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bien, que tu sabres ces vilains, quand je te le commanderai, si je suis content de toi, j'écrirai à mon père qu'il te fasse laquais, garde de chasse ou portier. Allez, mon lieutenant.-Oh! le mauvais sujet. Va, tu en mangeras, de la

prison; je te le promets.

D'autres content autrement. L'arrivée de Benjamin, annoncée à Saumur, fit plaisir aux jeunes gens, qui voulurent le fêter, non que Benjamin soit jeune; mais ils disent que ses idées sont de ce siècle-ci, et leur conviennent fort. La jeunesse ne vaut rien nulle part, comme vous savez; à Saumur elle est pire qu'ailleurs. Ils sortent au-devant du député de gauche, et vont à sa rencontre avec musique, violons flûtes, fifres, hautbois. Les gentilshommes de la garnison qui ne veulent entendre parler ni du siècle ni de ses idées. trouvèrent celle-là très-mauvaise; et résolus de troubler la fête, attaquent les donneurs d'aubade, croyant ne courir aucun risque. Mais en ce pays-là, la garde nationale ne laisse point sabrer les jeunes gens dans les rues ; aussi n'estelle pas commandée par un duc. La garde nationale armée fit tourner tête aux nobles assaillants, qui bientôt, mal menés, quittent le champ de bataille en y laissant des leurs. Tel est le second récit.

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A Nogent le Rotrou, il ne faut point danser ni regarder dauser, de peur d'aller en prison. Là, les droits réunis s'en viennent au milieu d'une fête de village exercer (c'est le mot, nous appelons cela vexer); on chasse mes coquias. Gendarmes aussitôt arrivent ; en prison le bal et les violons, danseurs et spectateurs, en prison tout le monde. Ua maire verbalise; un procureur du roi (c'est comme qui dirait un loup quelque peu clerc) voit là-dedans des complots, des machinations, des ramifications! Que ne voit pas le zèle d'un procureur du roi (il traduit devant la cour d'assises vingt pauvres gens qui ne savaient pas que le roi eût un procureur. Les uns sont artisans, les autres laboureurs, quelques uns parents du maire, tous perdus sans ressource. Qui sèmera leur champ? qui fera leurs travaux, pendant six

mois de prison ou plus? Qui prendra soin de leurs familles? Et sortis, s'ils en sortent, que deviendront-ils après ? mendiants ou voleurs par force; nouvelle matière pour le zèle de M. le procureur du roi.

Ici scène moins grave; il s'agit de préséance. A l'église C'était grande cérémonie, office pontifical, cierges allumés, faux-bourdon, procession, cloches en branle; le concours des fidèles et cet ordre pompeux faisaient plaisir à voir. Au beau milieu du choeur, deux champions couverts d'or, se gourment, s'apostrophent. Ote-toi.—Non, c'est ma place.

C'est la mienne.-Tu ments. Coups de pied, coups de poing. Tu n'es pas royaliste. Je le suis plus que toi. - Non, mais moi plus que toi. Je te le prouverai, je te le ferai voir. Notre mère sainte église, affligée du scandale, y voulut mettre fin; le ministre du Très-Haut arrive crossé, mitré. Ah, monsieur le général! ah monsieur le commandant de la garde nationale! Mon cher comte! mon cher chevalier! Laissez-là cette chaise, monsieur le général; rengaînez votre épée, monsieur le commandant.

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Par malheur le payeur ne se trouvait pas là car il eût apaisé la noise tout d'abord, en faisant savoir à ces messieurs ce que chacun d'eux touche par mois du gouvernement; on eût pu calculer, en francs, de combien l'un était plus royaliste que l'autre, et régler les rangs sans dispute. La charge de payeur devrait toujours s'unir à celle de maître des cérémonies. Je l'ai dit à Perceval, un de nos députés ; il en fera la proposition dès qu'il sera conseiller d'état.

Mais dites-moi, je vous prie, vous qui avez couru, sauriez-vous un pays où il n'y eût ni gendarmes, ni rats de cave, ni maire, ni procureur du roi, ni zèle, ni appointements (je voulais dire dévouement; n'importe, c'est tout un ), ni généraux, ni commandants, ni nobles, ni vilains qui pensent noblement? Si vous savez un tel pays sur la mappemonde, montrez-le-moi, et me procurez un passeport.

Voilà Perceval en bon chemin. Secrétaire de la guerre !

