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n'étoient pas Poêtes; & qu'un ouvrage de ce ftyle, rempli de pareilles beautés, ne mériteroit pas le nom de Poême ?

Tous les Poêmes anciens font écrits en vers: ils auroient perdu à ne pas l'être. Nous deman dons auffi que nos Poêmes foient en vers; mais eft-ce demander la même chofe? le plaifir qui peut résulter d'une égalité de mesure abfolument idéale & qui n'a rien de réel pour l'oreille l'agrément de fantaifie que nous avons attaché à la rime, la furprise que nous cause la difficulté vaincue, & l'air de liberté qui dans un vers facile nous cache le travail & la gêne ; ces avantages de nos vers fur une profe animée & brillante font-ils tellement inféparables de la Poéfie , que l'en priver ce foit l'anéantir ? La fiction, limitation, le coloris, l'expreffion le deffein Fordonnance, la peinture au plus haut degré ne feront plus de la Poéfie dès qu'il y manquera ce nombre de fyllabes, ces repos, & ces confonnances qui font l'effence de nos vers! c'est à quoi je ne puis fouscrire. Ariftote l'a dit c'eft le fond des chofes, non la forme des vers, qui fait le Poête & qui caractérise la Poéfie. Caftelvetro difcute cette opinion, mais

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y revient lui-même après l'avoir combattue. Or fi le charme des vers d'Homere n'étoit pas.

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de l'effence de la Poéfie, fi on la concevoit dénuée de cette harmonie enchantereffe, exigera-t-elle des vers fans rithme & qui font à peine des vers? Il faut avouer que dans la Langue Grecque la profe difputoit aux vers même la beauté du nombre & de l'harmonie : Quintilien a dit de Platon que fa prose étoit infpirée ; & Cicéron , que fi Dieu parloit aux hommes, il parleroit le langage de Platon : auffi n'ai-je pas prétendu qu'il fallût négliger de donner à la profe tous les charmes dont elle eft fufceptible; je crois même qu'elle exige une plénitude d'idées & de fentimens, une chaleur, une continuité d'action dont peut fe paffer un Poême où le méchanifme des vers occupe l'ame par intervalle. C'eft à quoi s'est mépris Lamotte en hafardant fon Edipe en profe. II y avoit trop de vuides à remplir dans un fujet auffi fimple c'étoit Inez qu'il falloit prendre, en retrancher la fcene du confeil, ferrer l'intrigue, la réduire à trois actes ; & fon épreuve auroit reuffi.

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La fiction eft-elle de l'effence de la Poéfie ? Je réponds d'abord que pour corriger, embellir, animer la Nature, pour ennoblir la vérité par le mélange du merveilleux le Poête eft fouvent obligé de feindre; ainfi la fiction eft la

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compagne de la Poéfie. Mais en doit-elle être la compagne affidue ? ou plutôt, la Poéfie eftelle l'alliance indiffoluble de la fiction & de la vérité ? c'eft demander fi la Nature, dans la réalité, n'est jamais affez belle, affez touchante pour être peinte fans ornemens. La queftion réduite à ce point de fimplicité n'eft pas difficile à réfoudre. Le don de feindre eft un talent effentiel au Poête , par la raifon qu'il peut chaque inftant avoir besoin d'embellir fon objet; mais la fiction n'eft pas effentielle à la Poéfie par la raison que l'objet qu'elle imite peut être affez beau en lui-même n'avoir pas befoin d'être orné.

pour

à

Il faut cependant diftinguer ici le mérite du Poême & le mérite du Poête. Celui qui le premier a imaginé que le foleil fe plongeoit dans l'onde & alloit fe repofer dans le fein de Thétis après avoir rempli fa carriere, a eu fans doute une idée très-poétique; mais celui qui avec les couleurs de la nature auroit peint le premier le foleil couchant, à demi plongé dans des nuages d'or & de pourpre, & laiffant voir encore deffus de ces vagues enflammées la moitié de fon globe éclatant; celui qui auroit exprimé les accidens de fa lumiere fur le fommet des mon& le jeu de fes rayons à travers le

tagnes,

au

feuillage des forêts, tantôt imitant les couleurs de l'arc-en-ciel, tantôt les flammes d'un incendie, celui-là, je crois, auroit pu dire auffi: Je suis Poête, quoiqu'il ne fût dans aucune des deux claffes que nous affigne Scaliger. Aut addit ficta veris, aut fictis vera imitatúr.

Cependant, ce tableau du coucher du foleil feroit-il auffi ingénieux que la fable des amour d'Apollon pour la Déeffe des mers? Non fans doute, quand même il feroit une impreffion plus vive, & que, par l'émotion que nous cause le beau spectacle de la Nature nous y ferions plus attachés.

Que de deux Poêmes il y en ait un dont l'action, l'intrigue, les caracteres foient de pure invention; fans être plus beau que celui qui d'après l'histoirej préfente une action réelle & des perfonnages connus, il aura fur lui l'avantage du génie créateur fur le génie imitateur & peintre. Mais ce mérite > tout recommandable qu'il eft, n'est point effentiel à la Poéfie, & je me propose de le faire voir en parlant de l'invention.

A préfent, quelle eft la fin que la Poéfie fe propofe? Il faut l'avouer: le plaifir. S'il eft vicieux il la déshonore; s'il eft vertueux il l'ennoblit s'il eft pur, ; fans autre utilité que

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d'adoucir de temps en temps les amertumes de la vie, de femer les fleurs de l'illufion fur les épines de la vérité, c'eft encore un bien précieux. Horace diftingue dans la Poéfie l'agrément fans utilité & l'utilité fans agrément : l'un peut fe paffer de l'autre je l'avoue, mais cela n'eft pas réciproque, & le Poême didactique même a befoin de plaire, pour inftruire avec plus d'attrait. Mais qu'à l'afpect des merveilles de la nature plein de reconnoiffance & d'amour le génie aux aîles de flamme, s'élance au fein de la divinité; qu'ami paffionné des hommes il confacre fes veilles à la noble ambition de les rendre meilleurs & plus heureux ; que dans l'ame héroïque du Poête l'enthousiasme de la vertu fe mêle à celui de la gloire; c'eft alors que la Poéfie eft un culte & que le Poête s'éleve au rang des bienfaicteurs de l'humanité. L'idée que j'attache à la Poéfie eft donc celle d'une imitation en ftyle harmonieux fidelle, tantôt embellie de ce que la Nature, dans le phyfique & dans le moral, peut avoir de plus capable d'affecter, au gré du Poête l'imagination & le fentiment.

tantôt

Par la Nature j'entends le fyftême universel des choses, foumifes à un pouvoir fuprême, felon Pidée de Scaliger: Natura, potentia Dei ; for

tuna

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