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СНАРІTRE 1 X.

Du CHOIX DANS L'IMITATION.

N ne ceffe de dire aux Arts: Imitez la

ON

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belle Nature. Mais qu'eft-ce que la belle Nature? eft-ce l'ordre, l'harmonie, les proportions qui nous font dire : Voilà un beau défert, un bel orage, de belles ruines? La beauté confifte, dit-on, dans l'aptitude que donnent à un compofé l'ordre & l'accord de fes parties à remplir fa deftination: ainfi l'on définit, felon l'idée de Socrate la beauté individuelle la forme la plus favorable aux fonctions de l'être & à fon ufage. Mais cette beauté philofophique eft relative à l'ordre univerfel des chofes. Nous l'appercevons par réflexion bien plus que par fentiment; & dans ce fens - là il eft tout auffi raisonnable de dire, tout est beau, que de dire tout eft bien. Ce n'est donc pas ce qu'on doit entendre par la beauté poétique, & cette idée abftraite & vague ne fuffit pas pour éclairer le choix du Poête dans l'imitation.

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L'Auteur du Poême fur l'Art de peindre a fait voir que la belle Nature n'eft pas la mê

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Voffius.

me dans un Faune que dans un Apollon, &

dans une Vénus que dans une Diane. En effet, l'idée du beau individuel varie fans ceffe par la raifon qu'elle n'eft point abfolue, & que tout ce qui dépend des relations doit changer comme elles. Pour généralifer cette idée il a donc fallu l'étendre vaguement à tout ce qui eft tel qu'il Ifaac doit être. Accedat apta difpofitio, & partium inter ft mutuus concentus. Mais quel eft cet accord des parties d'où réfulte la beauté du tout? c'est ce qu'on laiffe à deviner. « La qualité de » l'objet n'y fait rien (dit M. l'Abbé Lebateux ) » que ce foit une hydre. un avare un faux » dévot, un Neron, dès qu'on les a présentés » avec tous les traits qui peuvent leur convenir, » on a peint la belle Nature. » Je veux le croire, & fans examiner fi l'ame d'un Neron eft ce qu'on entend & ce qu'on doit entendre la belle Nature, je demande feulement quels font les traits qui conviennent à un bel arbre ; pourquoi le Peintre & le Poête préferent le vieux chêne brifé par les vents, brûlé, mutilé par la foudre, au jeune orme dont les rameaux forment un fi riant ombrage; pourquoi l'arbre déraciné qui couvre la terre de fes débris

Dante.

par

Spargendo a terra le fue Spoglie ecelfe.
Monftrando a l'fol la sua Squallida fterpe.

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pourquoi cet arbre eft plus précieux au Peintre & au Poête, que l'arbre qui dans fa vigueur fait l'ornement des bords qui l'ont vu naitre ? M. Racine le fils diftingue dans l'imitation deux fortes de vrai, le fimple & l'idéal. « L'un ( dit» il) imite la Nature telle qu'elle eft, l'autre » l'embellit. » Cela eft clair; mais il y ajoute un vrai compofé, ce qui n'eft plus fi facile à entendre; car chacun des traits répandus dans la Nature étant le vrai fimple, & leur affemblage étant le vrai idéal, quel fera le vrai compofé, fi ce n'eft le vrai idéal lui-même ? Un mendiant se présente à la porte d'Eumée, voilà le vrai fimple; ce mendiant eft Ulysse, voilà le vrai idéal ou compofé ces deux termes font fynonymes. Mais ne difputons pas fur les mots.

« Le vrai idéal raffemble des beautés que la » Nature a difperfées. » Je le veux bien. Maintenant, à quel figne les reconnoître ? où eft le beau? où n'eft-il pas ? Voilà le nœud qu'il falloit dénouer.

L'idée de grandear & de merveilleux que M. R. attache au vrai idéal, & la néceffité dont il eft, dit-il dans les fujets les plus fimples, ne nous éclaire pas davantage. Il pofe en principe, que le Poête doit parler à l'ame & l'enlever; & il en conclut, qu'on ne doit pas em

Il

ployer le langage de la Poéfie à dire des chofes communes. Mais en fuppofant que le Poête dût toujours parler à l'ame feroit-il décidé pour cela qu'il dût toujours l'enlever? dédaignera-telle les chofes communes dont le tableau fimple & naïf peut la toucher, l'émouvoir doucement? y a des chofes qu'on eft las de voir, & dont l'imitation eft ufée : voilà celles qu'il eft bon d'éviter. Mais il y a des chofes très-fimples fur lefquelles nos efprits n'ont jamais fait que voltiger fans réflexion, & qui ne laissent pas d'avoir de quoi plaire. Le Poête qui a fu les tirer de la foule, les placer avec avantage, & les peindre avec agrément, nous fait donc un plaifir nouveau ; & pour nous caufer une douce furprise, ce vrai n'a befoin d'aucun mélange de grandeur ni de merveilleux. Dans le fait, fi M. Racine le fils exclut de la Poéfie les chofes communes & fimplement décrites, qu'est-ce donc à fon avis , que les détails qui nous charment dans les Georgiques de Virgile? Y a-t-il rien de plus commun dans la Nature & de plus fimplement exprimé ? lorfqu'un des Bergers de Théocrite ôte une épine du pied de fon compagnon, & lui confeille de ne plus aller nus pieds, ce tableau ne nous fait aucun plaifir, je l'avoue; mais eft-ce à caufe de fa fimplicité?

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non c'eft qu'il ne réveille en nous aucune idée, aucun sentiment qui nous plaise. L'Idyle de Gefner, où un Berger trouve son pere endormi, n'a rien que de très-fimple; & cependant elle nous plaît, parce qu'elle nous attendrit. Ce n'eft point une Nature prise de loin; c'est la piété d'un fils pour un pere, & heureusement rien n'eft plus commun. Lorfqu'un des Bergers de Virgile dit à fon troupeau :

Ite, meæ, fælix quondam pecus, ite capella:
Non ego vos pofthac, viridi projectus in antro,
Dummofa pendere procul de rupe videbo.

ces vers, le plus parfait modele du style paftoral, nous font un plaifir fenfible, & cependant où en eft le merveilleux ? C'eft le naturel le plus pur; mais ce naturel eft intéreffant, & la fimplicité même en fait le charme.

Le vrai fimple n'a donc pas toujours befoin d'être relevé, ennobli par les circonftances & par des beautés prifes çà & là. Mais en le fuppofant, au moins faut-il favoir à quel caractere les diftinguer pour les recueillir; & cette Nature idéale est un labyrinthe dont Socrate lui feul nous a donné le fil. « Penfez-vous (difoit-il à » Alcibiade) que ce qui eft bon ne foit pas » beau ? n'avez-vous pas remarqué que ces qua

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