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ce vous prie que nous en comptions ensemble.... — Si, » dit Bertrand, « ce n'est qu'un sermon, je n'ai point pensé à ce compte.... il n'y a que du bien à faire : raison donne que vous suiviez votre maître. Ainsi le doit faire tout preudhomme: bonne amour fist l'amour de nous, et aussi en sera la départie, dont me poise qu'il convient qu'elle soit. » Lors le baisa Bertrand et tous ses compagnons aussi : moult fut piteuse la départie'. »

Ce désintéressement des chevaliers, cette élévation d'ame, qui mérita à quelques-uns le glorieux nom de sans reproche, couronnera le tableau de leurs vertus chrétiennes. Ce même Du Guesclin, la fleur et l'honneur de la chevalerie, étant prisonnier du prince Noir, égala la magnanimité de Porus entre les mains d'Alexandre. Le prince l'ayant rendu maître de sa rançon, Bertrand la porta à une somme excessive. « Où prendrez vous tout cet or? » dit le héros anglais

1. Vie de Bertrand Du Guesclin.

étonné. «< Chez mes amis,» repartit le fier connétable: «< il n'y a pas de fileresse en France qui ne filât sa quenouille pour me

tirer de vos mains. >>

La reine d'Angleterre, touchée des vertus de Du Guesclin, fut la première à donner une grosse somme pour hâter la liberté du plus redoutable ennemi de sa patrie. « Ah! madame,» s'écria le chevalier Breton en se jetant à ses pieds, « j'avais cru jusqu'ici estre le plus laid homme de France, mais je commence à n'avoir pas si mauvaise opinion de moi, puisque les dames me font de tels présents. »

NOTES

ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

NOTE UNIQUE, page 321.

LORSQUE nous avons parlé, dans le volume précédent, des beaux sujets de l'histoire moderne qui pourraient devenir intéressants s'ils étaient traités par une main habile, l'Histoire des Croisades, de M. Michaud, n'avait pas encore paru. Nous exprimerons notre pensée ailleurs sur cet excellent ouvrage1; en voici un fragment qui vient à l'appui de ce que nous avons dit sur les avantages que l'Europe a retirés de l'institution de la chevalerie:

La chevalerie était connue dans l'Occident

avant les Croisades: ces guerres, qui semblaient avoir le même but que la chevalerie, celui de défendre les opprimés, de servir la cause de Dieu, et de combattre les Infidèles, donnèrent

1. Mélanges littéraires, tome XXV des œuvres complètes.

à cette institution plus d'éclat et de consistance, une direction plus étendue et plus salutaire.

« La Religion, qui se mêlait à toutes les institutions et à toutes les passions du moyen âge, épura les sentiments des chevaliers, et les éleva jusqu'à l'enthousiasme de la vertu. Le christianisme prêtait à la chevalerie ses cérémonies et ses emblèmes, et tempérait, par la douceur de ses maximes, l'aspérité des mœurs guerrières.

<«< La piété, la bravoure, la modestie, étaient les qualités distinctives de la chevalerie: Servez Dieu, et il vous aidera; soyez doux et courtois à tout gentilhomme en ôtant de vous tout orgueil; ne soyez flatteur, ni rapporteur, car telles manières de gens ne viennent pas à grande perfection. Soyez loyal en faits et dires ; tenez votre parole, soyez secourables à ́pauvres et orphelins, et Dieu vous le guer

donnera.

« Ce qu'il y avait de plus admirable dans l'esprit de cette institution, c'était l'entière abnégation de soi-même; cette loyauté, qui faisait un devoir à chaque guerrier d'oublier sa propre gloire, pour ne publier que les hauts faits de ses compagnons d'armes. Les vaillances d'un chevalier étaient sa fortune, sa vie; et celui qui les taisait était ravisseur des biens d'autrui.

Rien ne paraissait plus répréhensible que de se louer soi-même. Si l'écuyer, dit le Code des preux, a vaine gloire de ce qu'il a fait, il n'est pas digne d'être chevalier. Un historien des Croisades nous offre un exemple singulier de cette vertu, qui n'est pas tout-à-fait l'humilité, et qu'on pourrait appeler la pudeur de la gloire, lorsqu'il nous représente Tancrède s'arrêtant sur le champ de bataille, et faisant jurer à son écuyer de garder à jamais le silence sur ses exploits.

« La plus cruelle injure qu'on pût faire à un chevalier, c'était de l'accuser de mensonge. Le manque de fidélité, le parjure, passaient pour le plus honteux des crimes. Quand l'innocence opprimée implorait le secours d'un chevalier, malheur à celui qui ne répondait point à cet appel! L'opprobre suivait toute offense envers le faible, toute agression envers l'homme désarmé.

"

L'esprit de la chevalerie entretenait et fortifiait parmi les guerriers les sentiments généreux qu'avait fait naître l'esprit militaire de la féodalité le dévouement au souverain était la première vertu, ou plutôt le premier devoir d'un chevalier. Ainsi, dans chaque État de l'Europe, s'élevait une jeune milice toujours prête à

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