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Au rédacteur de la GAZETTE DU VILLAGE.

MONSIEUR,

Je suis.... malheureux ; j'ai fâché monsieur le maire ; il me faut vendre tout et quitter le pays. C'est fait de moi, Monsieur, si je ne pars bientôt.

Un dimanche, l'an passé, après la Pentecôte, en ce tempsci justement, il chassait aux cailles dans mon pré, l'herbe haute, prête à faucher et si belle!.... C'était pitié. Moi voyant ce ménage, Monsieur, mon herbe confondue, perdue, je ne dis mot, et pourtant il m'en faisait grand mal; mais je me souvenais de Christophe, quand le maire lui prit sa fille unique, et au bout de huit jours la lui rendit gâtée. Je le fus voir alors : si j'étais de toi, Christophe, ma foi je me plaindrais, lui dis-je. Ah! me dit-il, n'est-ce pas monsieur le maire? Pot de fer et pot de terre... il avait grand raison; car il ne fait point bon cosser avec de tels gens, et j'en sais des nouvelles. Me souvenant de ce mot, je regardais et laissais monsieur le maire, fouler, fourrager tout mon pré, comme eussent pu faire douze ou quinze sangliers, quand de fortune passent Pierre Houry d'Azai, Louis Bezard et sa femme, Jean Proust, la petite Bodin, allant à l'assemblée. Pierre s'arrête, rit, et en gaussant me dit : La voilà bonne ton herbe ; vends-la moi, Nicolas ; je t'en donne dix sous et tu me la faucheras. Moi, piqué, je réponds: gageons que je vas lui dire !... Quoi? Gageons que j'y vas. Bouteille, me dit-il, que tu n'y vas pas! Bouteille? je lui tappe dans la main. Bouteille chez Panvert, aux Portes de fer. Va, je pars tenant mon chapeau, j'aborde monsieur le maire. Monsieur, lui dis-je, monsieur; cela n'est pas bien à vous; non, cela n'est pas bien. Je gagnai la bouteille ainsi, je me perdis, je fus ruiné dès l'heure.

Ce qui plus lui fàchait, c'était sa compagnie, ces deux messieurs, et tous les passants regardant. Monsieur le

maire est gentilhomme par sa femme née demoiselle. Voilà pourquoi il nous tutoie et rudoie nous autres paysans; gens de peu, bons amis pourtant de feu son père. Il semble toujours avoir peur qu'on ne le prenne pour un de nous. S'il était noble de son chef, nous le trouverions accostable. Les nobles d'origine sont moins fiers, nous accueillent au contraire, nous caressent, et ne haissent guères qu'une sorte de gens, les vilains ennoblis, enrichis, parvenus.

Il ne répondit mot et poursuivit sa chasse. Le lendemain on m'assigne comme ayant outragé le maire dans ses fonctions; on me met en prison deux mois, Monsieur, deux mois dans le temps des récoltes, au fort de nos travaux! Hors de là, je pensais reprendre ma charrue. Il me fait un procès pour un fossé, disant que ce fossé, au lieu d'être sur mon terrain, était sur le chemin. Je perdis encore un mois à suivre ce procès que je gagnai vraiment; mais je payai les frais. Il m'a fait cinq procès pareils, dont j'ai perdu trois, gagné deux; mais je paie toujours les frais. Il s'en va temps, Monsieur, il est grand temps que je parte.

Quand j'épousai Lise Baillet, il me joua d'un autre tour. Le jour convenu, à l'heure dite, nous arrivons pour nous marier à la chambre de la commune. Il s'avise alors que mes papiers n'étaient pas en règle, n'en ayant rien dit jusquelà, et cependant la noce prête, tout le voisinage paré, trois veaux, trente-six moutons tués,..... il nous en coûta nos épargnes de plus de dix ans. Qu'y faire? Il me fallut renvoyer les conviés et m'en aller à Nantes quérir d'autres papiers. Ma fiancée, qui avait peur que je ne revinsse pas, étant déjà embarrassée, en pensa mourir de tristesse et du regret de sa nôce perdue. Nous empruntâmes à grose usure, afin de faire une autre rôce quand je fus de retour, et cette fois il nous maria. Mais le soir... écoutez ceci: nous dansions gaîment sur la place; car le curé ne l'avait pas encore défendu. Monsieur le maire envoie ses gens et ses chevaux caracoler tout au travers de nos contredanses. Son valet qui ést italien, disait en nous foulant aux pieds: Gente codarda

■ vile, soffrirai questo e peggio. Il prétend ce valet, que notre nation est lâche et capable de tout endurer désormais, que ces choses chez lui ne se font point. Ils ont, dit-il, dans son pays deux remèdes contre l'insolence de messieurs les maires, l'un appelé Stilettata, l'autre Schiopettata. Ce sont leurs garanties, bien meilleures, selon lui, que notre conseil-d'état. Où sclopettade manque, stilettade s'emploie, au moyen de quoi là le peuple se fait respecter. Sans cela, dit-il, le pays ne serait pas tenable. Pour moi, je ne sais ce qui en est; mais semblable recette chez nous n'étant point d'usage, il ne me reste qu'an parti, de vendre ma besace et déloger sans bruit. Si je le rencontrais seulement, je serais un homme perdu. Il me ferait remettre en prison comme ayant outragé le maire; il conte ce qu'il veut dans ses procès-verbaux. Les témoins au besoin ne lui manquent jamais; contre lui ne s'en trouve aucun. Déposer contre le maire en justice, qui oserait?

