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& les Poêtes ne laiffoient pas de leur attribuer une valeur égale.

Quant aux douteufes, ou elles changent de valeur en changeant de place; alors, felon la place qu'elles occupent, elles font décidées breves ou longues: ou réellement indécifes, elles reçoivent le degré, de lenteur ou de vîteffe qu'il plaît au Poête de leur donner: alors, loin de mettre obstacle au nombre, elles le favorisent: & plus il y a dans une langue de ces fyllabes dociles au mouvement qu'on leur imprime, plus la langue elle-même obéit aifément à l'oreille qui la conduit. Je fuppofe donc, avec M. l'Abbé d'Olivet, tous nos temps fyllabiques réduits à la valeur de la longue & de la breve, nous voilà en état de donner à nos vers une mesure exacte & des nombres réguliers.

«Mais où trouver (me dira-t-on) le type des » quantités de notre langue ? l'usage en eft l'ar» bitre; mais l'ufage varie, & fur un point auffi » délicat que l'eft la durée relative des fons, "il eft mal-aifé de faifir la vraie décifion de » l'usage. »

Il eft certain que tant que les vers n'ont point de metre précis & régulier dans une langue, fa profodie n'eft jamais ftable. C'est dans

lés vers qu'elle doit être comme en dépôt, femblable aux mefures que l'on trace fur le marbre pour rectifier celles que l'usage altere; & fans cela comment s'accorder ? La volubilité la molleffe, les négligences du langage familier font ennemies de la précifion. Fluxa & lubrica res fermo humanus ( dit Platon. ) Vouloir qu'une langue ait acquis par l'usage feul une profodie réguliere & conftante, c'eft vouloir que les pas fe foient mefurés d'eux-mêmes, fans être réglés par le chant.

Chez les Anciens, la Mufique a donné fes nombres à la Poéfie comme à la Danfe ces nombres employés dans les vers & communiqués aux paroles, leur ont donné telle valeur: cellesci l'ont retenue & l'ont apportée dans le langage; les mots pareils l'ont adoptée, & par la voie de l'analogie le systême profodique s'eft formé infenfiblement. Dans les langues modernes l'effet n'a pu précéder la caufe, & ce ne fera que longtemps après qu'on aura prefcrit aux vers les loix du nombre & de ta mefure, que la profodie fera fixée & unanimement reçue.

, que

des

En attendant elle n'a, je le fais regles défectueufes ; mais ces regles, corrigées l'une par l'autre, peuvent guider nos premiers

pas.

1o. L'ufage confulte par une oreille attentive & jufte lui indiquera, finon la valeur exacte des fons, au moins leur inclination à la lenteur ou à la vîteffe.

2o. La déclamation théâtrale vient à l'appui de l'ufage, & détermine ce qu'il laiffe indécis. 3. La Mufique vocale habitue depuis longtemps nos oreilles à faifir de juftes rapports dans la durée relative des fons élémentaires de la langue. Ainfi des obfervations faites fur l'ufage du monde, fur la déclamation théâtrale & fur le chant modulé, de ces obfervations recueillies avec foin combinées ensemble & rectifiées l'une par l'autre , peut réfulter un fyftême de profodie, ou régulier ou du moins fuffifant pour les effais que je vais propofer dans la ftructure de nos vers. Il ne s'agit encore ici que de la profe poêtique.

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La profe ne doit pas être un mélange de vers; mais les mouvemens qu'on emploie dans les vers peuvent tous paffer dans la profe. Sa liberté la rend même fufceptible d'une harmonie plus variée, & par conféquent plus expreffive que celle des vers dont la mesure limite les nombres. Il est vrai que la gêne de notre fyntaxe eft effrayante pour qui ne connoît point encore les foupleffes & les reffources de la langue :

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l'inverfion, qui donnoit aux Anciens l'heureuse liberté de placer les mots dans l'ordre le plus harmonieux, nous eft prefque abfolument interdite; mais cette difficulté même n'a fait qu'exciter l'émulation du génie, & les auteurs qui ont eu de l'oreille, n'ont pas laiffé de se ménager au befoin, des nombres analogues au fentiment ou à l'image qu'ils vouloient rendre.

Il feroit peut-être impoffible de rendre l'harmonie continue dans notre profe; & les bons Écrivains ne se font attachés à peindre la pensée, que dans les mots dont l'efprit & l'oreille doivent être vivement frappés. C'eft auffi à quoi fe bornoit l'ambition des Anciens; & l'on va voir quel effet produifent dans le style oratoire & poétique, des nombres placés à propos.

Fléchier, dans l'Oraifon funebre de M. de Turenne termine ainfi la premiere période : «Pour louer la vie & pour déplorer la mort » dů tāge ēt vǎillānt Mācchǎbēĕ ».

S'il eût dit, « du vaillant & fage Macchabée »; s'il eût dit, « pour louer la vie du fage & vaillant » Macchabée, & pour déplorer fa mort »; la période n'avoit plus cette majefté fombre qui en fait le caractere la caufe phyfique en eft dans la fucceffion de l'iambe, de l'anapefte & du dichorée, qui n'eft plus la même dès que les

:

mots font tranfpofés. On doit fentir en effet que de ces nombres les deux premiers se soutiennent, & que les deux derniers, en s'écoulant, femblent laiffer tomber la période avec la négh gence & l'abandon de la douleur. « Cet homme « ajoute l'Orateur) cet homme que Dieu » avoit mis autour d'Ifraël comme un mur » d'airain, où fe briferent tant de fois toutes " les forces de l'Afie...... venoit tous les »ans, comme les moindres Ifraélites, réparer » avec ses mains triomphantes, les ruines du » fanctuaire. » Il eft aifé de voir avec quel foin l'analogie des nombres, relativement aux images, eft obfervée dans tous ces repos : pour fonder un mur d'aïrain, il a choifi le grave fpondée; & pour réparer les ruines du temple, quels nombres majestueux il a pris! Si vous voulez en mieux fentir l'effet, fubftituez à ces mots des fynonymes qui n'aient pas les mêmes quantités : fuppofez victorieuses à la place de triomphantes; temple au lieu de fanctuaire. « Il venoit tous ,, les ans, comme les moindres Ifraélites, réparer

» avec fes mains victorieufes les ruines du tem»ple»: Vous ne retrouverez plus cette harmonie qui vous a charmé. "Ce vaillant homme repouffant enfin avec un courage invincible les ennemis qu'il avoit réduits à une fuite hon

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