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Les entreprises solitaires servaient au chevalier comme d'échelons pour arriver au plus haut degré de gloire. Averti par les ménestriers, des tournois qui se préparaient au gentil pays de France, il se rendait aussitôt au rendez-vous des braves. Déjà les lices sont préparées; déjà les dames placées sur des échafauds élevés en forme de tours, cherchent des yeux les guerriers parés de leurs couleurs. Des Troubadours vont chantant :

Servants d'amour, regardez doulccement
Aux eschafaux anges de paradis,
Lors jousterez fort et joyeusement,
Et vous serez honorez et chéris.

Tout à coup un cri s'élève : « Honneur aux fils des Preux! » Les fanfares sonnent, les barrières s'abaissent. Cent chevaliers s'élancent des deux extrémités de la lice, et se rencontrent au milieu. Les lances volent en éclats; front contre front, les chevaux se heurtent, et tombent. Heureux le héros qui, ménageant ses coups, et ne frap

pant en loyal chevalier que de la ceinture à l'épaule, a renversé, sans le blesser, son adversaire ! Tous les cœurs sont à lui, toutes les dames veulent lui envoyer de nouvelles faveurs pour orner ses armes. Cependant des hérauts crient au chevalier : Souvienstoi de qui tu es fils, et ne forligne pas! Joutes, castilles, pas-d'armes, combats à la foule, font tour à tour briller la vaillance, la force et l'adresse des combattants. Mille cris, mêlés au fracas des armes, montent jusqu'aux cieux. Chaque dame encourage son chevalier, et lui jette un bracelet, une boucle de cheveux, une écharpe. Un Sargine, jusqu'alors éloigné du champ de la gloire, mais transformé en héros par l'amour, un brave inconnu, qui a combattu sans armés et sans vêtements, et qu'on distingue à sa camise sanglante', sont proclamés vainqueurs de la joute; ils reçoivent un baiser de leur dame, et l'on crie:

1. Sainte-Palaye, Histoire de Trois Chevaliers et de la Chamise.

« L'amour des dames, la mort des héraux 1, louenge et priz aux chevaliers. »

C'était dans ces fêtes qu'on voyait briller la vaillance ou la courtoisie de La Tremouille, de Boucicault, de Bayard, de qui les hauts faits ont rendu probables les exploits des Perceforest, des Lancelot et des Gandifer. Il en coûtait cher aux chevaliers étrangers pour oser s'attaquer aux chevaliers de France. Pendant les guerres du règne de Charles VI, Sampi et Boucicault soutinrent seuls les défis que les vainqueurs leur portaient de toutes parts; et, joignant la générosité à la valeur, ils rendaient les chevaux et les armes aux téméraires qui les avaient appelés en champ-clos.

Le roi voulait empêcher ses chevaliers de relever le gant, et de ressentir ces insultes particulières. Mais ils lui dirent : « Sire, l'honneur de la France est si naturellement cher à ses enfants, que si le diable lui-même sortait de l'enfer pour un défi de

1. Héros.

valeur, il se trouverait des gens pour le combattre. >>

« Et en ce temps aussi, » dit ́un historien, «< étoient chevaliers d'Espagne et de Portugal, dont trois de Portugal bien renommés de chevalerie, prindrent, par je ne sais quelle folle entreprise, champ de bataille encontre trois chevaliers de France; mais, en bonne vérité de Dieu, ils ne mirent pas tant de temps à aller de la porte Saint-Martin à la porte Saint-Antoine à cheval, que les Portugallois ne fussent déconfits par les trois Français 1. »

Les seuls champions qui pussent tenir devant les chevaliers de France, étaient les chevaliers d'Angleterre. Et ils avaient de plus pour eux la fortune, car nous nous déchirions alors de nos propres mains. La bataille de Poitiers, si funeste à la France, fut encore honorable à la chevalerie. Le prince Noir, qui ne voulut jamais, par respect, s'asseoir à la table du roi Jean, son

1. Journal de Paris, sous Charles VI et VII..

prisonnier, lui dit : «Il m'est advis que avez grand raison de vous éliesser, combien que la journée ne soit tournée à votre gré; car vous avez aujourd'huy conquis le haut nom de prouësse; et avez passé aujourd'huy tous les mieux faisants de votre côté : je ne le die mie, cher sire, pour vous louer; car tous ceux de nostre partie qui ont veu les uns et les autres, se sont par pleine conscience à ce accordez, et vous en donnent le prix et chapelet. >>

Le chevalier de Ribaumont, dans une action qui se passait aux portes de Calais, abattit deux fois à ses genoux Édouard III, roi d'Angleterre; mais le monarque, se relevant toujours, força enfin Ribaumont à lui rendre son épée. Les Anglais étant demeurés vainqueurs, rentrèrent dans la ville avec leurs prisonniers. Édouard, accoinpagné du prince de Galles, donna un grand repas aux chevaliers français; et, s'approchant de Ribaumont, il lui dit : « Vous êtes le chevalier au monde que je visse oncques plus vaillamment assaiHir ses en

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