Si vous parlez de ceci, Monsieur, dans votre estimable journal, ne me nommez pas, je vous prie. Quelque part que je sois, il peut toujours m'atteindre. Un mot au maire du lieu, et me voilà coffré. Ces messieurs entre eux ne se refusent pas de pareils services.

Je suis, Monsieur, etc.

Na. En faveur de nos abonnés de la ville de Paris surtout, qui ne savent pas ce que c'est qu'un maire de village, nous publions cette lettre avec les précautions requises toutefois pour assurer l'incognito à notre bon correspondant. Tout Paris s'imagine qu'aux champs on vit heureux du lait de ses brebis, en les menant paître sous la garde, non des chiens seulement, mais des lois. Par malheur, il n'y a de lois qu'à Paris. Il vaut mieux être là ennemi déclaré des ministres, des grands, qu'ici ne pas plaire à monsieur le maire.

PIÈCE DIPLOMATIQUE,

EXTRAITE

DES JOURNAUX ANGLAIS.

(On l'a dit envoyée de Cadix à M. CANNING, par un de ses agents secrets, qui l'aurait eue d'un valet de chambre, qui l'aurait trouvée dans les poches de sa MAJESTÉ CATHÓ➡ LIQUE..)

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J'AI

A MON FRÈRE LE ROI D'ESPAGNne.

J'ai reçu la vôtre, mon Frère ou mon Cousin, puisque nous sommes issus de germains. Vous voilà bientôt, grâce au ciel, hors des mains de vos rebelles sujets, dont je me réjouis avec vous comme parent, voisin et ami, entièrement de votre avis d'ailleurs, sur notre autorité légitime et sacrée. Nous régnons de par Dieu qui nous donne les peuples, et nous ne devons compte de nos actes qu'à Dieu, ou aux prêtres, cela s'entend. J'y ajoute, comme conséquence également indubitable, qu'il ne nous faut jamais recevoir la loi des sujets; jamais composer avec eux, ou du moins nous croire engagés par de telles compositions vaines et nulles de droit divin. C'est aux personnes de notre rang. le dernier degré d'abaissement, que promettre aux sujets et leur tenir parole, comme a très bien dit Louis XIV, notre aïeul, de

glorieuse mémoire, qui savait son métier de roi. Sous lui, on ne vit point les Français murmurer, quelque, faix qu'il leur imposât, en quelque misère qu'il les pût réduire, pas un d'eux ne souffla mot, lui vivant. Pour ses guerres, ses maîtresses, pour bâtir ses palais, il prit leur dernier sou; c'est régner que cela. Charles II d'Angleterre fit de même à-peu-près; comme nous, rétabli après vingt ans d'exil et la mort de son père, il déclara hautement qu'il aimait mieux se soumettre à un roi étranger, ennemi de sa uation, que de compter avec elle, ou de la consulter sur les affaires de l'état ; sentiments élevés et dignes de son sang, de son nom, de son rang. Moi, qui vous écris ceci, mon Cousin, je serais le plus grand roi de l'Europe, si j'eusse voulu seulement m'entendre avec mon peuple. Rien n'était si facile. Me préserve le ciel d'une telle bassesse! j'obéis aux congrès, aux princes, aux cabinets, et en reçois des ordres, souvent embarrassants, toujours fort insolents; j'obéis néanmoins. Mais ce que veut mon peuple et que je lui promis, je n'en fais rien du tout, tant j'ai de fierté dans l'âme et d'orgueil de ma race. Gardons-la, mon Cousin, cette noble fierté à l'égard des sujets, conservons chèrement nos vieilles prérogatives; gouvernons, à l'exemple de nos prédécesseurs, sans écouter jamais que nos valets, nos maîtresses, nos favoris nos prêtres; c'est l'honneur de la couronne; quoi qu'il puisse arriver, périssent les nations plutôt que le droit divin.

་ . Là-dessus, mon Cousin, j'entre, comme vous voyez, dans tous vos sentiments, et prie Dieu qu'il vous y maintienne, mais je ne puis approuver de même votre répugnance pour ce genre de gouvernement qu'on a nommé représentatif, et que j'appelle moi récréatif, n'y ayant rien que je sache au monde, si divertissant pour un roi, sans parler de l'utilité non petite qui nous en revient. J'aime l'absolu, mais ceci..... pour le produit, ceci vaut mieux. Je n'en fais nulle comparaison et le préfère de beaucoup.

représentatif me convient à merveille, pourvu toutefois

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