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c'est la même chose. Il n'y saurait avoir à Luynes dix voleurs reconnus parmi les habitants, dix assassins domiciliés ; cela est si clair qu'il me semble aussitôt prouvé que dit. Ce sont donc dix ennemis du Roi qu'on prive de leur liberté, dix hommes dangereux à l'état? Oui, Messieurs, à cent lieucs de Paris, dans un bourg écarté, ignoré, qui n'est pas même lieu de passage, où l'on n'arrive que par des chemins impraticables, il y a là dix conspirateurs, dix ennemis de l'état et du Roi, dix hommes dont il faut s'assurer, avec précaution toutefois. Le secret est l'âme de toute opération militaire. A minuit on monte à cheval; on part; on arrive sans bruit aux portes de Luynes; point de sentinelles à égorger,point de postes à surprendre ; on entre, et, au moyen de mesures si bien prises, on parvient à saisir une femme, un barbier, un sabotier, quatre ou cinq laboureurs ou vi– gnerons, et la monarchie est sauvée.

Le dirai-je ? les vrais séditieux sont ceux qui en trouvent partout, ceux qui armés de pouvoir, voient toujours dans. leurs ennemis les ennemis du Roi, et tâchent de les rendre tels à force devexations; ceux enfin qui trouvent dans Luynes dix hommes à arrêter, dix familles à désoler, à ruiner de par le Roi; voilà les ennemis du Roi. Les faits parlent, Messieurs. Les auteurs de ces violences ont assurément des motifs autres que l'intérêt public. Je n'eutre point dans cet examen ; j'ai voulu seulement vous faire connaître nos maux et par vous, s'il se peut, en obtenir la fin. Mais je ne vous ai pas encore tout dit, Messieurs.

Nos dix détenus, soupçonnés d'avoir mal parlé, le tribunal de Tours déclarant qu'il n'était pas juge des paroles, furent transférés à Orléans. Pendant qu'on les traînait de prison en prison, d'autres scènes se passaient à Luynes. Une nuit, on met le feu à la maison du maire. Il s'en fallut peu que cette famille respectable, à beaucoup d'égards, ne pérît dans less flammes. Toutefois les secours arrivèrent à temps. La dessus gendarmes de marcher; on arrête, on emmène, on emprisonne tous ceux qui pouvaient paraître coupables. La

justice cette fois semblait du côté du maire; il soupçonnait tout le monde, peut-être avec raison. Je ne vous fatiguerai point, Messieurs, des détails de ce procès que je ne connais pas bien, et qui dure encore. J'ajouterai seulement que des dix premiers arrêtés, on en condamna deux à la déportation car il ne fallait pas que l'autorité eût tort); deux sont en prison; six, renvoyés sans jugement, revinrent au pays, ruinés pour la plupart, infirmes, hors d'état de reprendre leurs travaux. Ceux-là, il est permis de croire qu'ils n'avaieut pas même mal parlé. Dieu veuille qu'ils ne trouvent jamais l'occasion d'agir!

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Mais vous allez croire Luynes un repaire de brigands, es de malfaiteurs incorrigibles, un foyer de révolte, de complots contre l'état. Il vous semblera que ce bourg, bloqué en pleine paix, surpris par les gendarmes à la faveur de la nuit, dont on emmène dix prisouniers, et où de pareilles expéditions se renouvellent souvent, ne saurait être peuplé que d'une engeance ennemie de toute société. Pour en pouvoir juger, Messieurs, il vous faut remarquer d'abord que la Touraine est, de toute les provinces du royaume, non seulement la plus paisible, mais la seule peut-être paisible depuis vingtcinq ans. En effet, où trouverez-vous, je ne dis pas en France, mais dans l'Europe entière, un coin de terre habitée, où il n'y ait eu, durant ce période, ni guerre, ni proscriptions, ni troubles d'aucune espèce ? C'est ce qu'on peut dire de la Touraine, qui, exempte a la fois des discordes civils et des invasions étrangères, sembla réservée par le ciel, pour être, dans ces temps d'orage, l'unique asile de la paix. Nous avons connu par ouï-dire les désastres de Lyon, des horreurs de la Vendée, et les hécatombes humaines du grand-prêtre de la raison, et les massacres calculés de ce génie qui inventa la grande guerre et la haute police; mais alors, de tant de fléaux nous ne ressentions que le bruit calmes au milieu des tourmentes, comme ces Oasis entourés des sables mouvants du désert.

