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པཏྭཱཏྭཱ

CHAPITRE V.

SUITE DES MISSIONS DU PARAGUAY.

RÉPUBLIQUE CHRÉTIENNE. BONHEUR DES INDIENS.

LES premiers Sauvages qui se rassemblèrent à la voix des Jésuites furent les Guaranis, peuples répandus sur les bords du Paranapané, du Pirapé et de l'Uraguay. Ils composèrent une bourgade, sous la direction des Pères Maceta et Cataldino, dont il est juste de conserver les noms parmi ceux des bienfaiteurs des hommes. Cette bourgade fut appelée Lorette; et dans la suite, à mesure que les églises indiennes s'élevèrent, elles furent comprises sous le nom général de Réductions. On en compta jusqu'à trente en peu d'années, et elles formèrent entre elles cette république chré

tienne, qui semblait un reste de l'antiquité, découvert au Nouveau-Monde. Elles ont confirmé sous nos yeux cette vérité connue de Rome et de la Grèce, que c'est avec la religion, et non avec des principes abstraits de philosophie, qu'on civilise les hommes, et qu'on fonde les empires.

Chaque bourgade était gouvernée par deux missionnaires, qui dirigeaient les affaires spirituelles et temporelles des petites républiques. Aucun étranger ne pouvait y demeurer plus de trois jours; et, pour éviter toute intimité qui eût pu corrompre les mœurs des nouveaux Chrétiens, il était défendu d'apprendre à parler la langue espagnole; mais les néophytes savaient la lire et l'écrire correctement.

Dans chaque Réduction il y avait deux écoles l'une pour les premiers éléments des lettres, l'autre pour la danse et la musique. Ce dernier art, qui servait aussi de fondement aux lois des anciennes républiques, était particulièrement cultivé par Guaranis: ils savaient faire eux-mêmes des

les

orgues, des harpes, des flûtes, des guitares, et nos instruments guerriers.

Dès qu'un enfant avait atteint l'âge de sept ans, les deux Religieux étudiaient son caractère. S'il paraissait propre aux emplois mécaniques, on le fixait dans un des ateliers de la Réduction, et dans celui-là même où son inclination le portait. Il devenait orfèvre, doreur, horloger, serrurier, charpentier, menuisier, tisserand, fondeur. Ces ateliers avaient eu pour premiers instituteurs les Jésuites eux-mêmes; ces Pères avaient appris exprès les arts utiles, pour les enseigner à leurs Indiens, sans être obligés de recourir à des étrangers.

Les jeunes gens qui préféraient l'agriculture étaient enrôlés dans la tribu des laboureurs, et ceux qui retenaient quelque humeur vagabonde de leur première vie erraient avec les troupeaux.

Les femmes travaillaient séparées des hommes, dans l'intérieur de leurs ménages. Au commencement de chaque semaine ou leur distribuait une certaine quantité de

laine et de coton, qu'elles devaient rendre le samedi au soir, toute prête à être mise en œuvre; elles s'employaient aussi à des soins champêtres, qui occupaient leurs loisirs sans surpasser leurs forces.

Il n'y avait point de marchés publics dans les bourgades à certains jours fixes, on donnait à chaque famille les choses nécessaires à la vie. Un des deux missionnaires

veillait à ce que les parts fussent proportionnées au nombre d'individus qui se trouvaient dans chaque cabane,

Les travaux commençaient et cessaient au son de la cloche. Elle se faisait entendre au premier rayon de l'aurore. Aussitôt les enfants s'assemblaient à l'église, où leur concert matinal durait, comme celui des petits oiseaux, jusqu'au lever du soleil. Les hommes et les femmes assistaient ensuite à la messe, d'où ils se rendaient à leurs travaux. A la chute du jour, la cloche rappelait les nouveaux citoyens à l'autel, et l'on chantait la prière du soir, à deux parties, et en grande musique.

La terre était divisée en plusieurs lots, et chaque famille cultivait un de ces lots pour ses besoins. Il y avait en outre un champ public appelé la Possession de Dieu. Les fruits de ces terres communales étaient destinés à suppléer aux mauvaises récoltes, et à entretenir les veuves, les orphelins et les infirmes : ils servaient encore de fonds pour la guerre. S'il restait quelque chose du trésor public au bout de l'année, on appliquait ce superflu aux dépenses du culte, et à la décharge du tribut de l'écu d'or, que chaque famille payait au roi d'Espagne'.

Un cacique ou chef de guerre, un corrégidor pour l'administration de la justice, des régidors et des alcades pour la police et la direction des travaux publics, formaient le corps militaire, civil et politique

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1. Montesquieu s'est trompé quand il a cru qu'il y avait communauté de biens au Paraguay; on voit ici ce qui l'a jeté dans l'erreur.

2. Charlevoix, Hist. du Parag. Montesquieu a évalué ce tribut à un cinquième des biens.

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