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le froid; la tempête n'a pas encore fondu sur sa tête; il ne voit la vie qui se présente à lui que comme une route semée de fleurs; il ne prévoit aucun des dangers et des malheurs qui l'attendent; le chagrin n'a pas ridé son front et effacé la noblesse de ses traits; l'on y distingue encore la première origine du roi de la nature; la défiance n'a pas rendu sa démarche arrêtée et suspendue, son regard inquiet, son coup d'œil fixe et sinistre, son esprit, dégagé de préjugés et de soucis, ne lie que des idées agréables, n'enfante que des images gracieuses; si quelques peines légères viennent troubler les beaux jours qui sont tissus pour lui, elles sont toutes hors de lui, elles ne laissent aucun souvenir, elles se dissipent rapidement avec les objets qui les ont fait naître : que lui manque-t-il pour offrir l'image laplus fidèle des grâces, de la gaieté, de l'agrément, des charmes et de la gentillesse ?

La Jeunesse.

Maintenant se présente à nous la brillante jeunesse, cet âge où la nature morale et la nature physique développent et étendent leurs forces, où l'esprit se déploie, et où les impressions seroient plus profondes que jamais, si la réflexion les accompagnoit, la réflexion, cette faculté qui seule peut arrêter nos idées, fixer nos sentimens, et durcir véritablement leur empreinte. C'est alors que les passions commencent à exercer leur empire orageux, c'est alors que tous les objets règnent si aisément sur l'âme; rien ne la remue foiblement, comme dans l'enfance, tout la secoue violemment: le jeune homme ne vit que d'élans et de transports, heureux quand ses transports ne l'entraînent que dans la route qu'il doit parcourir! heureux lorsque les mains sages qui le dirigent ne s'efforcent point d'éteindre le feu qui le dévore, et qu'elles ne pourroient parvenir à étouffer, mais qu'elles cherchent à contenir ce feu, à le lancer vers les vertus sublimes, vers tout le bien auquel la jeunesse peut atteindre!

Venant d'un âge où personne n'a eu besoin de se défendre contre lui, où personne n'a pu le redouter, où, par conséquent rien ne lui a résisté; sentant chaque jour de nouvelles forces qui se développent en lui; imaginant

qu'elles augmenteront toujours, ne les ayant encore mesurées avec aucun obstacle; pensant que rien ne peut les égaler; croyant que tout doit s'aplanir devant lui, fier, indomptable, et voulant secouer entièrement le joug sous lequel sa foiblesse l'a retenu pendant son enfance, le jeune homme est l'image de la liberté et de l'indépendance. Il fuit tout ce qui peut lui retracer ce qu'il appelle son esclavage, tout ce qui peut lui peindre son ancienne soumission; il dédaigne des demeures trop resserrées où son corps et son esprit se trouvent à l'étroit; il ne se plaît que dans une vaste campagne, où il peut en liberté exercer ses forces à courir, son courage à dompter des coursiers sauvages, son adresse à les dresser, et son intrépidité à vaincre et à immoler des animaux féroces. Là, il saute de joie sur la terre qu'il peut maintenant parcourir à son gré; il agite ses membres vigoureux; il s'essaie à transporter de lourds fardeaux; il croit avoir beaucoup fait lorsqu'il a renversé avec effort un bloc de rocher, abattu avec vigueur un arbre, ou devancé ses chiens à la course. Ses traits ne sont plus l'image de la grâce et de la gentillesse, comme dans l'enfance, mais celle de la fierté. Son corps, dont les contours sont plus durement exprimés, offre des muscles dessinés avec force, et dont le jeu rapide et puissant annonce sa supériorité; ses cheveux brunis par le soleil, dont il se plait à affronter les ardeurs, sont plus longs et plus touffus; ses yeux pleins de feu brillent de courage; ses bras portent déjà les dures empreintes, non pas de ses travaux utiles, mais de ses travaux capricieux; sa démarche est ferme, sa tête élevée, son ton de voix imposant; il a l'air du fils d'Hercule, et paroît destiné à remuer sa massue et à dompter les monstres. Impétueux, remué aussi souvent que l'enfance, mais toujours agité violemment, transporté à la présence de chaque objet nouveau, changeant à chaque instant de place, de projets et de désirs, franchissant tous les obstacles, impatient de tout retardement; qui pourroit s'opposer à sa course rapide et vagabonde? La voix seule du sentiment est assez forte pour le retenir. La nature qui parle dans son cœur plus haut que tous les objets qui l'entourent, ui fait reconnoître, chérir et vénérer la voix de celui qui

lui donna le jour, et qui soigna son enfance: c'est un lion que l'on conduit avec une chaîne couverte de roses, sans qu'il songe à rompre de si doux liens. Heureux le jeune homme, lorsque la tendresse paternelle est le seul frein donné à son courage, lorsque les passions, si dangereuses, si vives à cet âge des erreurs, ne s'emparent pas de son ame, et ne la livrent pas en proie à toutes les illusions, à toutes les fausses espérances, à tous les tourmens; lorsque la plus terrible de ces passions ne vient pas le dominer! Elle commence par le séduire, elle lui peint tous les objets en beau; elle présente la nature plus riante et plus belle aux yeux fascinés du jeune homme trompé : elle conduit ses pas dans une route en apparence semée de fleurs: par un pouvoir fantastique, elle lui fait voir, au bout de cette fatale carrière les portes du temple du bonheur ouvertes pour le recevoir, elle lui montre sa place marquée à côté de l'objet de sa passion funeste; c'est Armide qui conduit Renaud dans une île enchantée, qui le retient éloigné de ses guerriers, de son devoir et de sa gloire, et qui, en l'entourant de guirlandes, l'enlace dans des chaînes dont bientôt il sentira tout le poids.

