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par les Barbares: ce que l'expérience et le génie des temps n'avaient pu faire, la religion l'exécuta; elle associa des hommes qui jurèrent, au nom de Dieu, de verser leur sang pour la patrie : les chemins devinrent libres, les provinces furent purgées des brigands qui les infestaient, et les ennemis du dehors trouvèrent une digue à leurs ravages.

On a blâmé les chevaliers d'avoir été chercher les Infidèles jusque dans leurs foyers. Mais on n'observe pas que ce n'était, après tout, que de justes représailles contre des peuples qui avaient attaqué les premiers des peuples chrétiens : les Maures, que Charles Martel extermina, justifient les croisades. Les disciples du Coran sontils demeurés tranquilles dans les déserts de l'Arabie, et n'ont-ils pas porté leur loi et leurs ravages jusqu'aux murailles de Delhi, et jusqu'aux remparts de Vienne? Il fallait peut-être attendre que le repaire de ces bêtes féroces se fût rempli de nouveau, et

parce qu'on a marché contre elles sous la bannière de la religion, l'entreprise n'était ni juste ni nécessaire! Tout était bon, Teutatès, Odin, Allah, pourvu qu'on n'eût pas Jésus-Christ1!

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CHAPITRE IV.

VIE ET MOEURS DES CHEVALIERS.

Les sujets qui parlent le plus à l'imagination ne sont pas les plus faciles à peindre, soit qu'ils aient dans leur ensemble un certain vague plus charmant que les descriptions qu'on en peut faire, soit que l'es-prit du lecteur aille toujours au-delà de vos tableaux. Le seul mot de chevalerie, le seul nom d'un illustre chevalier est proprement une merveille, que les détails les plus intéressants ne peuvent surpasser; tout est là-dedans, depuis les fables de l'Arioste jusqu'aux exploits des véritables paladins, depuis les palais d'Alcine et d'Armide jusqu'aux tourelles de Cœuvre et d'Anet.

Il n'est guère possible de parler, même

historiquement, de la chevalerie, sans avoir recours aux Troubadours qui l'ont chantée, comme on s'appuie de l'autorité d'Homère en ce qui concerne les anciens héros : c'est ce que les critiques les plus sévères ont reconnu. Mais alors on a l'air de ne s'occuper de fictions. Nous sommes accoutumés à une vérité si stérile, que tout ce qui n'a pas la même sécheresse, nous paraît mensonge comme ces peuples nés dans les glaces du pôle, nous préférons nos tristes déserts à ces champs où

que

La terra mulle, e lieta, e dilettosa
Simili a se gli abitator produce 1.

L'éducation du chevalier commençait à l'âge de sept ans'. Du Guesclin, encore enfant, s'amusait, dans les avenues du château de son père, à représenter des sièges et des combats avec de petits paysans de son âge. On le voyait courir dans les

1. Tass., cant. I, Oct. 62.

2. Sainte-Palaye, tom. I, prem. part.

bois, lutter contre les vents, sauter de larges fossés, escalader les ormes et les chênes, et déjà montrer dans les landes de la Bretagne, le héros qui devait sauver la France'.

Bientôt on passait à l'office de page ou de damoiseau dans le château de quelque baron. C'était là qu'on prenait les premières leçons sur la foi gardée à Dieu et aux dames'. Souvent le jeune page y commençait, pour la fille du seigneur, une de ces durables tendresses que des miracles de vaillance devaient immortaliser. De vastes architectures gothiques, de vieilles forêts, de grands étangs solitaires, nourrissaient, par leur aspect romanesque, ces passions que rien ne pouvait détruire, et qui devenaient des espèces de sort ou d'enchantement. Excité par l'amour au courage, le

page

poursuivait les mâles exercices qui lui ouvraient la route de l'honneur. Sur un cour

1. Vie de Du Guesclin.

2. Sainte-Palaye, tom. I, p. 7..

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