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vers de Quinault; il n'y a point d'oreille qui n'adopte les nombres que l'une ou l'autre lui fait sentir. L'habitude en eft prise, les fuffrages font recueillis, l'ouvrage eft plus avancé qu'on ne pense; & la valeur des mots ufités fur l'un & l'autre théâtre étant une fois décidée, il eft facile de déterminer par la voie de l'analogie, la quantité profodique des termes que l'on n'y a point encore employés. Mais ce feroit fur - tout lorfque dans nos vers on commenceroit à obferver les nombres, que le fyftême de la profodie fe développeroit à vue d'œil.

Cependant, quel feroit dans nos vers l'emploi de ces nombres une fois reconnus ? Mon deffein eft-il de renouveller l'entreprise" abandonnée depuis près de deux cents ans, d'affujettir les vers François aux regles étroites des vers Latins? Non fans doute. Mais fi le François n'a pas les mêmes nombres que le Latin, ou que telle autre langue, il en a les équivalents: par exemple, il a peu de fpondées & de dactyles; mais il abonde en anapeftes, en chorées & en iambes. Je parle un langage inconnu à bien des lecteurs pour m'en faire entendre rappellons ici les élémens des vers anciens.

:

Ces vers étoient compofés de pieds ou mesures. La mefure réguliere avoit, comme je l'ai diť,

trois

trois ou quatre temps; & j'en ai donné les formules, avec les noms qui les défignoient.

Du mélange du dactyle,

dée

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& du fpon

étoient compofés le vers Héroïque

ou Hexametre, & le vers Afclepiade. Mais dans l'Hexametre il n'y avoit que le 5e. pied qui exigeât le dactyle, & que le 6e. qui exigeât le fpondée dans les quatre premiers le Poête avoit le choix du fpondée ou du dactyle, au gré de fon oreille, & felon que l'image ou le sentiment lui demandoit plus de lenteur ou de rapidité.

Panditur interea domus omnipotentis ölīmpī.

Lūitāntēs vēntās tēmpēstātēsque sonōrās.
Silveftrem tenui Mūsām mědĭtāris ǎvēnā.
Illă věl intattãe segētīs pēr sūmmă võlārēt.

Le fpondée prenoit même quelquefois la place du dactyle au 5. pied, pour favorifer l'harmonie, & l'on plaçoit alors le da&yle au 4e. afin qu'il n'y eût pas trois fpondées de fuite à la fin du vers.

Quae căput a cōelī régiōnibus ōftēndēbāt.

-

On voit par là combien le nombre de l'Hexametre étoit varié, docile & fécond. Notre langue, pour l'imiter, n'a pas affez de dactyles & de fpondées les anapeftes dont elle eft remplie ont Tome I.

N

un mouvement oppofé à celui du dactyle; mais fi le rithme de l'Hexametre s'y refufe, celui de l'Afclepiade s'y prête aifément.

Dans l'Afclepiade, la place du dactyle & du fpondée étoit immuable : voici la forme de ce

vers.

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La longue, qui eft feule au milieu étoit fuivie d'un filence de deux temps, qui avec elle formoit une mesure. Ainfi l'Afclepiade étoit compofé de cinq mefures à quatre temps. Je crois avoir déja obfervé, dans l'un des articles de l'Encyclopédie, que ce vers a fervi de modele à notre vers Héroique : en effet, un Afclépiade eft un vers François mafculin de la plus parfaite régularité.

Moecenas atavis editě Regibus.

Mais un vers François n'eft pas un Asclépiade: le nombre des fyllabes & le repos font les mêmes; mais la valeur profodique des fyllabes eft déterminée dans le Latin, & ne l'eft pas dans le François. Il est même impoffible, vu l'indigence des dactyles, de faire conftamment dans notre langue des Afclepiades réguliers ; & quand cela feroit facile, il faudroit l'éviter en voici la raison. L'Afclepiade eft invariable, & par confé

quent monotone: auffi ne l'employoit - on que dans de petits Poêmes lyriques. Nous avons deftiné au contraire notre vers Héroïque à l'Épopée, à la Tragedie, aux deux Poêmes dont l'étendue exige le plus de variété. D'ailleurs plus l'Afclepiade eft compaffé dans fa marche, plus il s'éloigne de la liberté du langage naturel : il ne convient donc point à la Poéfie dramatique, dont le ftyle doit être celui de la naturè. Enfim le caractere de notre langue eft d'appuyer fur la pénultieme ou fur la derniere fyllabe des mots; & prefque tous les pieds de l'Afclepiade se soutiennent fur la premiere, & gliffent fur les deux fuivantes. C'en eft affez pour faire sentir que nous ne pouvons ni ne devons affecter l'Afclepiade pur. Mais n'y auroit-il pas moyen de varier les nombres de l'Afclepiade fans en altérer le rithme, comme on varie les notes de mufique fans altérer la mefure du chant? C'eft ce que j'ose propofer ; & fi quelqu'un regarde ce projet comme une idée chimérique, je le préviens qu'il y a dans Racine Voltaire Lafontaine & Quinault , que j'ai actuellement fous les yeux, mille & mille vers mefurés > comme j'entends que les vers François peuvent l'être. Je n'en cherchois que quelques exemples, j'en ai trouvé fans nombre; & je ne propose

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1

aux jeunes Poêtes que d'effayer par réflexion ce que leurs maitres ont fait par un fentiment exquis de la cadence & de l'harmonie.

Commençons par nous retracer les deux pieds de l'Afclepiade

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C

fans

changer la mesure de ces deux nombres, on peut les remplacer par l'un de ces équivalens.

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Voltaire.

Voltaire.

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Le mouvement n'eft plus le même, & les pieds
du vers font égaux.

Aū sēin tůmūltůeux dě lå guerre civile.
Un Rōi victorieux écrāsě měs sērpens.
Quinault. Ils sont ensěvělis fous lå massě pěsānte.
Racine. Pourquoi l'afsăsiner? qu'a-t-il fait? ǎ quel titre?

Quinault.

Suppofons enfuite que dans le premier hémiftiche le dactyle ou l'équivalent prenne la place du fpondée, & le fpondée celle du dactyle

comme dans ce vers :

L'indifferent Atīs n'en fera point jaloux,

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