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à poindre, voici venir les six ainsi qu'il était convenu', montés sur leurs chevaux, et eux traversant l'esplanade, comme ils furent vers cet endroit où la nuit passée la cavale avait été liée, là le cheval de Darius se mit à courir et hennir. En même temps on ouït tonner et se vit un éclair sans puage, qui fut à Darius une sorte d'inauguration et comme une voix du ciel se déclarant pour lui. Les autres aussitôt sautant à bas de leurs chevaux adorèrent Darius et l'appelèrent roi.

Aucuns ainsi content l'invention que trouva OEbarès; mais d'autres disent, et de fait la chose en deux façons se raconte par les Perses, qu'il tint sa main cachée sous ses bragues, l'ayant frottée d'abord aux parties de la cavale, jusqu'à ce que le matin les chevaux allant partir, il sortit cette main, la porta aux narines du cheval de Darius et la lui fit sentir, lequel aussitôt se prit à souffler et hennir.

Darius donc fils d'Hystaspès fut déclaré roi et tous les peuples de l'Asie hors les Arabes lui obéirent, soumis par Cyrus premièrement et par Cambyse après. Les Arabes oncques n'obéirent aux Perses comme esclaves, mais furent leurs hôtes depuis qu'ils eurent fait passer en Egypte Cambyse; jamais les Perses n'eussent su, malgré les Arabes, avoir entrée en Egypte.

Ses premières femmes Darius Fes prit étant roi chez les Perses, deux filles de Cyrus, Atossa et Artystone, l'une Atossa mariée d'abord à Cambyse son frère, l'autre Artystone encore vierge. Il épousa aussi une fille de Smerdis fils de Cyrus, appelée Parmys, aussi eut la fille d'Otanès, celle-là qui reconnut le mage, et tout fut plein de sa puissance. Il fit faire au commencement et dresser un type de pierre, où pour figure il y avait un homme à cheval, et y fit engraver des lettres qui disaient: Darius fils d'Hystaspès, par la vertu de son cheval (disant le nom ) et d'OEbarès son palefrenier, obtint la royauté des Perses.

Cela fait il établit en Perse vingt gouvernements que là ils appellent Satrapies........

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Nous avons lu, dit Photius, les Métamorphoses de Lu> cius de Patras en plusieurs livres. Sa phrase est claire et > pure; il y a de la douceur dans son style; il ne cherche > point à briller par un bizarre emploi des mots, mais dans > ses récits il se plaît trop au merveilleux; tellement qu'on > le pourrait appeler un second Lucien et même ses deux > premiers livres sont quasi copiés de celui de Lucien, qui > a pour titre la Luciado ou l'Ane; ou peut-être Lucien a > copié Lucius; car nous n'avons pu découvrir qui des deux > est le plus ancien. Il semble bien, à dire vrai, que de > l'ouvrage de Lucius, l'autre a tiré le sien comme d'un » bloc, duquel abattant et retranchant tout ce qui ne con> venait pas à son but, mais dans le reste conservant et les > mêmes tournures et les mêmes expressions, il a réduit le > tout à un livre intitulé par lui la Luciade ou l'Ane. L'an > et l'autre ouvrage est rempli de fictions et de saletés, > mais avec cette différence que Lucien plaisante et se rit > des superstitions païennes, comme il a toujours fait, au > lieu que Lucius parle sérieusement et en homme persuadé > de tout ce qui se raconte de prestiges, d'enchantements, > de métamorphoses d'hommes en bêtes, et autres pareilles sottises des fables anciennes. >

Voilà ce que dit Photius, ou du moins ce qu'il a voulu dire; car ses expressions dans le grec sont assez embarrassées. Son jugement d'ailleurs et le grand sens que quelques uns lui ont attribué, brillent peu dans cette notice. Qu'est-ce, en effet, que ce parallèle de Lucien et de Lucius, et cet amour du merveilleux qu'il leur reproche, comme s'il parlait de Ctésias ou d'Onésicrite? Lucien s'est moqué des histoires pleines de merveilles et des fables extravagantes dont la lecture, à ce qu'il paraît, était de son temps fort goûtée. C'est dans ce dessein qu'il a écrit son Histoire véritable, parodie très ingénieuse, et depuis souvent imitée, des contes à dormir debout, d'Iamblique et de Diogène. L'auteur de cette plaisanterie aime les récits merveilleux, comme Molière le langage précieux. Sans mentir, il fallait que Photius ne connût guères les deux écrivains qu'il compare si mal à propos.

