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nemis. » Adonc print le roi son chapelet qu'il portoit sur son chef (qui étoit bon et riche), et le mit sur le chef de monseigneur Eustache, et dit : « Monseigneur Eustache, je vous donne ce chapelet pour le mieux combattant de la journée. Je sais que vous êtes gay et amoureux, et que volontiers vous trouverez entre dames et damoiselles : si, dites partout où vous irez que je le vous ai donné. Si, vous quitte votre prison, et vous en pouvez partir demain s'il vous plaist'. »

Jeanne d'Arc ranima l'esprit de la chevalerie en France; on prétend que son bras était armé de la fameuse joyeuse de Charlemagne, qu'elle avait retrouvée dans l'église de Sainte-Catherine-de-Fierbois, en Touraine.

Si donc nous fûmes quelquefois abandonnés de la fortune, le courage ne nous manqua jamais. Henri IV, à la bataille d'Ivry, criait à ses gens qui pliaient : « Tour

r. Froissard.

nez la tête, si ce n'est pour combattre, du moins pour me voir mourir, » Nos guerriers ont toujours pu dire dans leur défaite, ce mot qui fut inspiré par le génie de la nation, au dernier chevalier français à Pavie: «< Tout est perdu fors l'honneur, »

Tant de vertus et de vaillance méritaient bien d'être honorées. Si le héros recevait la mort dans les champs de la patrie, la chevalerie en deuil lui faisait d'illustres funérailles; s'il succombait, au contraire, dans des entreprises lointaines, s'il ne lui restait aucun frère d'armes, aucun écuyer pour prendre soin de sa sépulture, le ciel lui envoyait pour l'ensevelir quelqu'un de ces Solitaires qui habitaient alors dans les déserts, et qui

Su'l Libano spesso, e su'l Carmelo

In aera magion fan dimoranza.

C'est ce qui a fourni au Tasse son épisode de Suénon : tous les jours un Solitaire de la Thébaïde, ou un ermite du Liban, recueillait les cendres de quelque chevalier

massacré par les Infidèles; le chantre de Solyme ne fait que prêter à la vérité le langage des Muses.

<< Soudain de ce beau globe, ou de ce soleil de la nuit, je vis descendre un rayon qui, s'allongeant comme un trait d'or, vint toucher le corps du héros.

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« Le guerrier n'était point prosterné dans la poudre; mais de même qu'autrefois tous ses désirs tendaient aux régions étoilées, son visage était tourné vers le ciel, comme le lieu de son unique espérance. Sa main droite était fermée, son bras raccourci; il serrait le fer dans l'attitude d'un homme qui va frapper; son autre main, d'une manière humble et pieuse, reposait sur sa poitrine, et semblait demander pardon à Dieu.

<< Bientôt un nouveau miracle vient attirer mes regards.

<< Dans l'endroit où mon maître gisait étendu, s'élève tout à coup un grand sépulcre, qui, sortant du sein de la terre,

embrasse le corps du jeune prince, et se referme sur lui.... Une courte inscription rappelle au voyageur le nom et les vertus du héros. Je ne pouvais arracher mes yeux de ce monument, et je contemplais tour à tour, et les caractères, et le marbre fu

nèbre.

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Ici,» dit le vieillard, « le corps de ton général reposera auprès de ses fidèles amis, tandis que leurs ames jouiront, en s'aimant dans les cieux, d'une gloire et d'un bonheur éternels '. >>

Mais le chevalier, qui avait formé dans sa jeunesse ces liens héroïques qui ne se brisaient pas même avec la vie, n'avait point à craindre de mourir dans les déserts : au défaut des miracles du ciel, ceux de l'amitié le suivaient. Constamment accompagné de son frère d'armes, il trouvait en lui des mains guerrières pour creuser sa tombe, et un bras pour le venger. Ces unions étaient confirmées par les plus re

1. Jer. lib., cant. vIII.

doutables serments: quelquefois les deux amis se faisaient tirer du sang, et le mêlaient dans la même coupe; ils portaient pour gage de leur foi mutuelle, ou un cœur d'or, ou une chaîne, ou un anneau. L'amour, pourtant si cher aux chevaliers, n'avait, dans ces occasions, que le second droit sur leurs ames, et l'on secourait son ami de préférence à sa maîtresse.

Une chose néanmoins pouvait dissoudre ces nœuds, c'était l'inimitié des patries. Deux frères d'armes, de diverses nations, cessaient d'être unis dès que leurs pays ne l'étaient plus. Hue de Carvalay, chevalier anglais, avait été l'ami de Bertrand Du Guesclin: lorsque le prince Noir eut déclaré la guerre au roi Henri de Castille, Hue fut obligé de se séparer de Bertrand; il vint lui faire ses adieux, et lui dit :

« Gentil sire, il nous convient départir. Nous avons été ensemble par bonne compagnie, et avons toujours eu du vôtre à nôtre ( de l'argent en commun), si pense bien que j'ai plus reçu que vous; et pour

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