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RÉPONSE

AUX ANONYMES.

N° 2.

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Véretz, le 6 Février 1823.

Vous êtes deux qui m'engagez à faire encore des pétitions.

A votre aise vous en parlez, et vous n'irez pas en prison pour les avoir lues. Mais moi, voyez ce qu'a pensé me coûter la dernière. Quinze mois de cachot et mille écus d'amende, sont-ce des bagatelles? de combien s'en est-il fallu que je ne fusse condamné? Les juges ont trouvé mon fait répréhensible, et plus répréhensible encore mon intention. La police, dans sa plainte, me dénonce comme un homme profondément pervers; messieurs de la police m'ont déclaré pervers, et ont signé Delaveau, Vidoc, etc. Je prenais patience. Mais ce procureur du roi, m'accuser de cynisme! Sait-il bien ce que c'est, et entend-il le grec? Cynos signifie chien cynisme, acte de chien. M'insulter en grec, moi helléniste juré! j'en veux avoir raison. Lui rendant grec pour grec, si je l'accusais d'Anisme, que répondrait-il ? mot. Il serait étonné. Quand il me donne du chien, si je lui donne de l'âne, pourvu toutefois que ce ne soit pas dans l'exercice de ses fonctions, serons-nous quittes? je le crois. Voilà pourtant, mes chers anonymes comme on traite votre correspondant, pour avoir demandé à danser le di

manche, et notez bien, peut-être n'aurais-je pas dansé, s'il m'eût été permis; on n'use pas de toute permission qu'on obtient. Peut-être ensuite m'eût-on fait danser malgré moi; car ces choses arrivent : tel, dont je tais le nom, sollicita la guerre, et, contraint de la faire, enrage. Mais que serait-ce, si j'allais demander, comme vous le voulez, la punition du prêtre qui a tué sa maîtresse, ou le mariage de celui qui a rendu la sienne grosse? alors triompherait le procureur du roi ; la morale religieuse me poursuivrait, aidée de la morale publique et de toutes les morales, hors celle que nous conuaissons, , que long-temps nous avons crue

la seule.

D'ailleurs, je ne suis pas si animé que vous contre ce curé de Saint-Quentin. Je trouve dans son état de prêtre de quoi, non l'excuser, mais le plaindre. Il n'eût pas tué assurément sa seconde maîtresse s'il eût pu épouser la première devenue grosse, et qu'il a tuée aussi, selon toute apparence. Voici comme on conte cela, dont vous semblez mal informés.

Il s'appelle Maingrat; n'avait guères plus de vingt ans quand, au sortir du séminaire, on le fit curé de Saint-Opre, village à six lieues de Grenoble. Là, son zèle éclata d'abord contre la danse et toute espèce de divertissement. Il défendit ou fit défendre par le maire et le sous-préfet, qui n'osèrent s'y refuser, les assembées, bals, jeux champêtres, et fit fermer les cabarets, non seulement aux heures d'office, mais, à ce qu'on dit, tout le jour les dimanches et fêtes. Je n'ai pas de peine à le croire; nous voyons le curé de Luynes défendre aux vignerons de boire le jour de SaintVincent leur patron. L'autre entreprit de réformer l'habillement des femmes. Les paysannes en manches de chemise ayant le bras tout découvert, lui parurent un scandale affreux.

Remarquez que sur ce point les prêtres ont varié. Menot, du temps de Henri II, prêcha contre les nudités en termes moins décents peut-être que la chose qu'il reprenait. Aussi

firent Maillard, Barlette, Feu-Ardent et le petit Feuilland. C'est même le texte ordinaire de leurs sermons, qu'on a encore. Mais depuis, sous Louis XIV vieux, un curé trouva fort mauvais que la duchesse de Bourgogne vînt à l'église en habit de chasse qui boutonnait jusqu'au menton et avait des manches. Il la renvoya s'habiller, hautement loué du roi d'abord, puis de toute la cour. La duchesse alla s'habiller, et revint bientôt à peu près nue, les épaules, les bras, le dos, le sein découverts, la chute des reins bien marquée. C'était l'habit décent, et elle fut admise à faire ses dévotions.

Mais l'abbé Maingrat ne souffrait point qu'un bras nu se montråt à l'église, et même ne pouvait, sans horreur, dans les vêtements d'une femme, soupçonner la forme du corps. Ami du temps passé d'ailleurs, il prêchait les vieilles mœurs à l'âge de vingt ans, la restauration, la restitution, tonnant contre la danse et les manches de chemises. Les autorités le soutenaient, les hautes classes l'encourageaient, le peuple l'écoutait, les gendarmes aussi et le garde champêtre, qui jamais ne manquaient au sermon. Enfin il voulait rétablir, d'accord avec ses supérieurs, la pureté de l'ancien régime. Pour y mieux réussir, il forma chez sa tante, venue avec lui à Saint-Opre, une école de petites filles auxquelles elle montrait à lire, les instruisant et préparant pour la communion. Il assistait aux leçons, dirigeait l'enseignement. Deux déjà parmi elles approchaient de quinze ans, et lui parurent mériter une attention particulière. Il les fit venir chez lui; distinction enviée de toutes leurs compagnes, flatteuse pour leurs parents. Ces jeunes filles donc vont chez le jeune curé. Partout cela se fait depuis quelques années, aux champs comme à la ville; les magistrats l'approuvent, et les honnêtes gens en augurent le prompt rétablissement des mœurs. Elles y allaient souvent, ensemble ou séparées; c'était pour écouter des lectures chrétiennes répéter le catéchisme, apprendre des versets, des psaumes, des oraisons; et tant y allèrent, qu'à la fin une d'elles se

