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éviter qu'il foit fuivi d'une voyelle ; comme fi l'on veut qu'il s'élide, il faut qu'une voyelle initiale lui fuccede immédiatement. Dans la liaison d'hommes illuftres, l'e muet d'hommes ne s'élide point: I's finale y met obftacle.

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Il n'y a d'élifion que pour l'e muet : la rencontre de deux voyelles fonores s'appelle hiatus's & Phiatus eft banni du vers. Je crois avoir prouvé qu'on a eu tort de l'en exclure qu'il en foit, l'usage a prévalu.

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J'ai dit que la finale du vers eft tour-à-tour fonore & muette. Le vers à finale fonore s'appelle mafculin, les Anglois le nomment vers à rime fimple, & les Italiens vers tronqué. Le vers à finale muette s'appelle féminin, Anglois & les Italiens le nomment, vers à rimè double. Il eft vrai que dans le vers François, la finale eft plus foible que dans le vers Italien; mais l'une eft auffi breve que l'autre, & c'eft de la durée non de la qualité des fons, que réfulte le nombre du vers.

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Cette finale fur laquelle la voix expire, n'étant pas affez fenfible à l'oreille pour faire nombre, on la regarde comme fuperflue, & on ne la compte pas. Le vers féminin, dans toutes les langues, a donc le même nombre de fyllabes que la vers mafculin, & de plus fa finale muette.

Les vers mafculins fans mélange auroient une marche brufque & heurtée ; les vers féminins fans mélange auroient de la douceur, mais de la molleffe. Au moyen du retour alternatif & périodique de ces deux efpeces de vers, la dureté de l'un & la molleffe de l'autre fe corrigent mutuellement & la variété qui en résulte, eft, je crois, un avantage de notre Poéfie fur celle des Italiens, fur-tout fi l'on s'applique à donner à l'entrelacement des rimes toute la grace qu'il peut avoir.

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On a voulu jufqu'à préfent que la Tragédie & l'Épopée fuffent rimées par diftiques, & que ces diftiques fuffent tour-à-tour mafculins & féminins. On a permis les rimes croisées au Poême lyrique, à la Comédie & à tout ce qu'on appelle Poéfies familieres & fugitives. Ainfi la gêne & la monotonie font pour les longs Poêmes ; & les plus courts ont le double avantage de la liberté & de la variété. N'estce pas plutôt aux Poêmes d'une longue étendue qu'il eût fallu permettre les rimes croifées ? je le croirois plus jufte, non-feulement parce que les vers masculins & féminins entrelacés n'ont pas la fatigante monotonie des diftiques, mais parce que leur marche libre, rapide & fiere, donne du mouvement au récit, de la véhémence à

l'action, du volume & de la rondeur à la période poétique. On a pris pour de la majefté la pefanteur des vers qui fe tiennent comme enchaînés deux-à-deux, & qui fe retardent l'un l'autre ; mais la majefté confifte dans le nombre, le coloris, l'éclat & la pompe du ftyle; & le morceau le plus majestueux de la Poéfie françoise, la Prophétie de Joad dans Athalie, eft écrit en rimes croifées. Voyez de même dans l'Opéra de Proferpine, s'il manque rien à la majefté des vers entrelacés dans le début de Pluton. Du refte , on fait que la néceffité gênante & continuelle de deux rimes accouplées, amene souvent des vers foibles & fuperflus: or une difficulté infructueuse est toujours un vice dans l'art.

Mais de quelque façon qu'on entrelace les rimes, l'oreille exige qu'il n'y ait jamais de fuite deux finales pleines, ni deux muettes de différens fons " comme vainqueur & combat comme victoire & couronne. Elle demande auffi que la rime ne change qu'au repos abfolu. C'est une regle trop négligée, & j'aurai lieu de faire voir combien elle contribue à donner aux vers un mouvement périodique & nombreux.

Peut-être y a-t-il encore de nouveaux moyens d'ajouter au nombre & à la cadence de nos vers: effayons de les rechercher par la voie de l'ana

logie. Ceci eft inutile aux Poêtes qui ont l'oreille fenfible & jufte; mais la délicateffe de l'organe n'eft pas donnée à tous ceux qui ont du talent pour la Poéfie ; & fi par la méthode on y peut fuppléer, on aura fait quelque chofe d'utile.

Les Italiens regardent comme un avantage de leur vers fur le nôtre, le double accent qui le frappe, & le changement du repos.

Ils appellent accent, une fyllabe de poids fur laquelle la voix fe repofe à l'hémistiche & à la fin du vers. Il eft certain que ces deux appuis marquent la cadence; mais nos bons Poêtes les ont obfervés fans autre guide que l'oreille, & cela n'eft pas mal-aifé. Toutefois je ne prétends pas qu'on en faffe une regle févere : je dis feulement que dans un morceau de Peinture ou d'Eloquence, lorfque le vers doit mar cher avec pompe, il eft auffi facile qu'avantageux de placer à l'hémiftiche & à la fin du vers deux fons mâles & foutenus, fur lefquèls la voix fe repofe & s'étende; & l'on va voir que l'un des principes de la langue françoise a pour objet de multiplier ces appuis.

Quant au déplacement du repos, la variété qui en réfulte peut plaire aux Italiens & aux Anglois qui les ont imités : il feroit même injufte & ridicule de difputer à des peuples auffi cultivés

leurs plaifirs; mais qu'il me foit permis d'observer que ce changement dans la coupe du vers héroique Italien, divifée tour-à-tour en 4 & 6, 5 & 5, 6 & 4, fans compter la finale breve, lui donne tantôt la forme du vers François de dix fyllabes, tantôt celle du Saphique ou de l'Alcaïque, & tantôt celle du Phaléuce.

Vers de dix Syllabes.

Giace il cavallo-al fuo fignor appresso.
Le cheval tombe-à côté de son maître.

Vers Alcaïque ou Saphique.

D'antica felv a-dal cavallo scorta.
Qualem miniftrum-fulminis alitem.
Pindarum quifquis-ftudet æmulari.

Vers Phaléuce.

Non piu gouverna il fren-la man tremante
Arces turrigera-fuperba teta.

Or notre oreille répugne à ces interruptions du mouvement donné ; & nous avons pour nous l'exemple des Anciens, qui dans leurs Poêmes héroïques n'ont fait que varier le nombre, fans jamais changer le rithme du vers.

Il eft vrai que les vers héroïques Italiens étant féminins prefque fans mélange, ils feroient monotones s'ils avoient tous la même coupe. Mais notre vers de dix fyllabes n'a pas cet inconvénient : la marche en eft réguliere & n'est

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