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lui pardonna. Lorsqu'il reconnut sa faute, et répara par d'autres chants l'impiété des premiers, elle lui rendit la vue; car ayant été femme sensible, elle ne pouvait être Déesse inexorable.

< Mais ces exemples nous apprennent qu'elle peut égale≈ ment récompenser et punir. Comme fille de Jupiter, ayant fait l'ornement de son siècle et la gloire de son pays, elle a mérité ses autels; comme Déesse, il faut la craindre et l'honorer, les riches, par des hécatombes, et les sages par des hymnes; car c'est l'offrande que les Dieux aiment de ceux qui les savent composer. J'ai tâché de rassembler ici quelques traits de son éloge ; mais ce que j'en ai dit est loin d'égaler ce que je laisse à dire à d'autres. Car, sans parler de tant de connaissances utiles ou agréables, dont nous serions encore privés, sans la guerre entreprise pour elle, on peut dire que nous lui devons de n'être pas aujourd'hui assujettis aux Barbares. Ce fut par elle, en effet, que la Grèce apprit à unir toutes ses forces contre eux, et l'Europe lui doit le premier triomphe qu'elle ait obtenu sur l'Asie, triomphe qui fut l'époque d'un changement total dans le sort de la Grèce. Car nous étions depuis long-temps accoutumés à voir nous villes commandées par ceux d'entre les Barbares que la fortune réduisait à fuir leur propre pays. C'est ainsi que Danaus était sorti de l'Égypte pour venir gouverner Argos; que Cadmus, né à Sidon, avait régné sur les Thébains; que les Cariens bannis s'étaient emparés des îles, et la postérité de Tantale, de tout le Péloponnèse. Mais après avoir détruit Troye, la Grèce reprit bientôt une telle supériorité, qu'elle soumit, à son tour, jusques dans le cœur de l'Asie, des villes et des provinces.

< Ceux donc qui voudront entreprendre d'ajouter à l'éloge d'Hélène de nouveaux ornements, trouveront assez dans de semblables considérations, de quoi composer à sa louange des discours fleuris ».

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(POURl'intelligence de ce qui suit, il faut premièrement savoir que Paul-Louis, auteur de cette lettre, ayant découvert à Florence, chez les moines du mont Cassin, un manuscrit complet des Pastorales de Longus, jusque-là mutilées dans tous les imprimés, se préparait à publier le texte grec et une traduction de ce joli ouvrage, quand il reçut la permission de dédier le tout à la Princesse: ainsi appelait-on en Toscane la sœur de Bonaparte, Élisa. Cette permission, annoncée par le préfet même de Florence, et devant beaucoup de gens, à Paul-Louis, le surprit. Il ne s'attendait à rien moins, et refusa d'en profiter, disant pour raison que le public se moquait toujours de ces dédicaces; mais l'excuse parut frivole: le public, en ce tempslà, n'était rien, et Paul-Louis passa pour un homme poù dévoué à la dynastie qui devait remplir tous les trônes. Ze voilà noté philosophe, indépendant, ou pis encore, et mis hors de la protection du gouvernement. Aussitôt on Pattaque; les gazettes le dénoncent comme philosophe d'abord, puis comme voleur de grec. Un signor Puccini, chambellan italien de l'auguste Élisa, quelque peu clere, écrit en France, en Allemagne ; cette vertueusè princesse elle-même mande à Paris qu'un homme, ayant trouvé par hasard, déterré un morceau de grec précieux, s'en était emparé pour le vendre aux Anglais. Cela voulait dire qu'il fallait fusiller l'homme et confisquer son grec, s'il y eût eu moyen; car déjà les savants étaient en possession dü morceau déterré qui complétait Longus, de ce nouveau fragment en effet très précieux, imprimé, distribuégratiš avec la version de Paul-Louis:

Un autre Florentin, un professeur de grec appelé Furia, fort ignorant en grec et en toute langue, fâché de l'espèce de bruit que faisait cette découverte parmi les lettrés d'Italie, met la main à la plume, comme feu Janotus, compose une brochure. Les brochures étaient rares sous le grand Napoléon : celle-ci fut lue de-là les monts,et même parvint à Paris. M. Renouard, libraire, accusé dans ce pamphlet de s'entendre avec Paul-Louis, pour dérober du grec aux moines, répondit seul; Paul-Louis pensait à autre chose.

Il parut aussi des estampes, dont une le représentait dans une bibliothèque, versant toute l'encre de son cornet sur un livre ouvert, et ce livre c'était le manuscrit de Longus. Car il y avait fait, en le copiant, comme il est expliqué dans l'écrit qu'on va lire, une tache, unique prétexte de la persécution et de tant de clameurs élevées contre lui. On criait qu'il avait voulu détruire le texte original, afin de posséder seul Longus. Une Excellence à portefeuille trouve ce raisonnement admirable, et sans en demander davantage, ordonne de saisir le grec et le français publiés par Paul-Louis à Rome et à Florence; et ce fut une chose plaisante; car de peur qu'il n'eût seul ce qu'il donnait à tout le monde, le vizir de la librairie, ne sachant c'était que grec ni manuscrits, connaissant aussi peu Longus que son traducteur, d'abord avait écrit de suspendre la vente de l'œuvre, quelle qu'elle fut; puis apprenant qu'on ne vendait mais qu'on donnait ce grec et pas, ce français au petit nombre d'érudits amateurs de ces antiquités, il fit séquestrer tout, pour empêcher Paul-Louis de se l'approprier. Celui-ci ne s'en émut guère, et laissait sa Chloé dans les mains de la police, fort résolu à ne jamais faire nulle démarche pour l'en tirer; mais à la fin, il eut avis qu'on allait le saisir lui-même et l'arrêter. Cela le rendit attentif, et il commençait à rêver aux moyens de sortir d'affaire, quand il fut mandé chez le préfet de Rome, où il était alors, pour donner des éclaircissements

