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De la fiction à la réalité, les rapports font dans la regle, & non pas de la métaphore à la réalité : par exemple, après avoir changé Sirinx en roseau, le Poête en peut faire une flute; mais quoiqu'il appelle des lis & des rofes les couleurs d'une bergere, il n'en fera pas un bouquet. Pourquoi cela? c'eft que la métamorphofe de Sirinx eft donnée pour un fait dont le Poête eft perfuadé; au lieu que les lis & les roses ne font qu'une comparaifon dans l'efprit même du Poête: c'eft pour n'avoir pas fait cette diftinction fi facile, que tant de Poêtes ont donné dans les jeux de mots, l'un des vices les plus oppofés au naturel, qui fait le charme du style poêtique.

СНАРITRE

V I.

DE L'HARMON LE DU STYLE.

L

'HARMONIE du ftyle comprend le choix & 'le mêlange des fons, leurs intonations, leur durée, la liaifon des mots & leurs nombres, la texture des périodes, leur coupe, leur enchaîenfin toute l'économie du difcours relativement à l'oreille, & l'art de difpofer les

nement,

mots, foit dans la profe, foit dans les vers, de la maniere la plus convenable au caractere des des images, des fentimens qu'on vent

idées, exprimer.

Les recherches que je propose fur cette partie méchanique du ftyle, & les effais que l'on fera pour y exercer fon oreille & fa plume, doivent être, comme les études de Peintre, deftinés à ne pas voir le jour. Dès qu'on travaille férieusement, c'est de la pensée qu'on doit s'occuper, & des moyens de la rendre avec le plus de force, de clarté, de précifion qu'il eft poffible. Fiat quafi ftructura quædam; nec tamen fiat Cicéron, operofe: nam effet cum infinitus tum puerilis labor.

C'est par l'analyse des élémens phyfiques d'une langue qu'on peut voir à quel point elle eft fufceptible d'harmonie. Mais ce travail eft celui du Grammairien. Le devoir du Poête, de l'Hiftorien, de l'Orateur eft de fe livrer aux mouvemens de fon ame. S'il poffede fa langue, s'il a exercé fon oreille au fentiment de l'harmonie, fon ftyle peindra fans qu'il s'en apperçoive, & le nombre y viendra de lui-même s'accorder avec la pensée.

Une oreille excellente peut fuppléer à la réflexion; mais avant la réflexion perfonne n'est

fûr d'avoir l'oreille délicate & jufte. Le détail où je m'engage peut donc avoir fon utilité.

Duæ funt res quæ permulcent aures: (dit Cicéron) fonus & numerus.

On peut confidérer dans les voyelles le fon pur, l'articulation, l'intonation.

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Les voyelles ne font pas toutes également pleines & brillantes; le fon de l'a eft le plus éclatant de tous & la voix, comme pour complaire à l'oreille, le choifit naturellement. La preuve en eft dans les accens indélibérés d'une voix qui prélude, dans les cris de surprise, de douleur & de joie. Virgile connoiffoit bien la prédilection de l'oreille pour le fon de l'a, lorfqu'il l'a répété tant de fois dans ce vers fi mélodieux.

Mollia luteold pingit vaccinia calthâ.

& dans ceux-ci plus doux encore,

.

Vel mixta rubent tibi lilia multâ

Alba rofâ, tales virgo dabat ore colores.

Ces vers prouvent que Voffius a tort de reprocher au fon de l'a de manquer de douceur : fuavitate ferè deftituitur; mais il a raifon quand il ajoute magnificentiâ aures propemodum percellit.

Le fon de l'o eft plein, mais grave: pour le rendre plus clair dans le chant

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on y

méle

du fon de l'a, comme lorfqu'on veut éclater fur vole (a); l'é plus foible & moins volumineux s'éclaircit de même dans l'è ouvert en approchant du fon de l'a (b); l'i eft plus grêle, plus délicat que lé (c); l'eu eft vague, mais fonore; l'ou eft plus grave, mais moins foible que l'u (d); l'e muet ou féminin eft à peine. un fon.

Dans les voyelles doubles, le premier fon n'étant que paffager, l'oreille n'eft fenfiblement affectée que du fon final, fur lequel la voix fe repofe & fe déploie; ce n'eft donc qu'à la voyelle finale que l'on doit avoir égard dans le choix des diphtongues relativement à l'harmonie; & l'on a raifon de fe plaindre qu'à l'ancienne prononciation de j'avois, françois, c. l'ufage eft fubftitué j'avès, francès, &c. ( voyez

(a) O, fonum quidem habet vaftum & aliquâ ratione magnificum; longè tamen minus quam a. Nulla hac aptior littera ad fignificandum magnorum animalium & ingentium corporum, feu vocem, feu fonum. Isaac Voss.

(b) É, non quidem gravem, fed tamen clarum fatis & elegantem habet fonum: è, vocalis magis fonora & magnifica quam o, minus quam a; cùm & fonum habeat obfcuriorem, prope modum in ipfis faucibus fepultum. Idem.

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(c) I, nulla eft clarior voce illá: in levibus & argutis ufum habet præcipuum. Idem.

(d) Infimum dignitatis gradum tenet u vocalis.

Virgile.

Voltaire.

les Notes philofophiques de M. Duclos fur la Grammaire de Port-Royal.)

L'effet de la nazale, voyelle que nous avons mise au rang des consonnes, est de terminer le fon fondamental par un fon fugitif & harmonique qui raisonne dans le nez. Ce fon fugitif donne plus d'éclat à la voyelle; il la foutient, il l'éleve, & caractérise l'harmonie bruyante.

Luftantes ventos tempeftatefque fonoras.
J'entends l'airain tonnant de ce peuple barbare.
On voit dans le premier exemple combien
Virgile a déféré au choix de l'oreille, en em-
ployant l'épithete fonoras, qui n'eft point analo
gue à l'image imperio premit, en l'employant,
dis-je, préférablement à rebelles, frementes, mi-
naces que l'image fembloit demander. C'eft la
même raison du volume de l'o, qui le lui a fait
employer tant de fois dans ce vers.

Vox quoque per lucos vulgo exaudita filentes,
Ingens.

M. l'Abbé d'Olivet décide breve la voyelle nazale à la fin des mots, comme dans turban deftin, Caton; mais il me femble que le retentiffement de la nazale en doit prolonger le fon, du moins dans la déclamation foutenue, & partout où la voix a besoin d'un appui.

La réfonnance de la nazale eft interrompue par

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