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cela s'appelle tirer son épingle du jeu. C'est un habile garçou; il n'en demeurera pas là tant vaut l'homme, tapt vaut la députation. Les. sots n'attrapent rien; quelques uns. y mettent du leur. Il n'ose, dit-ou, revenir ici de peur de la sérénade. Quelle faiblesse je me moquerais et de la sé-, rénade et de mes commettants. Bellart n'en est pas mort à Brest. Un autre de nos députés, M. Gouin Moisan, est ici. un peu fâché, à ce qu'on dit, de n'avoir pu encore rien tirer, des ministres, ni pour lui, ni pour sa famille. Ce M. Gouin Moisan est un honnête marchand que la noblesse méprise, et qui vote avec elle, sans qu'elle le méprise moins, comme vous pensez bien. Pour les services par lui rendus au parti gentilhomme, il voudrait qu'on le fît noble; il se contenterait du titre de baron. La noblesse française n'a point de baron Gouin, et s'en passe volontiers; mais Gouin ne se passe pas de noblesse. Depuis trois ans entiers, il se lève. il s'assied avec le côté droit, dans l'espérance d'un parchemin. Quand on peut à ce prix rendre les gens heureux, il faut avoir le cœur bien ministériel pour les laisser languir. Le service des nobles est dur et profite peu; on leur sacrifie tout; on renie ses amis, ses œuvres, ses paroles; on abjure le vrai ; toujours dire et se dédire, parler contre son sens ; combattre l'évidence et mentir sans tromper ; je ne m'étonne pas que de Serre en soit malade. Renoncer à toute espèce de bonne foi, d'approbation de soi-même et d'autrui; affronter le haro, l'indignation publique ! pour qui ? pour des ingrats qui vous paient d'un cordon et disept: Le sieur Laisné, le nommé de Villèle, un certain Donnadieu. Eh! bonjour, mon ami, votre père fait-il toujours de bons souliers? Çà, vous dînerez chez moi, quand je n'aurai personne. Voilà la ré~ compense. Va pour de telles gens, va trahir ton mandat, et livre à l'étranger ta patrie et tes dieux. Aiusi parle un vilain dégoûté de bien penser; mais la moindre faveur d'un coup d'œil caressant le rengage comme Sosie, et fait taire la conscience, la patrie et le mandat.

Nous en allons faire de nouveaux, je dis des députés,

Dieu sait quels, blancs ou noirs, mais bonnes gens, à coup sûr. En attendant ce jour, on rit de la querelle de Paul et du préfet; c'est affaire d'élection. Paul veut être électeur; le préfet ne veut pas qu'il le soit, et lui fait la plus plaisante chicane.... Paul n'a pas de domicile, dit le préfet, attendu qu'il a été soldat; il a femme et enfant dans ce département, cultive son héritage, habite la maison de son père et de son grand-père, paie treize cents francs d'impôts; tout cela n'y fait rien. Il a été soldat pendant seize ans, rebelle aux puissances étrangères, aux cabinets de l'Europe; il a quitté le pays. Que ne restait-il chez lui ? ou s'il eût émigré.... C'est un mauvais sujet, un vagabond indigne d'être même électeur. Cette bouffonnerie réjouit toute la ville, et le département, et le bonhomme Paul, qui, labourant son champ, se moque des cabinets. Adieu : portez-vous bien ; que tout ceci soit entre nous.

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SECONDE

LETTRE PARTICULIÈRE.

Tours, 28 novembre 1820.

Vous êtes babillard et vous montrez mes lettres, ou bien vous les perdez; elles vont de maio en main et tombent dans les journaux. Le mal serait petit si je ne vous mandais que les nouvelles du Pont-Neuf; mais de cette façon tout le monde sait nos affaires. Et croyez-vous, je vous prie, moi qui ai toujours fui la mauvaise compagnie, que je preane plaisir à me voir dans la Gazette ?

Notre vigue n'est point si chétive qu'on le voudrait bien faire croire. Les vieilles souches, à vrai dire, sout pourries jusqu'au cœur, et le fruit n'en vaut guères; mais un jeune plant s'élève, qui va prendre le dessus et couvrir tout bientôt. Laissez-le croître avec cette vigueur, cette sève, seulement cinq ou six ans encore, et vous m'en direz des nouvelles.

Si vous me promettiez de tenir votre langue, je vous conterais..... mais non; car vous iriez tout dire, et je suis averti ; je vous conterais nos élections, comment tout cela s'est passé, la messe du Saint-Esprit, le noble pair et son urne, le club des geatilshommes, l'embarras du préfet, et d'autres choses non moins utiles à savoir qu'agréables; mais quoi vous ne pouvez rien taire; un peu de discrétion est bien rare aujourd'hui. Les gens crèveraient plutôt que de me point jaser, et vous tout le premier. Vous ne saurer

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