ce que

sur sa conduite, ses liaisons, son état, son bien, sa naissance et son pâté d'encre, le tout par ordre supérieur. İl écrivit à ce préfet, non sans humeur; voici sa lettre :

« Monsieur, j'ai négligé de répondre aux calomnies » publiées contre moi depuis environ un an, croyant que » ces sottises feraient peu d'impression sur les esprits sen» sés; mais puisque le ministre y met de l'importance, » et qu'enfin il faut m'expliquer sur ce pitoyable sujet, je vais donner au public, devant lequel on m'accuse, »ma justification aussi claire et précise qu'il me sera possible. Vous recevrez, Monsieur, le premier exemplaire » de ce mémoire très-succint, où Son Excellence trouvera » les renseignements qu'elle désire. »

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Le préfet répondit : « Monsieur, gardez-vous bien dė » rien publier sur l'affaire dont il est question ; vous vous * exposeriez beaucoup, et l'imprimeur qui vous prêterait » son ministère ne serait pas moins compromis. »

Il s'agissait d'un pâté d'encre, et remarquez, car il y a en toute histoire moralité, tout est matière d'instruction à qui veut réfléchir: admirez en ceci la doctrine du pouvoir; les calomnies s'impriment, mais la réponse, non. Chacun peut bien dire au public dans les pamphlets, dans les journaux, Paul-Louis est un voleur ; mais il ne faut pas que celui-ci puisse parler au même public et montrer qu'il est honnéte homme. Le ministre évoque l'affaire à son cabinet, où lui seul en décidera, et fera Paul-Louis honnéte homme ou fripon, selon qu'il croira convenir au service de sa majesté, selon le bon plaisir de son altesse impériale madame Bacciocchi.

Paul-Louis, bien empêché, récrivit aupréfet : « Mon » sieur, j'ignorais qu'il fallût votre permission pour im» primer mon petit mémoire justificatif; mais puisqu'elle » m'est nécessaire, je vous supplie de me l'envoyer. » İl n'eut point de réponse et l'avait bien prévu. Heureusement il se souvint d'un pauvre diable d'imprimeur nommé Lino Contadini, qui demeurait près de la Sapience, n'imprimait

que des almanachs, et devait être peu en règ le avec la nɔz». velle censure. Il va le trouver et lui dit : Or, sù, presto, sbrighiamola e si stampi questa cosa per l'eccellentissimo signor prefetto di pulizia ; c'est-à-dire : « Vite, qu'on imprime ceci pour monseigneur excellentissime préfet de police (ou de propreté, car c'est le même mot en italien). A quoi le bonhomme répondit : Padron mio riverito, come farò? Non capisco parola di francese; che vuol ella ch'io possa raccapezzar mai in questo benedetto straccio pieno di eossature? Mon cher Monsieur, comment ferai-je? n'entendant pas un mot de français, que puis-je comprendre à ce chiffon tout plein de ratures? Eh bien! repartit PaulLouis, nous y travaillerons ensemble; mais dépêchons, le préfet attend. Les voilà donc à la besogne, et Paul-Louis, compositeur, correcteur, imprimeur et le reste. Ce fut un merveilleur ouvrage que cette impression; il y avait dix fautes par ligne, mais à toute force on pouvait lire. La chose achevée, vient un scrupule à ce bonhomme d'imprimeur. Ne nous faudrait-il pas, dit-il, pour faire ce que nous faisons, une permission, un permesso? Non, dit PaulLouis. Si fait, dit l'autre. Et quoi, pour le préfet ? Attendez, dit Lino; je reviens tout-à-l'heure. Il s'en va chez le préfet, et cependant Paul-Louis fait un paquet d'une centaine d'exemplaires, qu'il emporte. Un quartd'heure après l'imprimerie était pleine de sbires. Ce sont les gendarmes du pays.

Ayant ce qu'il voulait à-peu-près, Paul-Louis écrivit encore au préfet une dernière lettre : « Monsieur, j'ai » trompé l'imprimeur Lino. Je lui ai fait accroire qu'il » travaillait pour vous : je lui ai parlé en votre nom et » comme chargé de vos ordres. Je l'ai háté en l'assurant » que vous attendiez impatiemment le résultat de son tra »vail; enfin, tous les moyens que j'ai pu imaginer, je » les ai mis en œuvre pour abuser cet homme qui, pensant » vous servir, ignorait ce qu'il faisait. Après une telle dé→ » claration, je vous erois, Monsieur, trop raisonnable

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