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de fyllabes arrivera plus vite au repos, s'il fe précipite en dactyles, que s'il fe traînoit en graves fpondées. On ne doit donc perdre de vue, dans la théorie des nombres, ni la coupe des périodes, ni la valeur relative des fons.

Tous les genres de littérature n'exigent pas un ftyle nombreux mais tous demandent

comme je l'ai dit l'oreille.

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Quamvis enim fuaves gravefque fententiæ, tamen fi inconditis verbis efferuntur, offendunt aures, quarum eft judicium fuperbiffimum.

La diction philofophique eft affranchie de la fervitude des nombres : Cicéron la compare à une vierge modefte & naïve qui néglige de fe parer. << Cependant rien de plus harmonieux

.

(dit - il) que la profe de Démocrite & de » Platon; " & c'eft un avantage que la raifon la vérité même ne doit pas dédaigner. Il est certain cependant que dans un genre d'écrire où le terme qui rend l'idée avec précision eft quelquefois unique, où la vérité n'a qu'un point, qui souvent même eft indivisible, il n'y a pas à balancer entre l'harmonie & le fens; mais il eft rare qu'on en foit réduit à facrifier l'un à l'autre & celui qui fait manier fa langue trouve bien l'art de les concilier.

Cicéron demande pour le ftyle de l'Hiftoire des périodes nombreuses, semblables, dit-il, à celles d'Ifocrate; mais il ajoute que ces nombres fatigueroient bientôt l'oreille s'ils n'étoient pas interrompus par des incifes. Ce mélange a de plus l'avantage de donner au récit plus d'aifance & de naturel; or quand on eft obligé, comme l'Hiftorien, de dire la vérité & de ne dire que la vérité, l'on doit éviter avec foin tout ce qui reffemble à l'artifice. Quintilien donne pour modele à l'Hiftoire la douceur du style de Xénophon « fi éloignée (dit - il) de >> toute affectation, & à laquelle aucune affec»tation ne pourra jamais atteindre. »

Il en eft du ftyle oratoire comme de la narration hiftorique : la profe n'en doit être ni tout-à-fait dénuée de nombres, ni tout-à-fait nombreuse ; mais dans les morceaux pathétiques ou de dignité, Cicéron veut qu'on emploie la période. « On fent bien, (dit-il en parlant de » fes peroraisons,) que fi je n'y ai pas toujours attrapé le nombre, j'ai fait ce que j'ai "pu pour en approcher. » Cependant il confeille à l'Orateur d'éviter la gêne : elle éteindroit le feu de fon action & la vivacité des fenti

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mens qui doivent l'animer : elle ôteroit au difcours ce naturel précieux, cet air de candeur

qui gagne la confiance, & qui feul a droit de perfuader.

Quant aux incifes, il recommande qu'on les travaille avec foin : « moins elles ont d'étendue » & d'apparence, plus l'harmonie s'y doit faire » fentir. C'est même dans ces occafions qu'elle » a le plus de force & de charme. » Or il entend par harmonie la mesure & le mouvement qui plaisent le plus à l'oreille.

On voit combien ces préceptes font vagues, & il faut avouer qu'il eft difficile de donner des regles au fentiment. Toutefois les principes de l'harmonie du ftyle doivent être dans la nature chaque pensée a fon étendue chaque image fon caractere, chaque mouvement de l'ame fon degré de force & de rapidité. Tantôt la pensée est comme un arbre touffu dont les branches s'entrélaffent; elle demande le développement de la période. Tantôt les traits de lumiere dont l'efprit eft frappé font comme autant d'éclairs qui fe fuccedent rapidement ; l'incise en eft l'image naturelle. Le ftyle coupé convient encore mieux aux mouvemens impétueux de l'ame : c'est le langage du pathétique véhément & paffionné ; & quoique le ftyle périodique ait plus d'impulfion à raison de sa masse, le ftyle coupé ne laiffe pas d'avoir quelquefois

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autant & plus de vîteffe: cela dépend des nombres qu'on y emploie.

Il est évident que dans toutes les langues le ftyle coupé, le ftyle périodique font au choix de l'Écrivain , quant aux fufpenfions & aux repos;

mais toutes les langues ont elles ces nombres d'où réfulte la célérité ou la lenteur du mouvement? Cette queftion à réfoudre eft au delà de mon deffein: je me borne à la langue Françoise. Si elle a, ou peut avoir une profodie, elle a, ou peut avoir des nombres: or, pour décider le premier point, je propose une alternative à laquelle je ne vois point de milieu.

Ou les fons élémentaires de la langue Françoife ont une valeur appréciable & conftante & alors fa profodie eft décidée; ou ils n'ont aucune durée prefcrite, & alors ils font dociles à recevoir la valeur qu'il nous plait de leur donner, ce qui fait de la langue Françoise la plus fouple de toutes les langues ; & ce n'est pas ce que l'on prétend lorfqu'on lui difpute fa profodie,

Que m'oppofera donc le préjugé que j'attaque? Dire que les fyllabes françoifes font en même temps indécises dans leur valeur, & décidées à n'en avoir aucune, c'eft dire une chofe abfurde en elle-même ; car il n'y a point de fon ? pur

Ou

ou articulé, qui ne foit naturellement difpofé à la lenteur ou à la vîteffe, ou également fufceptible de l'une & de l'autre ; & fon caractere ne peut l'éloigner de celle-ci fans l'incliner vers celle-là.

Les langues modernes, dit-on, n'ont point de fyllabes qui foient longues ou breves par elles-mêmes. Je fuppofe que cela foit; les langues anciennes en ont-elles davantage? Est-ce par elle-même qu'une fyllabe eft tantôt breve & tantôt longue dans les déclinaifons latines? Veut-on dire feulement que dans les langues modernes la valeur profodique des fyllabes manque de précifion? Mais qu'eft - ce qui empêche de lui en donner? L'Auteur de l'excellent Traité de la Profodie Françoife, après avoir obfervé M. l'Abbé qu'il y a des breves plus breves, des longues plus longues, & une infinité de douteuses, finit par décider que tout fe réduit à la breve & à la longue: en effet, tout ce que l'oreille exige, c'eft la précifion de ces deux mesures; & fi dans le langage familier leur quantité relative n'eft pas complete, c'eft à l'Acteur, c'est au Lecteur d'y fuppléer en récitant. Les Latins avoient comme nous des longues plus longues, des breves plus breves, au rapport de Quintilien;

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d'Olivet

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