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Quant au choix des images rarement em ployées ou nouvellement introduites dans une langue, il faut y apporter beaucoup plus de circonfpection & de févérité. Que les images reçues ne foient point exactes; que l'on dife de l'efprit qu'il eft folide, de la pensée qu'elle est hardie, de l'attention qu'elle est profonde; celui qui emploie ces images n'en garantit pas le jufteffe, & fi on lui demande pourquoi il attribue la folidité à ce qu'il appelle un souffle, (a) la hardieffe à l'action de pefer; (b) la profon deur à la direction du mouvement, (c) car tel eft le sens primitif d'efprit, de pensée & d'atténtion, il n'a qu'un mot à répondre : Cela est reçu; je parle ma langue.

Mais s'il emploie de nouvelles images, on a droit d'exiger de lui qu'elles foient juftes, claires, fenfibles, & d'accord avec elles-mêmes. C'est à quoi les Écrivains, même les plus élégants, ont manqué plus d'une fois.

Il y a

des images, qui, fans être précisément fauffes, n'ont pas cette vérité fenfible

(a) Spiritus. (b) Penfare.

(c) Tendere ad.

ધૂણૅ qui

qui doit nous faifir au premier coup d'œil. Vous représentez-vous un jour vafte par le filence, dies per filentium vaftus ? Il eft vrai Tacite. que le jour des funérailles de Germanicus

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Rome dut être changée en une vafte folitude par le filence qui régnoit dans fes murs; mais après avoir développé la penfée de Tacite, on ne faifit point encore fon image.

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Lafontaine femble l'avoir prife de Tacite.

Craignez le fond des bois, & leur vafte filence. » Mais ici l'image eft claire & jufte on se transporte au milieu d'une folitude immense où le filence regne au loin; & filence vaste qui paroît hardi, eft beaucoup plus fenfible que filence profond qui eft devenu. fi familier.

Traduifez tibi rident æquora ponti de Lucrece : la mer prend une face riante eft une façon de parler très-claire en elle-même, & qui cependant ne peint rien. La mer eft paifible, mais elle ne rit point, & dans aucune langue rident ne peut fe traduire, à moins qu'on ne change l'image.

Diftinguons cependant une image confufe d'une image vague. Celle-ci peut être claire quoiqu'indéfinie. L'étendue l'élévation la profondeur font des termes vagues mais clairs: Tome I.

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H

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il faut même bien fe garder de déterminer certaines expreffions dont le vague fait toute la force. Omnia pontus erat, (a) dit Ovide en parlant du déluge; « Tout étoit Dieu » excepté Dieu même, » dit Boffuet en parlant des ficcles d'idolatrie; « Je ne vois le » tout de rien » dit Montagne ; & Lucrece, pour exprimer la grandeur du fyfteme d'Épicure:

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Extra

Proceffit longè flammantia mania mundi, Atque omne immensum peragravit mente animoque. (b) Mais dans les objets qui doivent être embraffés d'un coup d'œil, l'image n'eft fatisfaifante qu'autant qu'elle eft précife & complette.

Pour s'affurer de la jufteffe & de la clarté d'une image en elle-même, il faut fe demander en écrivant, que fais-je de mon idée ? une colonne, un fleuve, une plante? L'image ne doit rien préfenter qui ne convienne à la plante, à la colonne, au fleuve c. la régle eft fimple, fure & facile; rien n'eft plus commun cependant que de la voir négliger, & fur-tcut par les commençans qui n'ont pas fait de leur langue une étude philofophique.

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(a) Tout n'étoit qu'un Océan.

( b ) Du monde il a franchi la barriere enflammée, Et fon ame a d'un vol

parcouru l'infini.

L'analogie de l'image avec l'idée exige encore plus d'attention que la jufteffe de l'image en elle-même, comme étant plus difficile à faifir. Nous avons dit que toute image fuppofe une reffemblance ainfi que toute comparaison; mais la comparaifon développe les rapports, l'image ne fait que les indiquer : il faut donc que l'image foit au moins auffi jufte que la comparaison peut l'être. L'image qui ne s'applique pas exactement à l'idée qu'elle enveloppe, l'obfcurcit au lieu de la rendre fenfible; il faut que le voile ne faffe aucun pli, ou que du moins, pour parler le langage des Peintres, le nu foit bien reffenti fous la draperie.

Après la jufteffe & la clarté de l'image, je place la vivacité. L'effet que l'on fe propofe étant d'affecter l'imagination, les traits qui l'affectent le plus doivent avoir la préférence.

Tous les fens contribuent proportionnellement au langage figuré. Nous difons le coloris des idées, la voix des remords, la dureté de l'ame, la douceur du caractere, l'odeur de la bonne renommée. Mais les objets de la vue, plus clairs, plus vifs & plus diftincts, ont l'avantage de se graver plus avant dans la mémoire & de fe retracer plus facilement: la vue eft par excellence le fens de l'imagination, & les objets qui se

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communiquent à l'ame par l'entremise des yeux vont s'y peindre comme dans un miroir. Auffi la vue eft-elle celui de tous les fens qui enrichit le plus le langage poétique. Après la vue c'eft le toucher, après le toucher c'eft l'ouïe, après l'ouïe vient le goût, & l'odorat, le plus foible de tous, fournit à peine une image entre mille. Parmi les objets du même sens, il en eft de plus vifs, de plus frappants, de plus favorables à la peinture. Mais le choix en eft au deffus des régles; c'eft au fens intime à le déterminer. Jufqu'à préfent nous n'avons confidéré les images que rélativement aux idées. Il nous refte à les examiner rélativement au ftyle & aux différents ftyles.

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Il n'eft point de langage qui foit difpenfé d'être naturel & rien n'eft plus oppofé au naturel qu'une recherche trop curieuse , trop affectée dans l'expreffion. Les images les plus neuves les plus recherchées doivent donc paroître fe préfenter d'elles-mêmes & comme fous la main.

Les Peintres donnent en cela l'exemple aux Orateurs & aux Poêtes ils couronnent les Nayades de perles & de corail, les Bergeres de fleurs, les Ménades de pampre, Uranie d'étoiles, &c.

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