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tuna verò, voluntas: idée qui embráffe nonfeulement le cours régulier & conftant du monde, mais l'interruption de fes loix par des cau fes prédominantes que le Poête fuppofe & que l'on admet: foit que le merveilleux des prodiges fe fonde fur l'opinion; foit qu'imaginés à plaifir, l'efprit nè donne à leur vraisemblance que l'adhéfion du moment & qu'ils paffent comme de beaux fonges.

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Cette définition une fois établie, toutes les regles en vont découler. La premiere eft d'être né Poête: Horace & Defpréaux l'ont dit avant moi; je vais tâcher d'expliquer leur pensée.

L

CHAPITRE II.

A

Des Talens du Poete.

Es trois facultés de l'ame d'où dérivent tous les talens littéraires, font l'efprit, I'magination & le fentiment; & dans leur mélange, c'eft le plus où le moins de chacune de ces facultés qui produit la diverfité des génies:

Dans le Poête, c'eft l'imagination & le fentiment qui dominent; mais fi l'efprit ne

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les éclaire ils s'égarent bient: l'un & l'au tre. L'efprit eft l'œil du génie dont l'imagi nation & le fentiment font les ailes.

Toutes les qualités de l'efprit ne font pas effentielles à tous les genres de Poéfie. Il n'y a que la pénétration & la jufteffe dont aucun d'eux ne peut fe paffer: l'efprit faux gâte tous les tâlens; l'efprit fuperficiel ne tire avantage d'aucun.

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Je n'ai confidéré dans la Poéfie, en la définiffant, que ce qui la diftingue de l'éloquence, de l'hiftoire, de la philofophie, c'eft-à-dire le don de peindre. Mais elle quitte fouvent le pinceau pour prendre le ftyle noble & fimple de l'hiftoire, le style vehement ou tempéré de l'éloquence, le ftyle clair & précis de la philofophie. Tout n'eft pas image & fentiment dans un Poême il y a des intervalles où la pensée brille feule & de fon éclat : car il ne faut jamais oublier que l'image n'en eft que la parure; & lors même que la pensée eft colorée par l'imagination ou animée par le fentiment, elle nous frappe d'autant plus qu'elle eft plus fpirituelle, c'eft-à-dire, plus vive, plus finement faifie, & d'une combinaison à la fois plus jufte & plus nouvelle dans ses rapports. L'efprit n'eft donc pas moins effentiel au Poête

qu'au Philofophe, à l'Hiftorien, à l'Orateur. Chacune des qualités de l'efprit a fon genre de Poéfie où elle domine. Par exemple, la fineffe a l'Epigramme; la délicateffe, l'Elégie & le Madrigal; la légereté, l'Epitre familiere; la naïveté, la Fable; l'ingénuité, l'Eglogue; l'élévation Ode, la Tragédie & Epopée.

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Il eft des genres qui demandent plufieurs de ces qualités réunies. La Comédie par 'exemple, exige à la fois la fagacité, la pénétration, la force, la profondeur, la légereté, la vivacité, la fineffe; & qu'on ne s'étonne pas fi elle raffemble prefque toutes les reffources de l'efprit, tandis que la jufteffe, la profondeur & l'élévation fuffifent à la Tragédie : c'eft que la Tragédie a pour elle le grand reffort du pathétique dont la Comédie eft privée.

La raison, que je définis, la faculté de fe replier fur fes idées, d'en faifir nettement les rapports & de fuivre la chaîne qui les lie; la raison, dis-je, eft la bafe de l'efprit ; & cette faculté appliquée à l'étude de la nature, n'eft autre chofe que l'efprit Philofophique. Or on demande non pas s'il eft effentiel an Poête, mais s'il ne lui eft pas nuifible? Queftion qui fera bientôt réfolue, fi l'on veut s'entendre & fe concilier:

B 2

Ce n'eft qu'après une étude réfléchie de la nature, & hors de nous, & en nous-mêmes, de fes loix dans le phyfique, de fes principes dans le moral, qu'on peut fe livrer au talent de la peindre. Il y a un efprit, quel qu'il foit, qui combine & difpofe les refforts de l'éloquence, qui choifit & place le modele fous les yeux de la Poéfie, & qui marque à

l'une & à l'autre l'endroit du cœur où elle doit frapper. Je parle de l'éloquence & de la Poéfie, & dans ces deux claffes je comprends tous les talens littéraires; car tout se réduit à peindre & à perfuader, à nous pénétrer de ce qui fe paffe au dehors dehors, & à rendre fenfible au dehors ce qui fe paffe au dedans .de nous-mêmes. Or cet efprit lumineux & fage qui puife dans la nature les regles & les moyens de l'art eft le même qui préfide à la faine Philofophie.

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L'efprit Philofophique, l'efprit Poétique, l'efprit Oratoire ne font qu'un c'eft le bon esprit, qui prend des directions différentes felon le but qu'il fe propose. Craindre qu'il n'égare le Poête dans les efpaces de la métaphyfique, ou qu'il ne le mene à pas comptés dans l'étroit fentier du diale&titien, c'eft fuppofer faux cet efprit dont la jufteffe fait l'effence.

On a peur que cette jufteffe rigoureuse ne mette le génie à l'étroit. Je ne connois pourtant pas un feul morceau de Poéfie digne d'être cité, où les pensées ne foient juftes dans la plus exacte rigueur : je dis juftes, dans leurs rapports avec les mœurs, les opinions, les deffeins de celui qui parle vérité relative, trèsindépendante de la vérité abfolue, dont il ne faut jamais s'occuper.

:

Et pourquoi feroit-il plus difficile en Poéfie de penfer jufte que de penfer faux ? L'harmonie & le coloris fe refufent-ils à l'expreffion des idées qui font d'accord avec elles-mêmes? conduits par un esprit févére, l'imagination & le fentiment ne peuvent plus s'abandonner au caprice d'un faux enthoufiafme, je l'avoue ; & tant mieux pour la Poéfie, où rien n'est beau que le vrai. « L'Art, dit le Taffe n'eft que » la prudence même »; & il en eft des loix de la raifon comme de celles dont Platon a dit : « Ce ne font pas des chaînes qui nous »lient, mais des aîles qui nous élevent aux » cieux. » N'obéir qu'à de juftes loix, c'eft la liberté du génie.

L'imagination eft cette faculté de l'ame qui rend les objets préfens à la penfée. Elle fuppofe dans l'entendement une appréhenfion vive & te

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