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des Réductions. Ces magistrats étaient nommés par l'assemblée générale des citoyens; mais il paraît qu'on ne pouvait choisir qu'entre les sujets proposés par les missionnaires : c'était une loi empruntée du sénat et du peuple romain. Il y avait en outre un chef nommé fiscal, espèce de censeur public, élu par les vieillards. Il tenait un registre des hommes en âge de porter les armes. Un Tenicute veillait sur les enfants; il les conduisait à l'église, et les accompagnait aux écoles, en tenant une longue baguette à la main : il rendait compte aux missionnaires des observations qu'il avait faites sur les mœurs, le caractère, les qualités et les défauts de ses élèves.

Enfin la bourgade était divisée en plusieurs quartiers, et chaque quartier avait un surveillant. Comme les Indiens sont naturellement indolents et sans prévoyance, un chef d'agriculture était chargé de visiter les charrues, et d'obliger les chefs de famille à ensemencer leurs terres.

En cas d'infractions aux lois, la première

faute était punie par une réprimande secrète des missionnaires : la seconde, par une pénitence publique à la porte de l'église, comme chez les premiers fidèles la troisième, par la peine du fouet. Mais, pendant un siècle et demi qu'a duré cette république, on trouve à peine un exemple d'un Indien qui ait mérité ce dernier châtiment. «< Toutes leurs fautes sont des fautes d'enfants,» dit le Père Charlevoix; «ils le sont toute leur vie en bien des choses, et et ils en ont d'ailleurs toutes les bonnes qualités. »

Les paresseux étaient condamnés à cultiver une plus grande portion du champ commun; ainsi une sage économie avait fait tourner les défauts même de ces hommes innocents au profit de la prospérité publique.

On avait soin de marier les jeunes gens de bonne heure pour éviter le libertinage. Les femmes qui n'avaient point d'enfants se retiraient, pendant l'absence de leurs maris, à une maison particulière, appelée

Maison de Refuge. Les deux sexes étaient à peu près séparés, comme dans les républiques grecques; ils avaient des bancs distincts à l'église, et des portes différentes par où ils sortaient sans se confondre.

Tout était réglé, jusqu'à l'habillement, qui convenait à la modestie sans nuire aux graces. Les femmes portaient une tunique blanche, rattachée par une ceinture; leurs bras et leurs jambes étaient nus: elles laissaient flotter leur chevelure, qui leur servait de voile.

Les hommes étaient vêtus comme les anciens Castillans. Lorsqu'ils allaient au travail, ils couvraient ce noble habit d'un sarrau de toile blanche. Ceux qui s'étaient distingués par des traits de courage ou de vertu portaient un sarrau couleur de pourpre.

Les Espagnols, et surtout les Portugais du Brésil, faisaient des courses sur les terres de la République chrétienne, et enlevaient souvent des malheureux, qu'ils réduisaient en servitude. Résolus de mettre

guerre

fin à ce brigandage, les Jésuites, à force d'habileté, obtinrent de la Cour de Madrid la permission d'armer leurs néophytes. Ils se procurèrent des matières premières, établirent des fonderies de canon, des manufactures de poudre, et dressèrent à la ceux qu'on ne voulait pas laisser en paix. Une milice régulière s'assembla tous les lundis, pour manœuvrer et passer la revue devant un cacique : il y avait des prix pour les archers, les porte-lances, les frondeurs, les artilleurs, les mousquetaires. Quand les Portugais revinrent, au lieu de quelques laboureurs timides et dispersés, ils trouvèrent des bataillons qui les taillèrent en pièces, et les chassèrent jusqu'au pied de leurs forts. On observa que la nouvelle troupe ne reculait jamais, et qu'elle se ralliait, sans confusion, sous le feu de l'ennemi. Elle avait même une telle ardeur, qu'elle s'emportait dans ses exercices militaires, et l'on était souvent obligé de les interrompre, de peur de quelque mal

heur.

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On voyait aussi au Paraguay un État qui n'avait ni les dangers d'une constitution toute guerrière, comme celle des Lacédémoniens, ni les inconvénients d'une société toute pacifique, comme la fraternité des Quakers. Le problème politique était résolu : l'agriculture qui fonde, et les armes qui conservent, se trouvaient réunies. Les Guaranis étaient cultivateurs sans avoir d'esclaves, et guerriers sans être féroces; immenses et sublimes avantages qu'ils devaient à la religion chrétienne, et dont n'avaient pu jouir, sous le polythéisme, ni les Grecs ni les Romains.

Ge sage milieu était partout observé: la République chrétienne n'était point absolument agricole, ni tout-à-fait tournée à la guerre, ni privée entièrement des lettres et du commerce; elle avait un peu de tout, mais surtout des fêtes en abondance. Elle n'était ni morose comme Sparte, ni frivole comme Athènes; le citoyen n'était ni accablé par le travail, ni enchanté par le plaisir. Enfin les missionnaires, en bor

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