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Mais on n'eft pas affez perfuadé que les Philofophes, les Orateurs, les Hiftoriens profonds, que Tacite, Platon, Montagne, Démofthene Maffillon, Boffuet, &, ce Pafcal qui ne savoit pas combien il étoit Poête lorfqu'il méprifoit la Poéfie, en font eux-mêmes des fources inépuifables. Il est cependant bien aise de reconnoître, à la plénitude & à l'abondance des fentimens & des idées, un Poête nourri de ces études. Il en eft une fur-tout que j'appel'e la compagne du travail & la nourrice du génie c'est la lecture habituelle de quelque Auteur excellent dont le ftyle & la couleur foient analogues au fujet que l'on traite. D'une féance à l'autre l'ame fe dérange par le mou vement & la diffipation; il faut la remonter au ton de la Nature, & l'Auteur que je con-feille de lire eft comme un inftrument fur le quel on prélude avant de chanter.

II y a des momens de langueur où le génie femble épuifé:

Vida. Credas penitus migrasse camenas:;:

on fe perfuade qu'il eft prudent d'attendre alors dans le repos, que le feu de l'imagination fe ralume ;

Idem, Adventumque Dei & facrum expectare calorem.

en fe trompe cet abandon de foi-même fe change en habitude, & l'ame infenfiblement s'accoutume à une lâche cifiveté. Il faut avoir recours à des études qui raniment la vigueur du génie; & dès qu'il aura réparé ses forces, le defir de produire va bientôt l'exciter avec de nouveaux aiguillons.

La Théologie des Philofòphes eft encore un champ vafte & fertile où le génie peut moiffon ner. On diftingue les fictions qui ont pris naiffance au fein de la Philofophie, on les diftingue des Fables vulgaires à la jufteffe des rapports & a certain air de vérité que celles-ci n'ont jamais. La raifon même applaudit dans les Poêmes de Virgile toutes les Fables qu'il a empruntées d'Epicure, de Pithagore & de Platon. L'imagination fe repofe avec délices fur un merveilleux plein d'idées, elle gliffe avec dédain fur un menfonge vuide de sens.

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Que l'on compare dans Homere la chaîne d'or attachée au trône de Jupiter, la ceinture de Vénus, l'allégorie des Prieres, l'ordre que le dieu Mars donne à la Terreur & à la Fuite d'atteler fon char, que l'on compare, dis-je, le plaifir pur & plein que nous caufent ces, belles idées, ces idées philofophiques avec l'impreffion foible & vague que fait fur nous

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la parole accordée aux chevaux d'Achille, le préfent qu'Éole fait à Uliffe des vents enfermés dans une outre, le foin que prend Minerve de prolonger la premiere nuit que ce héros, à fon retour, paffe avec Pénélope fa femme, &c. on fentira combien la vérité donne de valeur au menfonge, & combien la feinte est puérile, infipide, lorsqu'elle n'eft pas fondée en raison. Je l'ai déja dit, & je le répéterai souvent plus un Poête, à génie égal, fera Philofophe, plus il fera Poête.

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Le plan d'études que je viens de tracer; proposé à un seul homme feroit fans doute. effrayant, quoique notre fiecle ait l'exemple d'un génie qui l'a rempli. Mais on a dû voir que pour éviter la diftribution des études, j'ai fuppofé le Poête univerfel. It eft évident que celui qui fe renferme dans le genre de l'Eglogue n'a pas besoin des études relatives à l'Epo-pée. Je parle donc en général, & je laiffe à chacun le foin de prendre ce qui eft de fa fphere.

Vida. Atque tuis prudens genus elige viribus aptum.

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J'observerai feulement qu'il en eft des connoiffances du Poête comme des couleurs du Peintre, qui doivent être fur la palette avantqu'il prenne le pinceau. C'eft par un recueil

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ne

beaucoup plus ample que le fujet ne l'exige,
qu'il fe met en état de le maîtriser & de l'a-
grandir. Le plus beau fujet, réduit à fa fubf-
tance eft
>
de chofe il ne s'étend
peu
s'embellit que par les lumieres du Poête ; &
dans une tête vuide il périra, comme le grain
jeté fur le fable; au lieu que dans une ima-
gination pleine & féconde, un fujet qui fem-
bloit ftérile ne devient que trop abondant, &
c'eft le plus beau défaut du génie.

Illi qui tument, & abundantiâ laborant, plus Senec. habent furoris, fed plus etiam corporis. Semper autem ad fanitatem proclivius eft quod poteft detractione curari. Illi fuccurri non poteft, qui fimul & infanit & defecit.

CHAPITRE IV.

Du Style Poétique.

E qui me diftingue de Pradon (difoit Ra

Ccine)

cine) c'est que je fais écrire. « Homere, » Platon, Virgile, Horace ne font au deffus des » autres Ecrivains (dit la Bruyere) que par leurs » expreffions & par leurs images ». Sans prendre à la lettre l'aveu modeste de Racine, ni l'opi

nion de la Bruyere, l'on doit regarder le ftyle comme une partie effentielle de la Poéfie, & le talent de bien écrire comme le plus féduifant de tous. Mais cet éloge fi commun, cela est bier écrit, eft fouvent auffi mal entendu qu'il eft peu mérité.

Diftinguons dans le ftyle poétique fes qualités permanentes & ses modes accidentels. Ses qualites permanentes font la clarté, la précision, la justesse, la correction, la facilité, l'abondance • la richeffe, l'élégance, le naturel, la décence, le coloris & l'harmonie. Prefque toutes ces qualités font communes à la poéfie, à l'éloquence, à l'hiftoire, à la philofophie elle-même : car il n'eft jamais inutile d'embellir la vérité; & dans les chofes où le foin de plaire eft le plus fubordonné à celui d'inftruire, le style ne dédaigne pas de se parer au moins négligemment.

J'appelle modes ou accidens du ftyle ce qui le varie & le diftingue de lui-même, comme ses tours & ses mouvemens, le ton que le fujet lui donne, le caractere que lui imprime la pensée, celui qu'il emprunte des mœurs, de la fituation, de l'intention de celui qui parle. Tels font l'énergie, la véhémence, la naïveté, la délicateffe, l'élévation, la fimplicité, la légéreté, la fineffe, la gravité, la douceur, le coloris, l'harmonie, &c,

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