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du Bourgeois-Gentilhomme; mais je dois indiquer la caufe phyfique du plus ou moins de facilité que nous avons à lier les confonnes.

Qu'on étudie l'action des organes dans les différentes articulations; l'on verra pourquoi I' eft facile après l'r, & l'r pénible après l'l; pourquoi deux labiales ne peuvent s'allier enfemble, non plus que deux dentales dont l'une eft la foible de l'autre ; pourquoi le paffage d'une labiale à une dentale eft facile du foible au foible, comme dans ab-diquer; du fort au fort, comme dans aptitude; du foible au fort, comme dans ob-tenir; & impoffible du fort au foible, comme dans Cap de bonne - Efpérance, que l'on eft obligé de prononcer Cab- de bonne - Espérance. On y trouvera de même la raifon de la difficulté que nous éprouvons à prononcer l'x après I's, & réciproquement, comme Quintilien l'a remarqué : Virtus - Xercis, arx arx - ftudiorum.

Si l'oreille eft offenfée de la confonnance des voyelles, par la même raifon elle doit l'être du retour fubit & répété de la même articulation. Les Latins avoient préféré pour cette raison méridiem à medidiem. Qu'en françois l'on traduisît ainfi le début des Paradoxes de Cicéron: « Brutus, j'ai fouvent remarqué que quand Caton »ton oncle opinoit dans le Sénat ; » ce'a feroit

choquant & rifible. La fréquente répétition de l'r & de l's eft dure à l'oreille, fur-tout dans les fyllabes compliquées où l's fiffle, où l'r frémit à la fuite d'une autre confonne. Lamotte a corrigé, dans l'une de fes Odes, Cenfeur fage & fincere. Il auroit bien dû corriger auffi,

Avide des affronts d'autrui.....

Travail toujours trop peu vanté.....

Les Rois qu'après leur mort on loue.....
L'homme contre fon propre vice.....

Ton amour-propre trop crédule.....

ཏྭཱ

& une infinité de vers auffi durs, fur lefquels il avoit le malheureux talent de fe faire illufion. Le qui bleffoit l'oreille de Pindare, adcuci dans notre langue a quelquefois beaucoup de grace; mais dans une foule d'écrits modernes on l'a ridiculement affecté.

Les Latins retranchoient l'x des mots compofés où il devoit être felon l'étymologie; & nous avons fuivi cet exemple. La répétition des dentales mouillées, che & ge, eft défagréable à

l'oreille.

Mais écoutons; ce berger joue

Les plus amoureuses chansons.

Les articulations gutturales dont quelques langues du Nord font remplies, & dont le françois eft exempt, ne peuvent donner que des fons foibles

Lamotte.

& confus. En général les confonnes les plus favorables à l'harmonie font celles qui détachent le plus diftinctement les fons, & que l'organe exécute avec le plus d'aifance & de volubilité : telles font les articulations fimples de la langue avec le palais, de la langue avec les dents, de la levre inférieure avec les dents, & des deux levres enfemble.

"

L', la plus douce des articulations, femble communiquer fa molleffe aux fyllabes dures qu'elle fépare. M. de Fenelon en a fait un usage merveilleux dans fon ftyle. « On fit couler, » dit Télémaque, des flots d'huile douce & » luifante fur tous les membres de mon corps. » L', fi j'ofe le dire, eft elle-même comme une huile onctueufe, qui, répandue dans le style, en adoucit les frottemens ; & le retour fréquent de l'article le, la, les, qu'on reproche à notre langue, eft peut-être ce qui contribue le plus à lui donner de la mélodie: voyez quelle douceur elle communique à ce demi vers de Virgile,

Quæque lacus late liquidos.

Le gazouillement de l' mouillée peut fervir quelquefois à l'harmonie imitative, mais on en doit réserver le fréquent ufage pour les peintures qui le demandent. L'articulation mouillée

qui termine le mot regne feroit infoutenable fi elle revenoit fréquemment.

Le mouillé foible de l'l exprimé par ce caracterey, & dont nous avons fait une voyelle parce qu'il eft confonne vocale, eft la plus délicate de toutes les articulations; mais cette confonne fi douce eft trop foible pour foutenir l'e muet; au lieu que jointe au fon de l'a, comme dans paya, déploya, ou à telle autre voyelle fonore comme dans foyer, citoyen, rayon, elle fait nombre & fuffit à l'oreille.

Par cette analyse des articulations de la langue, on doit voir quelles font les liaisons qui flattent ou qui bleffent l'oreille.

Il n'y a point de liaison d'une voyelle finale avec la confonne initiale du mot fuivant ; ce ; n'eft qu'une fucceffion de fons indépendants l'un de l'autre.

La liaifon eft réelle d'une confonne finale avec une voyelle initiale; car la confonne s'attache à la voyelle qui la fuit. Mais comme toutes les voyelles s'allient avec toutes les confonnes, la liaison ne fera plus ou moins harmonieufe qu'autant que la confonne, plus forte ou plus foible, contribuera plus ou moins au caractere de l'expreffion. La rudeffe même alors fait beauté, pourvu que l'articulation n'ait rien de pénible.

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Tum ferri rigor, atque argu:æ lamina ferræ. Lorfqu'en françois la confonne finale eft double, comme dans hafard, dans respect, on ne fait fentir que la pénultieme avant une confonne, le hafar ne produit rien, le refpec m'impofe filence, & le paffage eft doux & facile : mais devant une voyelle, on eft obligé d'articuler auffi la confonne finale, le refpect & l'amour, le hafurd eft aveugle: liaifon dure qu'il est bon d'éviter.

Il n'y a point de liaison d'une voyelle avec une voyelle. Si la premiere eft une muet, le fon en eft effacé par celui de la feconde, cela s'appelle élifion. Si la premiere eft une voyelle pleine, la rencontre des deux fons s'appelle hiatus.

L'hiatus eft quelquefois doux & quelquefois dur à l'oreille. Les latins du temps de Cicéron l'évitoient, même dans le langage familier; les Grecs n'avoient pas tous le même fcrupule : on blâmoit Théophrafte de l'avoir porté à l'excès. « Si Ifocrate fon maître lui en a donné l'exem»ple (dit Cicéron) Thucidide n'a pas fait de » même ; & Platon, écrivain encore plus illuftre, » a négligé cette délicateffe, lui dont l'élocution. (dit Quintilien) « eft d'une beauté divine & » comparable à celle d'Homere. » Cependant ce concours de voyelles que Platon s'eft permis,

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