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torze ans,

sent mal à l'aise, souffrante: elle avait des maux de cœur. Lisez l'histoire, et comparez, monsieur l'anonyme, le passé avee le présent. Pour moi je ne fais autre chose : c'est la meilleure étude qu'il y ait. Je trouve que, du temps de nos pères, Guillaume Rose, étant curé d'une paroisse de Paris, catéchisait de jeunes filles, qui s'assemblaient pour recevoir les pieuses leçons chez une dame. Là venait entre autres assidument la fille unique, âgée de treize à quadu président de Neuilly, qui bientôt fut grosse des œuvres de l'abbé Guillaume. Au temps des bonnes mœurs, pareille chose arrivait sans qu'on y prît trop garde, quand les filles n'avaient point de père président. Celui-ci porta plainte; on décréta Guillaume; le clergé intervint. La justice n'a jamais beau jeu contre le clergé, qui d'abord ne veut pas qu'on le juge, et en ce temps-là menait le peuple. Messire Guillaume se moqua du parlement, du président et de la fille, et de l'enfant, puis fut évêque de Senlis, dévoué au pape son créateur, comme on dit à Rome.

De ce genre est un autre fait moins ancien, mais horrible et par la plus semblable à celui de Maingrat. Il n'y a pas quarante ans que, dans un couvent près de Nogent-leRotrou, on élevait de jeunes demoiselles sous la direction d'un saint homme prêtre-abbé qui les confessait, les instruisait, catéchisait, et continua longues années, sans qu'on eût de lui nul soupçon. Mais à la fin, on découvrit qu'il en avait séduit plusieurs, et que, quand une devenait grosse, il l'empoisonnait, la gardait, écartant d'elle tout le monde, sous prétexte de confession ou d'exhortation à la mort, ne la quittait point qu'elle ne fût morte, ensevelie, enterrée. De tels faits rarement parviennent à la connaissance du public. Le saint personnage fut enlevé secrètement et enfermé, suivant la coutume d'alors. Retournons à l'abbé Maingrat.

Cette enfant se trouve grosse; ne sachant comment faire, ayant peur de sa mère, va se confesser au curé d'un village non loin de celui-là, à un homme tout différent de Maingrat. Il laissait danser, ne songeait point aux manches de che

mise. La pauvrette lui dit son malheur, et refusant de dé→ clarer qui en était cause, ne voulait accuser qu'elle seule. Mais, lui dit le curé, ma fille, est-il marié cet homme? Non.Il faut l'épouser. Impossible! elle se trompait; car qui peut empêcher un homme de se marier s'il ne l'est, de faire une épouse de celle qu'il a rendue mère ? quelle loi le défend? quelle morale? elle devait dire pauvre enfant! Dieu, les hommes, le bon sens, la nature, l'Evangile et la religion le veulent; mais le pape ne veut pas ; et pour cela je meurs, pour cela je suis perdue. Ainsi à peine répondaitelle, avec plus de sanglots que de mots, aux questions de ce bon curé qui, enfin pourtant, parvenu à lui faire nommer l'abbé Maingrat, dès le soir même alla chez lui et lui parla. L'autre se fâche au premier mot, s'emporte et crie contre le siècle, accusant Voltaire et Rousseau et la philosophie, et la corruption de la révolution. Le bon homme eut beau dire et faire, il n'en put tirer autre chose. Au bout de quelques jours, la fille disparut, sans que jamais parents ni amis en pussent avoir de nouvelles. On en demanda de tous côtés et long-temps inutilement; on finit par n'y plus penser. Voilà la première partie de l'histoire du curé Maingrat.

La seconde est connue par les papiers publics, où vous aurez pu voir comment, à cause des bruits qui couraient, on le transféra de Saint-Opre à la cure de Saint-Quentin, C'est la discipline. Quand un prêtre a donné quelque part du scandale, on l'envoie ailleurs. Dans les cas graves seulement, il est suspendu à sacris, privé pour un temps de dire messe, et si la justice s'en mêle, le clergé proteste aussitôt ; car on ne peut juger les oints. Le curé de Pezai en Poitou, l'abbé Gelée, ex-capucin, ayant commis là une grosse et visible faute contre son vœu de chasteté, la justice se tut malgré toutes les plaintes; on le transféra où il est et ne semble pas corrigé, comme ne le fut point l'abbé Maingrat, qui dans sa nouvelle paroisse, redoublant de sévérité, fit la guerre plus que jamais à la danse, et aux manches de chemise. Certaiue dévote, bientôt, femme d'un tourneur,

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