est affez infenfé pour écrire à def fein de n'être pas entendu; mais le foin de l'être eft facrifié au defir de paroître fin, délicat mystérieux, profond: pour ne pas tout dire, on ne dit pas affez ; & de peur d'être trop fimple, on s'étudie à être obscur. Rien de plus mal-entendu que cette affectation dans les grandes cho fes; rien de plus ridicule dans les petites. » Vous Labruye» voulez, Acis, me dire qu'il fait froid; que » ne me difiez-vous, il fait froid? Eft-ce un fi » grand mal d'être entendu quand on parle, & de parler comme tout le monde ? » Mais que Tome I.

D

re.

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devenir quand on n'a que des chofes communes à dire? Se taire, c'eft le parti le plus fage. Cependant, lorfque de belles chofes tiennent à des chofes communes, faut-il renoncer à exprimer celles-ci d'une façon nouvelle, ingénieufe & piquante? Faut-il s'interdire les fineffes, les délicateffes du ftyle? Non; il faut feulement les concilier avec la clarté ; ne pas vouloir briller à ses depens & ne rien foigner avant elle. Quant au moyen de s'affurer fi l'on s'exprimé affez clairement, l'Auteur que je viens de citer nous l'indique c'eft de fe mettre à la place de fes Lecteurs, & de lire foi-même fon ouvrage comme fi on le voyoit pour la premiere fois.

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Mais pour se mettre à la place de fes Lecteurs, il faut les connoître, favoir à quel degré de pénétration, de fagacité, de fineffe leur intelligence peut aller ; & cela revient à la méthode que je ne cefferai de recommander; favoir, de fe former un auditoire en idée, compofé de la claffe d'hommes pour laquelle on écrit.

pour

Ce n'eft pas affez d'écrire pour foi & les Mufes. Je ne crois pas non plus, comme Caftelvetro, qu'un Poête doive écrire pour le commun du peuple, & s'interdire tout ce qui suppose des connoiffances que le peuple n'a pas

La faine partie du Public, la claffe des efprits cultivés par l'ufage du monde & familiers avec les ouvrages d'agrément & de goût voilà les vrais juges d'un Poête, & le tribunal devant, lequel il doit fe placer en écrivant. Il faut que la clarté de l'expreffion foit pour eux telle qu'ils vous entendent, même fans réflexion, & que la penfée frappe les efprits comme le foleil frappe la vue: Ut in animum ratio tanquam fol in Quintil oculos occurrat.

C'eft peu d'être clair, il faut être précis : car tous les genres d'écrire ont leur précifion; & l'on va voir qu'elle n'exclut aucun des agrémens du ftyle. La précifion confifte à exprimer avec le moins de termes qu'il eft poffible une idée, une image, un fentiment, fans les mutiler ni les affoiblir. Son caractere eft d'ifoler fon objet de maniere qu'aucune idée voifine n'en trouble la perception. La premiere difficulté qui fe préfente eft de réunir la précision & la clarté ; mais qu'on ne s'y trompe pas : l'expreffion la plus précise eft la plus claire lorsqu'elle eft juste, & c'eft au moyen de la jufteffe que la clarté fe concilie avec la précision. Je dirois, au moyen de la propriété, fi je parlois du ftyle philofophique; mais on ne doit pas l'exiger du ftyle poétique, & la jufteffe lui fuffit. Que

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