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qu'il défend. Un admirateur fincere entend raifon, & la même fenfibilité qui lui fait faifir avidement les belles chofes, lui fait remarquer les plus légers défauts. On les diftingue l'un de l'autre à la bonne ou mauvaise foi qu'ils apportent dans la difpute: Madame Dacier avouoit à fon pere ce qu'elle n'auroit pas dit à Lamotte. Chez elle les fautes des Anciens étoient des fecrets de famille. La même défiance régnera toutes les fois qu'il y aura deux partis.

Aujourd'hui, grace aux progrès de la Philofophie, il n'y a rien de femblable dans la Litterature; & pour tous les gens de Lettres dignes de ce nom, Corneille & Sophocle,

Homere & Milton Pindare & Malherbe font contemporains. Jamais le préjugé n'a eu moins de force ni la raison plus d'empire, & à la gloire de celle-ci, jamais les ouvrages même d'imagination n'ont été plus fainement jugés.

Que d'un côté les Tragédies de Racine & de l'autre le Poême de Chapelain paruffent pour la premiere fois; y a-t-il aujourd'hui un feul homme de lettres qui pensât, qui voulût écrire: «On verra fi dans quarante ans on lira les vers » de Racine comme on lit ceux de Corneille... "Le Poême de la Pucelle a des endroits inimi

"

» tables: je n'y trouve autre chofe à redire finon » que M. Chapelain épuise ses matieres & n'y » laiffe rien à imaginer au Lecteur. » Voilà cependant ce qu'un homme de Lettres eftimé, loué même parmi les bons Poêtes, écrivoit fous Louis XIV.

Saint - Evremont, ce Philofophe d'un goût fi renommé dans fou temps, écrivoit à l'Abbé de Chaulieu : « Vous mettre au deffus de » Voiture & de Sarafin dans les chofes galantes » & ingénieuses, c'eft vous mettre au deffus » de tous les Anciens. » Affurément nous fommes plus juftes. Sarafin comme Voiture avoit bien plus d'efprit que de goût. Il appelloit un Cigne expirant un Cigne abandonné des Médecins. Dans fes vers la Seine menace de fes bâtons flottés la fontaine de Forges, pour lui avoir enlevé deux Nymphes. Ce n'eft pas ainsi que badinent Mrs. de Voltaire, Bernard, SaintLambert. Sarafin difoit de l'Amour tyrannique de Scuderi, que fi Ariftote eût vécu de fon temps, ce Philofophe eût réglé une partie de fa Poétique fur cette excellente Tragédie. Mais, fans aller fi loin, le judicieux Despréaux a placé Voiture à côté d'Horace.

Il eft certain que le goût n'a jamais été auffi

fain qu'à préfent: la preuve en eft que jamais on a tant eftimé, dans les ouvrages d'efprit, la vérité, la fimple nature. Il n'est pas moins certain, & je le ferai voir, que l'efprit philofophique, loin d'avoir mis le génie à l'étroit, en a lui-même étendu la fphere. Celle de la Poéfie s'eft agrandie encore à nos yeux par le commerce de nos voifins avec lefquels nous communiquons plus que nous n'avons jamais fait. Or c'est de ces lumieres répandues autour de moi, bien plus que de mes obfervations particulieres, que j'ai entrepris de former une Poétique raifonnée; & ma présomption dans cette entreprise n'eft que la bonne opinion que j'ai de mon fiecle. J'ai employé plufieurs années à ramaffer les matériaux de cet ouvrage, & après l'avoir bien médité, j'ai mis tous mes ferai diffus pour les gens pour les commençans. Ceux qui font verfés dans l'étude de l'Art peuvent fe difpenfer de me lire. Mais un avantage de mon but, feroit d'éclairer le commun des hommes fur les beautés de la Poéfie, & de les rendre plus fenfibles à la douce joie de les appercevoir, qu'au plaifir malin de faifir & d'exagérer des défauts, fouvent légers ou inévitables. Quant au plan que je vais fuivre,

foins à l'écrire. Je inftruits; mais j'écris

il eft tel qu'il fe préfente naturellement à l'efprit.

Je divise ma Poétique en deux parties : l'une contient les idées élémentaires & les principes généraux; l'autre en fait l'application aux divers genres de Poéfie.

:

Il y a dans les Arts productifs quatre objets à confidérer l'Artifte, l'inftrument, les matériaux & l'ouvrage. Trois font les moyens de l'Art; le quatrieme en eft la fin ; & le meilleur usage poffible des uns relativement à l'autre eft le résultat de toutes les regles.

Tel eft le plan fur lequel j'ai dirigé ma méthode. Commençons par nous former une juste idée de l'Art que nous allons étudier.

POÉTIQUE

POÉTIQUE

FRANÇOISE.

CHAPITRE PRÉM I E R.

De la Poefie en général.

I je dis, comme Simonide, que la S Peinture eft une Poéfie muete, je crois la définir complétement; fi je dis que la Poéfie eft une peinture animée & parlante aurium pidura, je fuis encore bien au deffous de l'idée qu'on en doit avoir.

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C'est peu de rappeller fon objet à l'efprit, comme l'éloquence & l'hiftoire, elle le présente à l'imagination avec les traits & fes couleurs comme feroit un excellent tableau & cela feul légale à la Peinture.

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