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fions du dehors ont précédé la reflexion fur nous-mêmes: ainfi les noms des objets fenfibles font les termes de premier befoin. Or le befoin eft le pere des langues; le langage qui peint à l'imagination a donc été le premier inventé.

A mefure que l'efprit humain s'eft exercé fur lui-même ; à mesure qu'il a mieux connu fes facultés, fes affections, leurs rapports, leur variété leurs nuances; à mefure que fes notions primitives fe font développées par l'analyse, fimplifiées par l'abftraction; il a fallu des mots pour les énoncer. La langue manquoit aux idées; on a été obligé de recourir aux dénominations des objets fenfibles; & le rapport qu'on a cru voir entre ces objets & les idées nouvellement acquifes, a determiné la tranflation des termes, du fens naturel au fens figuré: telle a été l'origine. du langage métaphorique.

L

Les termes abftraits font venus enfuite; mais on s'eft bientôt apperçu de leur foibleffe, de Fimpreffion vague & légere qu'ils faifoient fur les efprits; & la Philofophie elle-même leur a préféré les images, toutes les fois qu'elle l'a pu fans nuire à la précision, à la jufteffe & à la clarté. (a)

(a) C'est aux efprits philofophiques, dit le Tafle, d'inventer les comparaifons & les images Platon en ufe hardiment auffi - bien que Xénophon,

Quelques-uns ont fait confifter le charme de l'expreffion métaphorique, en ce qu'elle excite en nous deux idées à la fois. Cela peut être vrai de l'allufion, de l'allégorie en général; mais il y a quelque chofe de plus dans l'artifice des images.

L'entendement humain a trois facultés bien distinctes: la raison, le sentiment & l'imagination.. La vérité toute nue fuffit à la raison : le style philofophique n'a befoin à la rigueur que d'être fimple, clair & précis. Mais l'Eloquence & la Poéfie ont le fentiment à émouvoir & l'imagination à frapper. C'eft furtout pour émouvoir le fentiment qu'on a tout animé dans la Nature: car notre ame n'eft jamais intéreffée que par un retour fur elle-même: rien ne l'attache que ce qui lui reffemble. Réduifez la Nature au méchanisme phyfique, elle n'a plus rien de touchant je l'ai fait voir en parlant des moyens d'animer le ftyle. Il s'agit à préfent, non de: vivifier l'univers phyfique, mais de peindre. de colorer d'embellir l'unives intellectuel.

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Les idées abftraites, vagues & confules n'ont rien qui frappe l'imagination: pour elle, appercevoir c'eft peindre: tout ce qui ne tombe pas fous les fens lui eft donc étranger, à moins que le voile matériel dont l'idée eft¡ revétue ne

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la lui rende comme palpable. Or, dès que les hommes fe font communiqué leurs idées, ils ont eu intérêt de parler à l'imagination plutôt qu'à l'intelligence pure, 1o. parce que l'imagination eft beaucoup moins févere, moins rebelle à la perfuafion, & bien plus facile à féduire, 2o. parce que l'intelligence eft froide & n'a aucune action fur l'ame; que le cœur n'en eft pas plus ému quand l'efprit eft plus éclairé, & que l'ame eft encore libre quoique l'intelligence foit fubjuguée; au heu que l'imagination influe für toute l'ame qu'elle en eft la faculté dominante & tyrannique, & qu'elle a fur la raifon même un empire que celle-ci défavoue, mais dont elle ne peut s'affran chir. On ne croit jamais bien concevoir ce que, l'on ne peut imaginer, & tout langage qui ne peint rien eft pour le commun des efprits comme un langage inintelligible, au lieu que l'image eft fouvent elle-même comme la preuve de la pensée par les rapports qu'elle fait fentir & par les inductions qu'elle facilite. In alium maturefcimus partum, dit Seneque en parlant de Fimmortalité de l'ame; & cette idée qu'on a de la peine à faifir toute nue, femble alors tomber fous les fens. (a) Faut-il donc s'étonner fi les.

Le Taffe. (a) Net parlar poetico, il quale non efenza imitationes è una tacita prova.

hommes intéreffés à fe perfuader, à s'émouvoir mutuellement, ont tâché de revétir leurs idées d'une enveloppe matérielle que l'imagination pût faifir? Faut-il s'étonner fi l'Éloquence & la Poéfie, ces deux Arts qui afpirent à dominer tous les efprits, ont eu recours à l'illufion des images? On a long-temps attribué les figures du ftyle oriental au climat ; mais on a trouvé des images auffi hardies dans les Poéfies des Iílandois, dans celles des anciens Ecoffois, & dans les harangues des Sauvages du Canada, que dans les écrits des Perfans & des Arabes Moins les peuples font civilifés, plus leur langage eft figuré, fenfible. C'eft à mefure qu'ils s'éloi gnent de la nature, & non pas à mesure qu'ils s'éloignent du foleil que leurs idées fe dépouillent de cette écorce dont elles étoient revêtues, comme pour tomber fous les fens. Les images font par-tout le langage de la Nature; mais l'art de les employer a fes regles que je vais tâcher de déterminer.

La tranflation d'un mot de fon sens naturel à quelqu'autre fens n'eft pas ce que j'appelle image, mais feulement la tranflation d'un mor qui peint avec les couleurs de fon premier objet la nouvelle idée à laquelle on l'attache. La clef d'une voute, le pied d'une montagne ne préfen.

tent leur nouvel objet que tel qu'il eft en luimême ce font des figures de mots qui n'ajoutent rien au coloris du ftyle.

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La mort de Laocoon dans l'Énéide eft un tableau; l'incendie de Troye eft une defcription; la description differe du tableau, en ce que le tableau n'a qu'u nmoment & qu'un lieu fixe. La description peut être une fuite de tableaux ; le tableau peut être un tiffu d'images; l'image: elle-même peut former un tableau: nous en allons. voir des exemples. Mais l'image, comme je l'ai définie, eft le voile matériel d'une idée ; au lieu, que la defcription & le tableau ne font le plus fouvent que le miroir de l'objet même..

Comme cette tranflation de mots, d'un objet à l'autre, fe fait par analogie, l'image fuppofe une reffemblance, renferme une comparaifon; & de la jufteffe de la comparaison dépend la clarté, la transparence de l'image. Mais la comparaison eft fous-entendue, indiquée ou developpée on dit d'un homme en colere, il rugit; on dit de même, c'est un lion; on dit encore tel qu'un lion altéré de fang, &c. Il rugit fuppofe la comparaifon; c'eft un lion l'indique; tel qu'un lion la développe.

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