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CHAPITRE VII.

MISSIONS DES ANTILLES.

L'ÉTABLISSEMENT de nos colonies aux Antilles ou Ant-Iles, ainsi nommées parce qu'on les rencontre les premières, à l'entrée du golfe Mexicain, ne remonte qu'à l'an 1627, époque à laquelle M. d'Énambuc bâtit un fort, et laissa quelques familles sur l'île Saint-Christophe.

C'était alors l'usage de donner des missionnaires pour curés aux établissements lointains, afin que la religion partageât, en quelque sorte, cet esprit d'intrépidité et d'aventure qui distinguait les premiers chercheurs de fortune au Nouveau-Monde, Les Frères Précheurs, de la congrégation de Saint-Louis, les Pères Carmes, les Capucins et les Jésuites se consacrèrent à

l'instruction des Caraïbes et des Nègres, et à tous les travaux qu'exigeaient nos colonies naissantes de Saint-Christophe, de la Guadeloupe, de la Martinique et de Saint-Domingue.

On ne connaît encore aujourd'hui rien de plus satisfaisant et de plus complet sur les Antilles, que l'Histoire du Père Dutertre, missionnaire de la congrégation de Saint-Louis.

veurs;

<< Les Caraïbes,» dit-il, « sont grands rêils portent sur leur visage une physionomie triste et mélancolique; ils passent des demi-journées entières, assis sur la pointe d'un roc, ou sur la rive, les yeux fixés en terre, ou sur la mer, sans dire un seul mot..

Ils sont d'un naturel

bénin, doux, affable et compatissant, bien souvent même jusqu'aux larmes, aux maux de nos Français, n'étant cruels qu'à leurs ennemis jurés.

«Les mères aiment tendrement leurs en

fants, et sont toujours en alarme pour dé

tourner tout ce qui peut leur arriver de funeste; elles les tiennent presque toujours pendus à leurs mamelles, même la nuit, et c'est une merveille, que, couchant dans des lits suspendus, qui sont fort incommodes, elles n'en étouffent jamais aucun... Dans tous les voyages qu'elles font, soit sur mer, soit sur terre, elles les portent avec elles, sous leurs bras, dans un petit · lit de coton, qu'elles ont en écharpe, lié par-dessus l'épaule, afin d'avoir toujours devant leurs yeux l'objet de leurs sou

cis'. »

On croit lire un morceau de Plutarque, traduit par Amyot.

Naturellement enclin à voir les objets sous un rapport simple et tendre, le Père Dutertre ne peut manquer d'être fort touchant, quand il parle des Nègres. Cependant il ne les représente point, à la manière des philanthropes, comme les plus vertueux des hommes; mais il y a une sen

1. Histoire des Antilles, tom. II, p. 375.

sibilité, une bonhomie, une raison admirable dans la peinture qu'il fait de leurs

sentiments.

<< L'on a vu, »> dit-il, « à la Guadeloupe une jeune Négresse si persuadée de la misère de sa condition, que son maître ne put jamais la faire consentir à se marier au Nègre qu'il lui présentait.

Elle

attendit que le Père (à l'autel) lui demandât si elle voulait un tel pour son mari car pour lors elle répondit avec une fermeté qui nous étonna: Non, mon père, je ne veux ni de celui-là, ni même d'aucun autre ; je me contente d'être misérable en ma personne, sans mettre des enfants au monde qui seraient peut-être plus malheureux que moi, et dont les peines me seraient beaucoup plus sensibles que les miennes propres. Elle est aussi toujours constamment demeurée dans son état de fille, et on l'appelait ordinairement la Pucelle des Iles. ».

Le bon Père continue à peindre les

mœurs des Nègres, à décrire leurs petits ménages, à faire aimer leur tendresse pour leurs enfants: il entremêle son récit de sentences de Sénèque, qui parle de la simplicité des cabanes où vivaient les peuples de l'âge d'or; puis il cite Platon, ou plutôt Homère, qui dit que les Dieux ôtent à l'esclave une moitié de sa vertu : Dimidium

mentis Jupiter illis aufert; il compare le Caraïbe sauvage dans la liberté au Nègre sauvage dans la servitude, et il montre combien le christianisme aide au dernier à supporter ses maux.

La mode du siècle a été d'accuser les prêtres d'aimer l'esclavage, et de favoriser l'oppression parmi les hommes; il est pourtant certain que personne n'a élevé la voix avec autant de courage et de force en faveur des esclaves, des petits et des pauvres, que les écrivains ecclésiastiques. Ils ont constamment soutenu que la liberté est un droit imprescriptible du chrétien. Le colon protestant, convaincu de cette vérité, pour arranger sa cupidité et sa

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