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n'approche point de ce que la simple nature y avait rassemblé de beautés.

« Ces lieux charmants me rappelèrent les idées que j'avais eues autrefois, en li sant les vies des anciens solitaires de la Thébaïde: il me vint en pensée de passer le reste de mes jours dans ces forêts où la Providence m'avait conduit, pour y vaquer uniquement à l'affaire de mon salut, loin de tout commerce avec les hommes; mais, comme je n'étais pas le maître de nia destinée, et que les ordres du Seigneur in'étaient certainement marqués par ceux de mes supérieurs, je rejetai cette pensée comme une illusion '. »

Les Indiens que l'on rencontrait dans ces retraites ne leur ressemblaient que par le côté affreux. Race indolente, stupide et féroce, elle montrait dans toute sa laideur l'homme primitif dégradé par sa chute. Rien ne prouve davantage la dégénération de la nature humaine, que la petitesse du Sauvage dans la grandeur du désert.

1. Lettres édif., tom. VIII, p. 381.

Arrivés à Buenos-Ayres, les missionnaires remontèrent Rio de la Plata, et, entrant dans les eaux du Paraguay, se dispersèrent dans les bois. Les anciennes relations nous les représentent un bréviaire sous le bras gauche, une grande croix à la main droite, et sans autre provision que leur confiance en Dieu. Elles nous les pei-gnent se faisant jour à travers les forêts, marchant dans des terres marécageuses où ils avaient de l'eau jusqu'à la ceinture, gravissant des roches escarpées, et furetant dans les antres et les précipices, au risque d'y trouver des serpents et des bêtes féroces, au lieu des hommes qu'ils y cherchaient.

Plusieurs d'entre eux y moururent de faim et de fatigue; d'autres furent massacrés et dévorés par les Sauvages. Le Père Lizardi fut trouvé percé de flèches sur un rocher; son corps était à demi déchiré par les oiseaux de proie, et son bréviaire était ouvert auprès de lui à l'office des morts. Quand un missionnaire rencontrait ainsi

les restes d'un de ses compagnons, il s'empressait de leur rendre les honneurs funèbres; et, plein d'une grande joie, il chantait un Te Deum solitaire sur le tombeau du martyr.

De pareilles scènes, renouvelées à chaque instant, étonnaient les hordes barbares. Quelquefois elles s'arrêtaient autour du prêtre inconnu qui leur parlait de Dieu, et elles regardaient le ciel que l'apôtre leur montrait; quelquefois elles le fuyaient comme un enchanteur, et se sentaient saisies d'une frayeur étrange le Religieux les suivait en leur tendant les mains au nom de Jésus-Christ. S'il ne pouvait les arrêter, il plantait sa croix dans un lieu découvert, et s'allait cacher dans les bois. Les Sauvages s'approchaient peu à peu pour examiner l'étendard de paix élevé dans la solitude; un aimant secret semblait les attirer à ce signe de leur salut. Alors le missionnaire sortant tout à coup de son embuscade, et profitant de la surprise des Barbares, les invitait à quitter une vie mi

sérable, pour jouir des douceurs de la société.

Quand les Jésuites se furent attaché quelques Indiens, ils eurent recours à un autre moyen pour gagner des ames. Ils avaient remarqué que les Sauvages de ces bords étaient fort sensibles à la musique; on dit même que les eaux du Paraguay rendent la voix plus belle. Les missionnaires s'embarquèrent donc sur des pirogues avec les nouveaux catéchumènes; ils remontèrent les fleuves en chantant des cantiques. Les néophytes répétaient les airs, comme des oiseaux privés chantent pour attirer dans les rets de l'oiseleur les oiseaux sauvages. Les Indiens ne manquèrent point de se venir prendre au doux piège. Ils descendaient de leurs montagnes, et accouraient au bord des fleuves pour mieux écouter ces accents: plusieurs d'entre eux se jetaient dans les ondes, et suivaient à la nage la nacelle enchantée. L'arc et la flèche échappaient à la main du Sauvage: l'avant-goût des vertus sociales, et les pre

mières douceurs de l'humanité entraient dans son ame confuse; il voyait sa femme et son enfant pleurer d'une joie inconnue; bientôt, subjugué par un attrait irrésistible, il tombait au pied de la croix, et mêlait des torrents de larmes aux eaux régénératrices qui coulaient sur sa tête.

Ainsi la religion chrétienne réalisait dans les forêts de l'Amérique ce que la fable raconte des Amphion et des Orphée : réflexion si naturelle, qu'elle s'est présentée même aux missionnaires : tant il est certain qu'on ne dit ici que la vérité, en ayant l'air de raconter une fiction!

1. Charlevoix,

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