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la fucceffion immédiate d'une voyelle, à moins que l'on n'afpire celle-ci pour laiffer retentir cellelà: tyran-inflexible, deftin-ennemi; mais cet iatus que l'on a permis en Poéfie, eft peut-être le plus dur à l'oreille, & celui de tous qu'on doit éviter avec le plus de foin.

Obfervons cependant que moins la nazale eft fonore, plus il eft aifé de l'éteindre, & par conféquent moins l'aspiration de la voyelle fuivante eft dure à l'oreille: auffi se permet-on plus fouvent la liaison d'une voyelle avec les nazales on & un, qu'avec les nazales an & en, leçon utile, commun à tous, font moins durs que main habile, océan irrité. Boileau lui-même a dit :

Le chardon importun hériffa nos guérets.

Dans les monofyllabes, le fon de la nazale, pour éviter l'aspiration, se réduit à une voyelle pure, fuivie de l'n confonne qui s'en détache pour se lier avec la voyelle fuivante. L'u'n& l'autre, l'o'n-aime, e'n-eft-il ? ( Dans ce dernier exemple l'e qui précede l'n a le fon de l'a bref.) Toutefois il eft mieux de conferver à la nazale la liberté de retentir, en ne la plaçant devant une voyelle que dans les repos & les fens fufpendus. Il n'y a que Lamotte qui n'ait pas fenti la dureté de ce vers.

Et le mien incertain encore,

C'eft peu de confulter pour le choix la beauté des fons en eux-mêmes, il faut encore y observer un mélange, une variété qui nous flatte. La monotonie eft fatigante, même dans les paffages, à plus forte raifon dans les repos. Ce n'eft pas que le même fon répété ne plaise quelquefois, (a) comme en Mufique la même note redoublée à propos eft un agrément pour l'oreille; mais cette exception ne détruit pas la regle qui oblige à varier les fons. Dans nos vers on a fait une loi d'éviter la confonnance des deux hémistiches la même regle doit s'observer dans les repos des périodes: plus ces repos font variés plus la profe eft harmonieuse. Il y a une espece de confonnance symmétrique dont les Latins faifoient une grace de style; (b) cette fymmétrie peut avoir lieu quelquefois dans la profe françoise, mais l'affectation en feroit puérile.

Il y a dans la profe comme dans les vers des mefures qu'on appelle nombres, compofées de deux ou trois fons; il faut éviter que les

(a) Quelle douceur, quelle grace, dit Cicéron, ne fent-on pas dans ces compofés, infipientem, iniquum, tricipitem! au lieu qu'il trouve de la rudeffe dans infapientem, inæquum, tricapitem.

(b) Similiter cadens, fimiliter definens.

nombres voifins l'un de l'autre s'appuient fur les mêmes finales comme dans ce vers de Boileau.

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Du deftin des Latins prononçoit les oracles.

Les confonnes ne font pas des fons mais des articulations de fons. Or l'articulation eft

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plus forte ou plus foible plus rude ou plus fuivant le caractere de

douce en elle - même

la confonne qui frappe la voyelle.

Les articulations, relativement l'une à l'autre font auffi plus on moins liantes, plus ou moins dociles à fe fuccéder les unes fe fuivent cou

:

lamment & avec aifance, les autres fe froiffent & fe brifent dans leur choc, & l'étude de tous ces effets peut éclairer le choix de l'oreille.

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La parole a des doux & des forts des fons piqués, des fons appuyés, des fons flattés comme la Mufique; il n'eft donc point de confonne qui mife à fa place ne contribue à l'harmonie du difcours mais la dureté bleffe par-tout l'oreille. Or la dureté confifte non pas dans la rudeffe ou l'âpreté de l'articulation, mais dans la difficulté qu'elle oppose à l'organe qui l'exécute le fentiment réfléchi de la peine que doit avoir celui qui parle, nous fatigue nous-mêmes ; & voilà dans fa caufe & dans fon effet ce que nous appellons dureté de ftyle.

:

Lafon

taine.

Ce vers raboteux que Boileau a fait dans le style de Chapelain :

Droite & roide eft la côte & le fentier étroit.

reffemble affez à ce qu'il exprime ; cependant
notre délicateffe en eft bleffée en pareil cas
c'est par le mouvement qu'il faut peindre, &
non par le froiffement des fyllabes.

Dans un chemin montant, fabloneux, mal-aifé,
Et de tous les côtés au foleil exposé,

Six forts chevaux traînoient un coche.
L'équipage fuoit, foufloit, c.

La langue la plus douce feroit celle où la fyllabe
d'ufage n'auroit jamais qu'une consonne, comme
la fyllabe phyfique; car dans une fyllabe com-
pofée de plufieurs confonnes qui femblent fe
preffer autour d'une voyelle, Sphinx, trop,
Grecs, Cecrops, la réunion précipitée de toutes
ces articulations en un temps fyllabique rend
l'action de l'organe pénible & confufe; & quoi-
que chaque confonne ait naturellement fon e
muet pour voyelle, l'intervalle infenfible que
laiffe entre elles ce foible fon, ne fuffit pas pour
les articuler diftinctement l'une après l'autre.
Cependant ce n'eft pas affez qu'une langue foit
douce, elle doit avoir de quoi marquer le carac-
tere de chaque idée, & cela dépend fur-tout
des articulations molles & fermes, rudes ou

hantes, qu'elle nous préfente au befoin: par exemple, la réunion de deux consonnes en une fyllabe lui donne quelquefois plus de vigueur & d'énergie, comme de l'f & de l'r dans frémir, friffonner, frapper; frendere, frangere, fragor s & dut avec l'r, comme dans ces vers du Tafle tant de fois cités,

Il rauco Juon de la tartarea tromba,

Tremam le Spaciofe atre caverne.

& comme dans ce vers de Virgile, que le Taffe admiroit lui-même.

Convulfum remis, roftris ftridentibus, æquor.

Ce n'eft point là de la dureté, mais de cette âpreté que le même Poête eftimoit dans le Dante: Quefta afprezza fente un non so che di magnifico e di grande.

Ce n'eft jamais, comme je l'ai dit que le travail des organes de la parole qui gêne & fatigue l'oreille; & c'eft dans les mouvemens combinés de ces organes que fe trouve la raison phyfique de l'efpece de fympathie ou d'antipathie que l'on remarque entre les fyllabes. Or les organes de la parole fe divifent en trois mobiles & deux appuis : les mobiles font le fouffle, La langue & les levres ; les appuis font le palais & Les dents. Je ne prétends pas répéter ici la leçon

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