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ces traits, dis-je, ne fe préfentent qu'à un Poête qui eft devenu Mérope par la force de l'illufion. Il en eft de même du Qu'il mourút du vieil Horace, & de tous ces mouvemens fublimes dans leur fimplicité, qui femblent, quand ils font placés, être venus s'offrir d'eux-mêmes. Lorfque le vieux Priam, aux pieds d'Achille, dit en fe comparant à Pelée : « Combien fuis-je

plus malheureux que lui? Après tant de ca» lamités, la fortune impérieuse m'a réduit à

ofer ce que jamais mortel n'ofa avant moi: » elle m'a réduit à baifer la main homicide & » teinte encore du fang de mes enfans. » On fe perfuade que dans la même fituation on lui eût fait tenir le même langage; mais cela ne paroît fi fimple que parce qu'on y voit la Nature; & pour la peindre avec cette vérité, il faut l'avoir non pas fous les non pas yeux, en idée, mais au fond de l'ame.

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Ce fentiment, dans fon plus haut degré de chaleur, n'eft autre chofe que l'enthousiasme ; & fi l'on appelle ivreffe, délire ou fureur, la perfuafion que l'on n'eft plus foi-même, mais celui que l'on fait agir; que l'on n'eft plus où l'on cft, mais préfent à ce que l'on veut peindre à

l'enthousiasme eft tout cela. Mais on fe trompe

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roit, fi fur la foi de Ciceron l'on attendoit tout des feules forces de la Nature & du Soufle diyin dont il fuppofe que les Poêtes sont animés: Poetam Natura ipfa valere, & mentes viribus excitari, & quafi divino quodam fpiritu afflari.

Il faut avoir profondément fondé le cœur hu main pour en faifir avec précifion les mouvemens variés & rapides, pour devenir foi-même, dans la vérité de la Nature, Mérope, Hermione, Priam, & tour à tour chacun des perfonnages que l'on fait parler & agir. Ce que Platon appelle manic fuppofe donc beaucoup de fageffe, & je doute que Locke & Pafcal fuffent plus Phi lofophes que Racine & Moliere. Caftelvetro définit la Podfic pathétique, Trovamento & effer citamento della perfona ingeniofa & non della furiofa non effendo il furiofo atto à transfor mar fi in varie paffioni, ne follicito inveftigatore di quello che fi facciano & dicano i paffionati. Et en cela il a raison mais il fe trompe forfqu'il prétend qu'il n'eft pas befoin que le Poête fe paffionne: Io non fo fi altri fe poffa adirare, fentire dolore, allegrezza , o maraviglia, o altro, à fua volunta, quando e quieto, giolivo, &c. Ce n'eft qu'avec cette faculté de changer de caractere & de fituation de fe pé

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nétrer des fentimens des affections que l'on veut peindre, qu'on eft en état de les bien ex; primer : c'eft la pensée d'Ariftote, que l'Interprete Italien n'a pas faifie quand il a donné Pétrarque réellement amoureux, pour exemple de la fituation où doit être l'ame, du Foête, dans le fens de fon Auteur.

L'enthousiasme n'eft donc pas une fureur vague & aveugle, mais c'eft la paffion du moment dans fa vérité, fa chaleur naturelle : c'eft la vengeance, fi l'on fait parler Atrée; l'amour fi l'on fait parler Ariane; la douleur & l'indignation, fi l'on fait parler Philoctete. Il arrive souvent que l'imagination du Poête est frappée, &que fon cœur n'eft pas ému. Alors il peint vivement tous les fignes de la paffion, mais il n'en a point le langage. Le Taffe, après la mort de Clorinde, avoit Tancrede devant les yeux, auffi l'a-t-il peint comme d'après nature,

Pallido, freddo, muto, e quafi privo

Di movimento, al marmo gli occhi affissi
Al fin fgargando un lacrimofo rivo,

In un languido ohime proruppe.

mais pour le faire parler, ce n'étoit pas affez de le voir, il falloit être un autre lui-même ; & c'est pour n'avoir pas été dans cette pleine illufion, qu'il lui a fait tenir un langage peu naturel.

Quelques Auteurs ont fait confifter l'effence de la Poéfie dans l'enthoufiafme, c'eft prendre la cause pour l'effet. Il eft certain qu'il n'y a pas d'imitation vive & fidelle fi le Poête n'eft

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dans l'illufion, c'est-à-dire s'il ne croit pás voir ce qu'il peint, s'il ne fent pas ce qu'il exprime; mais dans les peintures douces & riantes, l'illufion du Poête n'eft rien moins que cette alienation d'efprit qu'on appelle enthoufiafme. Celle-ci eft réfervée aux fujets qui emportent l'ame hors d'elle-même, & dans lef quels, pour rendre la Nature, il ne faut plus fe pofféder; encore ferai-je voir, en traitant del Pode, qu'alors même le délire poétique eft foumis aux loix du bon fens & au principe rigou reux de la vérité relative. Il me fuffit ici d'a voir indiqué en quoi il confifte, & de quelle faculté de l'ame il dépend.

Un don qui n'eft pas moins effentiel au Poête que ceux de l'efprit & de l'ame, c'est une oreille délicate & jufte. Celui à qui le fentiment de l'harmonie eft inconnu doit renoncer à la Poéfie; mais ceci demaude un détail où je me propofe d'entrer en traitant des qualités du ftyle.

Le goût femble auffi devoir être mis au nombre des talens du Poëte; mais ce qu'il y a de na

turel ne differe point de la fagacité de l'efprit & de la fenfibilité de l'ame; & ce qu'il y a d'artificiel & d'acquis eft le fruit de l'étude & de l'expérience.

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CHAPITRE III.

Des Études du Poête.

E Poête doit connoître fon Art, fes talens, fes moyens, les inftrumens dont il fe fert, &les matériaux qu'il emploie.

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L'étude de l'Art a deux branches les préceptes & les modeles. J'ai tâché de donner une idée de la Poéfie; je vais effayer d'en recueil lir & d'en expofer les préceptes. Mon deffein eft d'ôter aux regles connues ce qu'elles peuvent avoir de capricieux, & de gênant pour le génie, & de les rendre affez claires, affez conftantes, pour mériter la comparaifon qu'en fait le Taffe avec les étoiles qui conduifent les Matelots: E possono in qualche modo fchifare Difc.del. l'incoftanza delle maritime cofe con la confL. III. tanza delle celefti. Quant aux modeles, j'aurai foin d'indiquer dans le cours de mes réflexions ceux que l'on doit confulter & fuivre.

P. héroi

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