Ce qu'il ajoute, et cette différence qu'il prétend établir entre Lucien et Lucius, dont l'un, dit-il, parle tout de bou, l'autre se moque en écrivant les mêmes choses dans les mêmes termes, c'est bien là encore une rêverie toute manifeste, moins étrange cependant que celle de saint Augustin sur le même sujet. On ne sait, dit ce Père, s'il est vrai que Lucius ait été quelque temps transformé en âne. Je ne vois pas pourquoi il en doute, ayant accoutumé de dire : Credo quia absurdum. Mais à moins d'une pareille raison, qui jamais se persuadera que Lucius ait pu conter sérieusement sa métamorphose en âne, sa vie, ses misères sous cette forme, ses amours avec de grandes dames, et donner tout cela pour des faits? Quelle apparence qu'un récit dont l'âue que nous avons est l'abrégé fidèle, fût débité comme historique? Si cet abrégé représente, ainsi que le dit Photius, les propres phrases et les mots du livre des Métamorphoses; si ce sont en tout les mêmes traits qu'on a seulement raccourcis, le même narré, les mêmes paroles, comment donc concevoir que de ces deux ouvrages où tout était pareil, fût sérieux, l'autre bouffon? et comment l'exacte copie d'un

l'un

conte ennuyeux était-elle une satire si gaie? Voilà ce que Photius ne nous explique point. Je ne veux pas dire qu'il n'eût lu ou vu à tout le moins les deux livres ; mais ou sa notice ne fut faite que long-temps après cette lecture, ou en écrivant il pensait à toute autre chose. Il ne sait et n'a pu, dit-il, encore découvrir quel est le plus ancien de Lucien ou de Lucius, ni qui des deux a copié l'autre, et il demeure dans ce doute, sagement; car il se pourrait que Lucien, bien avant Lucius, eût fait cette histoire de Lucius lequel venant après cela, aurait copié son historien, et redit de soi les mêmes choses que l'autre en avait déjà dites. Tout cet amas d'absurdités montre avec quelle distraction écrivait le bon Patriarche.

Pour moi, je ne puis croire que Lucien ait jamais rien abrégé; ce n'était pas son caractère; il amplifie tout au contraire, et donne souvent à ce qu'il dit beaucoup trop de développement, ayant peut-être retenu ce défaut de son premier métier de sophiste et de déclamateur, esprit d'ailleurs plein d'invention qui n'avait nul besoin d'emprunt, et certes n'eût su se contraindre à retracer ainsi froidement une composition étrangère, sans y jamais mettre du sien, chose dont les traducteurs même et les plus serviles copistes ont peine à se défendre. Voltaire peut dans ses contes parfois imiter d'autres écrivains, prendre une pensée, un sujet ; mais ira-t-il trancrire des morceaux de Rabelais, des pages de Cyrano? Ces vives imaginations ne suivent personne à la trace, ne copient point trait pour trait. Dans l'abrégé que Théopompe fit de l'histoire d'Hérodote, il ne mit pas un mot d'Hérodote; cela se voit par les fragmens qui nous en restent. Denys d'Halicarnasse au contraire, en abrégeant lui-même ses Antiquités romaines, ne fit apparemment, comme dit ici Photius, que resserrer, élaguer, réduire en moindre dimension ce qui se trouvait plus étendu dans son premier ouvrage, dont il put très-bien conserver les phrases et les expressions, s'il n'espérait pas trouver mieux. Ainsi de notre auteur; car je ne fais nul doute que cet abrégé, si c'ea

est un, ne soit de Lucius lui-même, qui se déclare et se fait connaître avec assez de détail à la fin de son ouvrage, pour qu'on n'eût jamais dû l'attribuer à un autre. Cela ne fût pas arrivé non plus, selon toute apparence, si, à l'exemple des anciens, il eût pris soin de se nommer en tête, non à la fin du livre, et eût dit dès l'abord : Lucius a écrit ce qui suit. Mais ce n'était plus la coutume, et Longin se moque en un endroit de ceux qui alors prétendaient imiter en cela Hérodote et les auteurs du vieux temps. Il y fallait plus de façon. On se nommait quelque part en passant, dans le corps de l'ouvrage, comme fait ici Lucius, et comme Lucien l'a pratiqué dans son histoire véritable, ou on ne se nommait point du tout. L'ancien usage toutefois, s'il eût subsisté, valait mieux et eût épargné aux libraires une infinité de méprises; car il n'y a guères d'auteur célèbre de l'antiquité auquel ils n'aient attribué faussement différents ouvrages.

Lu

Mais je vais plus loin, et je dis que ceci n'est point un abrégé ; ce n'est point la copie réduite, mais l'original, au contraire, du livre des Métamorphoses, qui n'était qu'un développement ou plutôt une pitoyable amplification de celui-ci, écrite depuis par quelqu'autre, je crois, que cius, ou si l'on veut, par Lucius vieilli, mal inspiré, brouillé avec les Muses, ayant perdu toute sa verve; et voici sur quoi je me fonde. D'abord les anciens n'abrégeaient que des ouvrages historiques. Ce fut bien tard sous les empereurs de Constantinople, qu'on étendit à d'autres livres cette espèce de mutilation. Alors quelques compilations, de longs traités de grammaire et de philosophie furent réduits en petit volume; mais toujours on s'abstint de toucher aux ouvrages d'imagination, qui sont chose subtile et légère, dont la substance ne se peut saisir ni presser. Théopompe abrégea l'histoire d'Hérodote, Philiste celle de Thucydide, Brutus les livres de Polybe, quelques uns leurs propres ouvrages, comme Denys d'Halicarnasse, Timosthène, Philochorus, tous historiens; mais nul ne s'avisa jamais de rac

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