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j'aie voulu tuer un homme. Vous connaisez des gens qui ont tenté de faire tuer la moitié de la France par les puissances étrangères. Ils voulaient de l'argent, et moi aussi. Le cas est tout pareil. Vous n'avez contre moi que des preuves douteuses; vous avez leurs notes secrètes signées d'eux; yous me coupez le cou, et vous leur faites la révérence.

Je lis avec grand plaisir les mémoires de Montluc. C'est un homme admirable, il raconte des choses ! par exemple celle-ci : Un jour, il avait pris quinze cents huguenots, et ne sachant qu'en faire, il écrit à la cour. Le roi lui mande de les bien traiter. La reine lui fait dire de les tuer. Le roi, qui alors négociait avec leur parti, se flattait d'un accommodement. Mais la reine-mère ne voulait point d'accommodement. Voilà le bon maréchal en peine entre deux ordres si contraires. Enfin il se décide. Je crus, dit-il, ne pouvoir faillir en obéissant à la reine. Je tuai mes huguenots et fis bien; car le traité manqua, la guerre continua et la reine me sut gré de tout. Ce livre est plein de traits pareils. Mais pour en entendre le fin, il faut savoir l'histoire du temps. Il y avait en France alors deux gouvernements.

Est-il donc vrai que les notes secrètes ne savent plus où s'adresser et que tout se brouille là-bas. Leurs excellences européennes veulent, dit-on, se couper la gorge; l'Anglais défie l'Allemand. Celui-ci, plus rusé, lui joue d'un tour de diplomate, gagne le postillon de milord, qui verse sa Grâce dans un trou, pensant bien lui rompre le cou. Mais l'Anglais roule jusqu'au fond sans s'éveiller, et cuve son vin; puis, sorti de là, demande raison. Voilà les contes qu'on nous fait, et nous écoutons tout cela. Que vous êtes heureux à Paris de savoir ce qui se passe, et de voir les choses de près, surtout la garderobe et Rapp dans ses fonctions! C'est là ce que je vous envie.

SIMPLE DISCOURS

DE PAUL-LOUIS,

VIGNERON DE LA CHAVONNIÈRE,

AUX MEMBRES DU CONSEIL DE LA COMMUNE DE VÉRETZ,

DÉPARTEMENT D'INDRE-ET LOIRE.

A L'OCCASION D'UNE SOUSCRIPTION PROPOSÉE PAR SON EXCELLENCE LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR,

POUR L'ACQUISITION DE CHAMBORD.

SIMPLE DISCOURS.

Si nous avions de l'argent à n'en savoir que faire, toutes nos dettes payées, nos chemins réparés, nos pauvres sou lagés, notre église d'abord (car Dieu passe avant tout), pavée, recouverte et vitrée, s'il nous restait quelque somme à pouvoir dépenser hors de cette commune, je crois, mes amis, qu'il faudrait contribuer, avec nos voisins, à refaire le pont de Saint Avertin, qui, nous abrégeant d'une grande lieue le transport d'ici à Tours, par le prompt débit de nos denrées, augmenterait le prix et le produit des terres dans tous ces environs ; c'est-là, je crois, le meilleur emploi à faire de notre superflu, lorsque nous en aurons. Mais d'acheter Chambord pour le duc de Bordeaux, je n'en suis pas d'avis et ne le voudrais pas quand nous aurions de quoi, l'affaire étant, selon moi, mauvaise pour lui, pour nous et pour Chambord. Vous l'allez comprendre, j'espère, si vous m'écoutez ; il est fête, et nous avons le temps de

causer.

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Douze mille arpents de terre enclos que contient le parc de Chambord, c'est un joli cadeau à faire à qui les saurait labourer. Vous et moi connaissons des gens qui n'en seraient pas embarassés, à qui cela viendrait fort bien; mais lui, que voulez vous qu'il en fasse? Son métier, c'est de régner, un jour, s'il plaît à Dieu, et un château de plus ne l'aidera de rien. Nous allons nous gêner et augmenter nos dettes remettre à d'autres temps nos dépenses pressées, pour lui donner une chose dont il n'a pas besoin, qui ne lui peut servir et servirait à d'autres. Ce qu'il lui faut pour régner, ce ne sont pas des châteaux, c'est notre affection; car il n'est

sans cela couronne qui ne pèse. Voilà le bien dont il a besoin et qu'il ne peut avoir en même temps que notre argent. Assez de gens là-bas lui diront le contraire, nos députés tous les premiers, et sa cour lui répétera que plus nous payons, plus nous sommes sujets amoureux et fidèles, que notre dévouement croît avec le budget. Mais, s'il en veut savoir le vrai qu'il vienne ici, et il verra, sur ce point-là et sur bien d'autres, nos sentiments fort différents de ceux des courtisans. Ils aiment le prince en raison de ce qu'on leur donne, nous, en raison de ce qu'on nous laisse ; ils veulent Chambord pour en être, l'un gouverneur, l'autre concierge, bien gagé, bien logé, bien nourri, sans faire œuvre, et peu leur importe du reste. L'affaire sera toujours bonne pour eux, quand elle serait mauvaise pour le prince, comme elle l'est, je le soutiens; acquérant de nos deniers pour un million de terres, il perd pour cent millions au moins de notre amitié : Chambord, ainsi payé, lui coûtera trop cher; de telles acquisitions le ruineraient bientôt, s'il est vrai ce qu'on dit, que les rois ne sont riches que de l'amour des peuples. Le marché paraît d'or pour lui, car nous donnons et il reçoit il n'a que la peine de prendre ; mais lui, sans débourser de fait, y met beaucoup du sien, et trop, s'il diminue son capital dans le cœur de ses sujets : c'est spécu ler fort mal et se faire grand tort. Qui le conseille .ainsi n'est pas de ses amis, ou, comme dit l'autre, mieux vaudrait un sage ennemi.

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Mais quoi je vous le dis, ce sont les gens de cour dont Fimaginative enfante chaque jour ces merveilleux conseils; ils ont plutôt inventé cela que le semoir de Fehlemberg, ou bien le bateau à vapeur. On a eu l'idée, dit le ministre de faire acheter Chambord par les communes de France pour le duc de Bordeaux. On a eu cette pensée ! qui donc ? Est-ce le ministre ? il ne s'en cacherait pas, ne se contenterait pas de l'honneur d'approuver en pareille occasion. Le prince? à Dieu ne plaise que sa première idée ait été cellelà, que cette envie lui soit venue avant celle des bonbons

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