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Que si vous remontez à des temps plus anciens, après les

funestes revers de Poitiers et d'Azincourt, quand le royaume était en proie aux armées ennemies, la Touraine, intacte, vierge, préservée de toute violence, fut le refuge de nos rois. Ces troubles qui, s'étendant partout comme un incendie, couvrirent la France de ruines, durant la prison du roi Jean, s'arrêtèrent aux campagnes qu'arrosent le Cher et la Loire. Car tel est l'avantage de notre position; éloignés des frontières et de la capitale, nous sentons les derniers les mouvements populaires et les secousses de la guerre. Jamais les femmes de Tours n'ont vu la fumée d'un camp.

Or, dans cetre province, de tout temps si heureuse, sü pacifique, si calme, il n'y a point de canton plus paisible que Luynes. Là, on ne sait ce que c'est que vols, meurtres violences; et les plus anciens de ce pays, où l'on vit longtemps, n'y avaient jamais vu ni prévôt ni archers, avant ceux qui vinrent, l'an passé, pour apprendre à vivre à Fouquet. Là, on ignore jusqu'aux noms de factions et de partis; on cultive ses champs; on ne se mêle d'autre chose. Les haines qu'a semées partout la révolution n'ont point germé chez nous, où la révolution n'avait fait ni victimes, ni fortunes nouvelles. Nous pratiquons surtout le précepte divin d'obéir aux puissances; mais, avertis tard des changements de peur de ne pas crier à propos, Vive le Roi! Vive la Ligue! nous ne criops rien du tout, et cette politique nous avait réussi jusqu'au jour où Fouquet passa devant le mort sans ôter son chapeau. A présent même, je m'étonne' qu'on ait pris ce prétexte de cris séditieux pour nous persécuter : 'tout autre eût été plus plausible; et je trouve qu'on eût aussi bien fait de nous brûler comme entachés de l'hérésie de nos ancêtres, que de nous déporter ou nous emprisonner comme séditieux.

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Toutefois vous voyez que Luynes n'est point, Messieurs, tomme vous l'auriez pu croire, un centre de rébellion, de ces repaires qu'on livre à la vengeance publique; mais le lieu le plus tranquille de la plus soumise province qui soit dans tout le royaume. Il était tel du moins, avant qu'on n'y

eût allumé, par de criantes iniquités, des ressentiments et des haines qui ne s'éteindront de long-temps. Car, je dois vous le dire, Messieurs, ce pays n'est plus ce qu'il était; s'il fut calme pendant des siècles, il ne l'est plus mainte~ nant. La terreur à présent y règne, et ne cessera que pour faire place à la vengeance. Le feu mis à la maison du maire, il y a quelques mois, vous prouve à quel degré la rage était alors montée; elle est augmentée depuis, et cela. chez des gens qui, jusqu'à ce moment, n'avaient montré que douceur, patience, soumission à tout régime supportable. L'injustice les a révoltés. Réduits au désespoir par ces magistrats mêmes, leurs naturels appuis, opprimés au nom des lois qui doivent les protéger, ils ne connaissent plus de frein, parce que ceux qui les gouvernent n'ont point connu de mesure. Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtezMessieurs, de mettre un terme à ces dissensions. Il faut que votre sagesse et la bonté du Roi rendent à ce malheureux pays le calme qu'il a perdu.

vous,

Paris, le 10 Décembre 1816.

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C'est avec grand chagrin, avec une douleur extrême, que je me vois exclus de votre Académie, puisqu'enfin vous ne voulez point de moi. Je ne m'en plains pas toutefois. Vous pouvez avoir, pour cela, d'aussi bonnes raisons que pour refuser Coraï et d'autres qui me valent bien. Eu me mettant avec eux, vous ne me faites nul tort; mais d'un autre côté, on se moque de moi. Un auteur de journal, heureusement peu lu, imprime: < Monsieur Courier s'est présenté, se présente: > et se présentera aux élections de l'Académie des Inscrip>tions et Belles-Lettres, qui le rejette unanimement. Il faut,. > pour être admis dans cet illustre corps, autre chose que » du grec. On vient d'y recevoir le vicomte Prevost d'Irai, > gentilhomme de la chambre, le sieur Jomard, le chevalier > Dureau de La Malle; gens qui, à dire vrai, ne savent > point de grec, mais dont les principes sont connus. »

Voilà les plaisanteries qu'il me faut essuyer. Je saurais bien que répondre ; mais ce qui me fâche le plus, c'est que je vois s'accomplir cette prédiction que me fit autrefois mon père: Tu ne seras jamais rien. Jusqu'à présent je doutais. (comme il y a toujours quelque chose d'obscur dans les oraeles), je pensais qu'il pouvait avoir dit: Tu ne feras jamais.

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