L'Age Mûr.

L'homme jouit ici de toutes les forces de son corps et de son esprit les passions tumultueuses, et que l'ivresse ne cesse d'accompagner, ne règnent plus avec assez de force sur lui pour offusquer sa raison. Le rayon divin qui l'anime brille de tout son éclat; son intelligence, échauffée par les feux que le trouble de la jeunesse a laissés dans son imagination, jouit de tous ses droits, et soumet tout à sa puissance. Son âme, animant alors un corps parfait, dont tous les organes ont reçu un juste degré de développement, où la force et la souplesse se trouvent réunies, et où tout seconde les divers mouvemens qui l'agitent, s'élance vers les spéculations les plus sublimes, découvre les grandes vérités, entreprend, exécute, achève les plus grands travaux: alors l'homme, véritable emblème de la majesté et de la puissance, élevant sa tête droite et auguste sur un corps robuste et endurci, marche, parle, agit en maître de la nature, lui commande, et la fait servir à ses nobles desseins.

Mais si les passions folles de la jeunesse ne déchirent pas son âme, elle est en proie à des passions presque aussi redoutables, moins vives, mais bien plus constantes. L'ambition fait briller devant lui des couronnes de toute espèce; elle l'engage dans des routes épineuses pour arriver au but éclatant qu'elle lui offre, but illusoire et fantastique qui fuit presque toujours devant ceux qui cherchent à y parvenir, et qui disparoît enfin aux yeux de ceux qui sont près de l'atteindre. Il suit la voix de cette ambition cruelle et celle de la fausse gloire; il médite des projets sanguinaires; il forge des chaînes pour des voisins dont tout le crime est d'être trop près de lui; il court aux armes; il aiguise le fer meurtrier; il va, la flamme à la main, cueillir, au milieu des horreurs d'une guerre injuste et barbare, des lauriers teints de sang: assis sur les débris d'une ville fumante, entouré des victimes infortunées de sa passion forcenée, il contemple avec des yeux féroces et cruels le ravage qui couvre au loin les campagnes; et tous ses geste sont des signes de mort et de désolation. Ici, avide d'or et de vaines richesses, quels dangers ne brave-t-il pas pour assouvir sa brutale avarice? Dans sa rage féroce, il répand le sang de tout un monde nouveau que le génie n'avoit pas découvert pour des forfaits horribles, il le change en un vaste désert, court semer les crimes les plus atroces dans une partie immense de l'ancien monde, en réduit sous le joug les malheureux habitans, et les transporte chargés de chaînes, sur le nouveau monde qu'il a dévasté, et où il a cru, dans sa fureur insensée, faire venir de l'or en l'abreuvant de sang.

D'un autre côté, la gloire et souvent la vertu l'appellent dans de nouvelles routes interrompues par un grand nombre de précipices, mais dont le but, bien loin d'offrir un vain fantôme, présente l'image sacrée de l'utilité publique. Alors, prince juste, bon et généreux, il donne la paix et le bonheur au monde, et ne compte ses jours que par ses bienfaits. Ici, dispensateur des grâces d'une religion consolatrice, ou des lois sacrées de la propriété et de la sûreté publique, il reçoit, dans les acclamations des citoyens qu'il console et qu'il protége, la touchante récompense de ses vertus: là, il appelle l'agriculture, le com

merce et les arts utiles, et leur dit de fertiliser, de peu pler un pays inculte, par ses bienfaits, ses travaux et son industrie: il unit les Etats les plus reculés, il les enrichit par ses soins, il les protége par sa puissance guerrière, ses talens militaires, ses vertus héroïques; faisant naître les arts agréables, il répand mille charmes au milieu des tranquilles habitations de ses semblables; il les réunit, radoucit leurs caractères, et en affoiblit la dureté, leur inspire, les vertus aimables, calme leurs peines par de vives et d'innocentes jouissances, leur retrace leurs anciens héros, leurs guerriers illustres, leurs grands hommes, fait revivre leurs hauts faits et leurs sublimes pensées. Recueilli enfin dans une paisible retraite, consultant en secret la nature, abandonnant, pour ainsi dire, sa dépouille mortelle, s'élevant sur les ailes de son génie, et de la contemplation, il découvre et montre à ses semblables les vérités les plus cachées et les plus utiles.

La Vieillesse.

Si l'homme, parvenu à l'âge viril, jouit de tout son être, s'il est alors arrivé au plus haut degré de puissance, il va bientôt en déclinant; chaque jour ses facultés s'affoiblissent, les forces de son corps diminuent, il passe à la vieillesse. Que cet état, digne de tous nos hommages, ne soit introduit sur la scène tragique que pour intéresser, que pour y faire verser des larmes!

Que l'on conserve à la vieillesse que l'on produira sur la scène, toute la raison et toute la lumière de l'expérience; qu'elle présente même encore quelquefois un corps vigoureux, et que sous ses cheveux blancs elle offre toujours un front auguste; que le vieillard soit représenté comme un chêne antique qui soutient encore avec force ses rameaux puissans; qu'il soit plein de douceur et d'une tendre compassion; que les maux qu'il a éprouvés, que l'expérience qu'il a de la foiblesse humaine, et des dangers de toute espèce qui entourent ses semblables, remplissent son cœur d'une charité douce; qu'il plaigne et qu'il pardonne; que la nature ne cesse de se faire entendre à son cœur.

"Comme l'on doit voir avec intérêt cette image de la

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