Page images
PDF
EPUB

paroles ajoute à l'onction céleste de la fageffe & de la vertu.

Le Poême épique eft encore plus varié dans fon harmonie; mais par malheur nous avons peu de Poêmes en profe que l'on puiffe citer comme des modeles du ftyle harmonieux: il femble que les Traducteurs n'aient pas même eu la pensée de fubftituer à l'harmonie des Poêtes anciens les nombres & les mouvemens dont notre langue étoit capable. Cependant on en trouve plus d'un exemple dans la traduction du Paradis perdu & dans celle de l'Iliade; & quoi qu'en difent les partifans trop zélés de nos lorfque dans Homere la terre eft ébranlée d'un coup du trident de Neptune, l'effroi de Pluton qui s'élance de fon trône eft mieux peint par ces mots de Madame Dacier que par l'hémistiche de Boileau, Pluton fort de fon trône. Et lorfqu'elle dit des enfers: « Cet affreux féjour, » demeure éternelle des ténebres & de la mort, » abhorré des hommes & craint même des dieux ; » fa profe me femble, même du côté de l'harmonie au deffus des vers :

[ocr errors]
[ocr errors]

Cet empire odieux

Abhorté des mortels & craint même des dieux,

vers

où l'on ne trouve rien de femblable à ces nom.

bres, demeure éternelle des tenebres de la mort.

L'Auteur du Télémaque excelle dans les fituations paifibles. Sa profe mélodieufe & tendre exprime le caractere de fon ame, la douceur & l'égalité; mais dans les momens où l'expreffion demanderoit des mouvemens brufques & rapides, fon ftyle n'y répond pas affez. On voit dans les mêmes tableaux, des exemples du charme naturel de fon harmonie, & du défaut de vigueur qu'on lui reproche avec raifon.

Jettons les yeux fur la defcription de la grotte de Calipfo : « Les doux zéphyrs confervoient » en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une » délicieufe fraîcheur: des fontaines coulant avec » une doux murmure, fur des prés femés d'ama"ranthes & de violettes, formoient en divers » lieux des bains auffi purs & auffi clairs que » le cryftal. Mille fleurs naiffantes émailloient » les tapis verds dont la grotte étoit environ» née là on trouvoit un bois de ces arbres "touffus qui portent des pommes d'or, & dont » la fleur, qui se renouvelle dans toutes les fai» fons, répand le plus doux de tous les parfums. » Ce bois sembloit couronner ces belles prairies, » & formoit une nuit que les rayons du foleil » ne pouvoient percer: là on n'entendoit jamais » que le chant des oifeaux, où le bruit d'un » ruiffeau qui se précipitant du haut d'un rocher,

[ocr errors]

:

» tomboit à gros bouillons plein d'écume & » s'enfuyoit au travers de la prairie. » Qui ne fent pas la mélodie que répand dans ces périodes le choix & l'enchaînement de ces mots, une délicieuse fraîcheur ; des prés femés d'amaranthes &de violettes auffi clair que le crystal mille fleurs naifantes émailloient ces tapis verds,

c? Que l'on déplace, que l'on change quelques-uns de ces nombres; qu'au lieu de cette chûte, tomboit à gros bouillons pleins d'écume, où le dichorée eft encore employé, on écrive, tomboit à gros bouillons en écumant, il femble que ce ne foit plus la même chofe, tant l'harmonie ajoute à la couleur. Mais pour peindre la fuite du ruiffeau il eût fallu des nombres

fugitifs ; & au- travers de la prairie est une finale traînante.

Aucun de ces exemples, me dira-t-on, n'eft inconteftable je l'avoue, & la raison en eft que la profodie de la langue n'eft pas encore decidée. Mais 1o. j'ose dire qu'il n'eft pas de bon lecteur qui ne donne aux mots que j'ai notés la quantité que je leur affigne. 20. fi les exemples font douteux, l'expérience eft infaillible; & il n'y a perfonne qui n'éprouve tous les jours en écrivant, qu'après avoir rendu complétement fon idée, il lui manque fouvent

quelque chofe. Or cette inquiétude n'est pas celle de l'efprit, car il eft content; mais celle de l'oreille qui demande le nombre, & qui n'est tranquille qu'après qu'un mot, quelquefois inutile au fens, eft venu remplir la mesure.

C'eft fur-tout dans le récit, que le Poête doit rechercher les nombres: ils ajoutent au coloris des peintures un degré de vérité qui les rend mobiles & vivantes. Par-là les plus petits objets deviennent intéreffants; une paille, une feuille qui voltige dans un vers nous étonne & nous charme l'oreille.

Sæpe levem paleam frondes volitare caducas (a).

Mais dans le ftyle paffionné, c'eft à la coupe des périodes qu'il faut s'attacher; c'eft de là que dépend effentiellement l'imitation des mouvemens de l'ame.

Me

le me adfum qui fesi : in me convertire ferrum, O Rutuli! mea fraus omnis: nihil ifte nec aufus, Nec potuit (b).

L'impatience, la crainte de Nifus pouvoit - elle

Virgile.

(a) On voit voler la feuille & la paille légere.

(b) Me voici: j'ai tout fait : tournez fur moi vos coups, Rutules! c'eft mon crime; il n'en eft point complice. Mon ami n'a rien pu, rien tenté contre vous.

être mieux exprimée ? Quoi de plus vif, de plus

preffant que cet ordre de Jupiter?

Virgile. Vade, age, nate, voca zephyros &labere pennis (a). Voyez au contraire dans le monologue d'Armide, l'effet des mouvemens interrompus.

Frappons.... Ciel! qui peut m'arrêter ?
Achevons.... Je frémis. Vengeons-nous.... Je foupire.
Eft-ce ainfi que je dois me venger aujourd'hui ?
Ma colere s'éteint quand j'approche de lui.
Plus je le vois, plus ma vengeance est vaine.
Mon bras tremblant se refuse à ma haine.
Ah quelle cruauté de lui ravir le jour!

-A ce jeune héros tout cede fur la terre.

Qui croiroit qu'il fût né feulement pour la guerre ?
Il femble être fait pour l'amour.

Dans tous ce que je viens de dire en faveur de notre langue, pour encourager les Poêtes à y chercher la double harmonie des fons & des mouvemens, je n'ai propofé que la fimple analogie des nombres avec le caractere de la penfée. La reffemblance réelle & fenfible des fons & des mouvemens de la langue avec ceux de la nature, cette harmonie imitative qu'on appelle Onomatopée, & dont nous voyons tant d'exemples dans les Anciens, n'eft pas permise à nos Poêtes. La raifon en eft, que dans la formation

(2) Vole, appelle Zéphyre, & defcends fur fes ailes.

des

« PreviousContinue »