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metaphyfique & un objet matériel, pour que l'un foit l'image de l'autre; ce n'eft pas ici le lieu d'expliquer l'analogie des sensations, mais un exemple mettra fur la voie. Nous appellons lumineux, un corps dont l'action l'influence nous rend les objets vifibles. Nous appellons lumineux, un efprit qui dans l'ordre des idées, nous découvre de nouveaux rapports ou des qualités inconnues: un tel efprit eft pour notre ame ce que le foleil eft pour nos yeux, & c'eft de cette analogie que le terme lumineux, appliqué à l'efprit, tire fa jufteffe & sa force,

Souvent l'analogie de l'image avec l'idée eft indépendante de toute convention. Par exemple, l'efprit le moins cultivé paffe naturellement des images de l'étendue permanente aux idées de l'étendue fucceffive. Un fourd & muet de naiffance , pour exprimer le paffé, mon troit l'efpace qui étoit derriere lui; & l'efpace qui étoit devant, pour exprimer l'avenir. Nous les défignons à peu près de même. Les temps reculės; j'avance en âge; les années s'écou tent, &c. Quoi de plus clair & de plus jufte que cette image dont fe fert Montagne, pour dire qu'il s'occupe agréablement du paffé fans prévoir l'avenir qui l'attend?« Les ans peu 2 vent m'entraîner mais à reculons, » Sou

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vent auffi la facilité d'appercevoir une idée fous une image, eft un effet de l'habitude, & fuppose une convention. Delà vient que toutes. les images ne peuvent ni ne doivent être transplantées d'une langue dans une autre lan gue, & lorfqu'on dit qu'une image ne fauroit se traduire, ce n'eft pas tant la difette des. mots qui s'y oppofe, que le défaut d'exercice. dans la liaifon des deux idées. Toute image tirée des coutumes étrangeres, n'eft reçue parmi nous que par adoption ; & fi les efprits n'y font pas habitués, le rapport en fera difficile à faifir. Hofpitalier exprime une idée claire en françois comme en latin, dans fon accep tion primitive on dit les Dieux hofpitaliers, un peuple hofpitalier; mais cette idée ne nous eft pas affez familiere pour se préfenter d'abord. d'un arbre qui donne afyle aux voya propos geurs ainfi l'umbram hofpitalem d'Horace traduit à la lettre par un ombrage hofpitalier ne feroit pas entendu fans le fecours de la réflexion.

à

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Il arrive auffi que dans une langue, l'opi nion attache du ridicule ou de la baffeffe à des images, qui, dans une autre langue, n'ont rien que de noble & de décent. La métaphore de ces deux beaux vers de Corneille,

Sur les noires couleurs d'un fi trifte tableau,
Il faut paffer l'éponge ou tirer le rideau.

n'auroit pas été foutenable chez les Romains où l'éponge étoit un mot fale.

Les Anciens fe donnoient une licence que notre langue n'admet pas dès qu'un même objet faifoit fur les fens deux impreffions fimul tanées, ils attribuoient indiftinctement l'une à l'autre par exemple, ils difoient à leur choix, un ombrage frais ou une fraîcheur fombre ; (a) ils difoient d'une forêt, qu'elle étoit obfcurcie d'une noire frayeur, au lieu de dire qu'elle étoit effrayante par fon obfcurité profonde: (6) c'eft prendre la caufe pour l'effet. Nous fommes plus difficiles; & ce qui pour eux étoit une élégance, feroit pour nous un contre-fens. Nous voulons que les images fuivent l'ordre des idées & en obfervent les rapports. C'est rétrécir le cercle de la Poéfie, mais de peu de chose ; & je ne crois pas que ce qu'elle y perd mérite nos regrets.

Telle image eft claire comme expreffion fimple, qui s'obfcurcit dès qu'on veut l'étendre. S'enivrer de louange, eft une façon de parler

(a) Frigus opacum.

(b) Caligantem nigrå formidine lucum.

familiere s'enivrer eft pris là pour un terme
primitif; celui qui l'entend ne foupçonne pas
qu'on lui préfente la louange comme une liqueur
ou comme un parfum. Mais fi vous fuivez l'ima→
ge & que vous difiez, Un Roi s'enivre des
louanges que lui verfent les flatteurs, ou
que les flatteurs lui font refpirer, vous
éprouverez que celui qui a reçu s'enivrer dé
louange fans difficulté, fera étonné d'enten
dre, verser la louange, refpirer la louange, &
qu'il aura befoin de réflexion pour fentir que
l'un eft la fuite de l'autre. La difficulté ou la
lenteur de la conception vient alors de ce que
le terme moyen eft fous-entendur: verfer &
s'enivrer annoncent une liqueur; dans refpirer
& s'enivrer c'est une vapeur qu'on fuppofe.
Que la liqueur ou la vapeur foit expreffément
énoncée, l'analogie des termes eft claire &
frappante par le lien qui les unit. Un Roi
s'enivre du poifon de la louange que lui verfent
les flatteurs ; un Roi s'enivre du parfum de la
louange qus les flatteurs lui font refpirer tout
cela devient naturel & fenfible.

Lafon- Le nectar que l'on fert au maître du tonnerre,
taine.
Et dont nous enivrons tous les dieux de la terre
C'eft la louange, Iris.

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Les langues, à les analyfer avec foin, ne font

prefque toutes qu'un recueil d'images que l'habitude a mises au rang des dénominations primitives, & que l'on emploie fans s'en apperce voir. Il y en a de fi hardies, que les Poêtes n'oferoient les rifquer fi elles n'étoient pas reçues. Des Philofophes en ufent eux-mêmes comme de termes abftraits. Perception, réflexion, attention, induction, tout cela eft pris de la matiere. On dit fufpendre, précipiter fon jugement, balancer les opinions, les recueillir, &c. On dit que l'ame s'éleve, que les idées s'étendent, que le génie étincelle, que Dieu vole fur les ailes des vents, qu'il habite en lui-même que fon fouffle anime la matiere, que fa voix commande au néant, &c. tout cela eft familier, non-feulement à la Poéfie, mais à la Philofophie la plus exacte, à la Théologie la plus auftere. Ainfi, à l'exception de quelques termes abftraits, le plus fouvent confus & vagues, tous les fignes de nos idées font empruntés des objets fenfibles. Il n'y a donc, pour l'emploi des images ufitées, d'autre ménagement à garder que les convenances du ftyle.

Il eft des images qu'il faut laiffer au peuple; il en eft qu'il faut réferver au langage héroïque; il en eft de communes à tous les ftyles & à tous les tons. Mais c'eft au goût formé par l'ufage à diftinguer ces nuances.

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