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Tout homme n'eft pas cenfé avoir présent à l'efprit toute espece d'images. Les productions, les accidens, les les phénomenes de la Nature different fuivant les climats. Il n'eft pas vraifemblable que deux amants, qui n'ont jamais dû voir des palmiers, en tirent l'image de leur union. Il ne convient qu'au peuple du Levant ou à des efprits verfés dans la Poéfie orientale, d'exprimer le rapport de deux extrêmes par l'image du cedre à l'hiffope.

L'habitant d'un climat pluvieux compare la vue de ce qu'il aime à la vue d'un ciel fans nuages. L'habitant d'un climat brûlant la compare à la rofée. A la Chine, un Empereur qui fait la joie & le bonheur de fon peuple, est semblable au vent du Midi. Voyez combien font oppofées l'une à l'autre les idées que préfente l'image d'un fleuve débordé à un berger des bords du Nil & à un berger des bords de la Loire. Il en eft de même de toutes les

images locales , que l'on ne doit transplanter qu'avec beaucoup de précaution.

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Les images font auffi plus ou moins familieres fuivant les mœurs les opinions, les ufages, les conditions &c. Un peuple guerrier, un peuple pasteur, un peuple matelor ont chacun leurs images habituelles ils les :

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tirent des objets qui les occupent, qui les affectent, qui les intéreffent le plus. Un chaffeur amoureux fe compare au cerf qu'il a bleffé,

Portant par-tout le trait dont je fuis déchiré.

Un berger, dans la même fituation, se compare aux fleurs expofées au vent du Midi. (2) C'est ce qu'on doit obferver avec un foin particulier dans la Poéfie dramatique. Britannicus ne doit pas être écrit comme Athalie, ni Polieucte comme Cinna. Auffi les bons Poêtes n'ont-ils pas manqué de prendre la couleur des lieux & des temps, foit de propos délibéré foit par fentiment & par goût, l'imagination remplie de leur fujet, l'efprit imbu de la lecture des Auteurs qui doivent leur donner le ton. On reconnoît les Prophetes dans Athalie, Tacite & Séneque dans Cinna, & dans Polieuête tout ce que le dogme & la morale de l'Evangile ont de fublime & de touchant.

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C'est un heureux choix d'images inufitées parmi nous, mais rendues naturelles par les convenances, qui fait la magie du ftyle de Mahomet & d'Alzire, & qui manque peut-être à celui de Bajazet. Croiroit-on que les harangues des Sauvages du Canada font du même

(4) Floribus auftrum perditus immifi. Virg.

ftyle que le rôle de Zamore? En voici un exemple frappant. On propofe à l'une de ces nations de changer de demeure. Le chef des Sauvages répond : « Cette terre nous a nour» ris. L'on veut que nous l'abandonnions ! "Qu'on la faffe creufer, on trouvera dans » son sein les offemens de nos peres. Faut-il » donc que les offemens de nos peres fe le» vent pour nous fuivre dans une terre étran» re? » Virgile a dit de ceux qui fe donnent la mort, lucemque perofi projecere animas. ( Les Sauvages difent en se dévouant à la guerre, «Je jette mon corps loin de moi. »

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a

des

a des phénomenes dans la nature, y opérations dans les Arts, qui, quoique préfents à tous les hommes, ne frappent vivement que les yeux des Philofophes ou des Artiftes. Ces images d'abord refervées au langage des Arts & des fciences, ne doivent paffer dans le ftyle oratoire ou poétique qu'à mesure que la lumiere des Sciences & des Arts fe répand dans la fociété. Le reffort de la montre, la bouffole, le télescope, le prifme, &c. fourniffent aujourd'hui au langage familier des images auffi naturelles auffi recherchées peu celles du miroir & de la

que

(a) Ils ont fui la lumiere & rejetté leur ame.

Lucrece.

balance. Mais il ne faut hafarder ces tranflations nouvelles qu'avec la certitude que les deux termes font bien connus, & que le rapporr en eft jufte & fenfible.

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Le Poête lui feul, comme Poête, peut employer les images de tous les temps, de tous les lieux de toutes les fituations de la vie. Delà vient que les morceaux épiques ou lyriques dans lefquels le Poête parle lui-même en qualité d'homme infpiré, font les plus abondants, les plus variés en images. Il a cependant lui-même des ménagemens à garder.

1o. Les objets d'où il emprunte ses méta
phores doivent être préfents aux efprits cultivés.
2o. S'il adopte un systême, comme il y eft
fouvent obligé, celui, par exemple, de la
Théologie ou celui de la Mythologie, celui
d'Épicure ou celui de Newton, il se borne
fe
lui-même dans le choix des images, & s'inter-
dit tout ce qui n'est pas analogue au systême
qu'il a fuivi. La Nature, fous les traits de
Vénus, eft une image déplacée dans un Poême
où l'on nie que les dieux fe mêlent du foin de
l'Univers; & celui qui dira dans peu,

Des chofes d'ici bas, féparés à jamais,
Les dieux doivent jouir d'une éternelle paix.

Celui-là ne doit point dire en débutant

ee Je t'implore, ô Vénus, ô mere des Romains, » Charme des immortels, délices des humains, » Toi par qui fous les cieux une chaleur féconde » D'habitants fortunés peuple la terre & l'onde » Par qui les animaux conçus dans les plaisirs, » Naissent, ouvrent les yeux, & fentent des defirs. »

De même, quoi que le Dante ait voulu figurer par l'Hélicon, par Uranie, & par le chœur des Muses, ce n'eft pas dans un fujet comme celui du Purgutoire qu'il eft décent de les invoquer.

3o. Les images que l'on emploie doivent être du ton général de la chofe, élevées dans le noble, fimples dans le familier, fublimes dans l'enthoufiafme, & toujours plus vives, plus frappantes que la peinture de l'objet même; fans quoi l'imagination écarteroit ce voile inutile c'eft ce qui arrive fouvent à la lecture des Poêmes dont le ftyle & trop figuré.

4°. Si le Poête adopte un perfonnage, un caractere, fon langage eft affujetti aux mêmes convenances que le ftyle dramatique : il ne doit fe fervir alors, pour peindre fes fentimens & fes idées, que des images qui font préfentes au perfonnage qu'il a pris.

que

5o. Les images font d'autant plus frappantes les objets en font plus familiers; & comme

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