Page images
PDF
EPUB

des conversions ou par des souffrances qu'ils regardaient comme de vrais dédommagements, lorsque leurs travaux n'avaient pas produit tout le fruit dont ils s'étaient flattés. Depuis quatre heures du matin qu'ils se levaient, lorsqu'ils n'étaient pas en course, jusqu'à huit, ils demeuraient ordinairement renfermés : c'était le temps de la prière, et le seul qu'ils eussent de libre pour leurs exercices de piété. A huit heures, chacun allait où son devoir l'appelait : les uns visitaient les malades; les autres suivaient dans les campagnes ceux qui travaillaient à cultiver la terre; d'autres se transportaient dans les bourgades voisines, qui étaient destituées de pasteurs. Ces causes produisaient plusieurs bons effets; car, en premier lieu, il ne mourait point, ou il mourait bien peu d'enfants sans baptême; des adultes même qui avaient refusé de se, faire inscrire tandis qu'ils étaient en santé, se rendaient dès qu'ils étaient malades; ils ne pouvaient tenir contre l'in

dustrieuse et constante charité de leurs

médecins '.>>

Si l'on trouvait de pareilles descriptions dans le Télémaque, on se récrierait sur le goût simple et touchant de ces choses; on louerait avec transport la fiction du poète, et l'on est insensible à la vérité présentée avec les mêmes attraits.

Ce n'était là que les moindres travaux de ces hommes évangéliques : tantôt ils suivaient le Sauvage dans des chasses qui duraient plusieurs années, et pendant lesquelles ils se trouvaient obligés de manger jusqu'à leur vêtement; tantôt ils étaient exposés aux caprices de ces Indiens qui, comme des enfants, ne savent jamais résister à un mouvement de leur imagination ou de leurs désirs. Mais les missionnaires s'estimaient récompensés de leurs peines, s'ils avaient, durant leurs longues souffrances, acquis une ame à Dieu, ouvert le ciel à un enfant, soulagé un malade, es

1. Charlevoix, Hist. de la Nouv. France, in-4°, tom. I, liv. v, p. 217.

suyé les pleurs d'un infortuné. Nous avons déjà vu que la patrie n'avait point de citoyens plus fidèles; l'honneur d'être Français leur valut souvent la persécution et la mort: les Sauvages les reconnaissaient pour être de la chair blanche de Québec, à l'intrépidité avec laquelle ils supportaient les plus affreux supplices.

Le ciel, touché de leurs vertus, accorda à plusieurs d'entre eux cette palme qu'ils avaient tant désirée, et qui les a fait monter au rang des premiers apôtres. La bourgade Huronne où le Père Daniel' était missionnaire, fut surprise par les Iroquois, au matin du 4 de juillet 1648; les jeunes Guerriers étaient absents. Le Jésuite, dans ce moment même, disait la messe à ses néophytes. Il n'eut que le temps d'achever la consécration, et de courir à l'endroit d'où partaient les cris. Une scène lamentable s'offrit à ses yeux: femmes, enfants, vieillards gisaient pêle-mêle expirants. Tout

1. Le même dont Charlevoix nous a fait le portrait.

ce qui vivait encore tombe à ses pieds, et lui demande le baptême. Le Père trempe un voile dans l'eau, et le secouant sur la - foule à genoux, procure la vie des cieux à ceux qu'il ne pouvait arracher à la mort temporelle. Il se ressouvint alors d'avoir laissé dans les cabanes quelques malades qui n'avaient point encore reçu le sceau du christianisme; il y vole, les met au nombre des rachetés, retourne à la chapelle, cache les vases sacrés, donne une absolution générale aux Hurons qui s'étaient réfugiés à l'autel, les presse de fuir,

et

pour leur en laisser le temps, marche à la rencontre des ennemis. A la vue de ce prêtre qui s'avançait seul contre une armée, les Barbares étonnés s'arrêtent, et reculent quelques pas; n'osant approcher du saint, ils le percent de loin avec leurs flèches. « Il en était tout hérissé, » dit Charlevoix,

qu'il parlait encore avec une action surprenante, tantôt à Dieu à qui il offrait son sang pour le troupeau, tantôt à ses meurtriers qu'il menaçait de la colère du ciel,

en les assurant néanmoins qu'ils trouveraient toujours le Seigneur disposé à les s'ils avaient recours à sa

recevoir en grace, clémence'. » Il meurt, et sauve une partie de ses néophytes en arrêtant ainsi les Iroquois autour de lui.

nage,

Le Père Garnier montra le même héroïsme dans une autre bourgade: il était tout jeune encore, et s'était arraché nouvellement aux pleurs de sa famille, pour sauver des ames dans les forêts du Canada. Atteint de deux balles sur le champ de caril est renversé sans connaissance : un Iroquois, le croyant mort, le dépouille. Quelque temps après, le Père revient de son évanouissement; il soulève la tête, et voit à quelque distance un Huron qui rendait le dernier soupir. L'apôtre fait un effort pour aller absoudre le catéchumène; il se traîne, il retombe : un Barbare l'aperçoit, accourt, et lui fend les entrailles de deux coups de hache : « Il expire, » dit en

1. Hist. de la Nouv. France, tom. I, liv. vII, p. 286.

« PreviousContinue »