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magistrats chinois, en 1682, la permission de s'établir à Chouachen.

Ricci, élève de Clavius, et lui-même très-habile en mathématiques, se fit, à l'aide de cette science, des protecteurs parmi les mandarins. Il quitta l'habit des bonzes, et prit celui des lettrés. Il donnait des leçons de géométrie, où il mêlait avec art les leçons plus précieuses de la morale chrétienne. Il passa successivement à Chouachen, Nemchem, Pékin, Nankin; tantôt maltraité, tantôt reçu avec joie; opposant aux revers une patience invincible, et ne perdant jamais l'espérance de faire fructifier la parole de Jésus-Christ. Enfin, l'empereur lui-même, charmé des vertus et des connaissances du missionnaire, lui permit de résider dans la capitale, et lui accorda, ainsi qu'aux compagnons de ses travaux, plusieurs privilèges. Les Jésuites mirent une grande discrétion dans leur conduite, et montrèrent une connaissance profonde du cœur humain. Ils respectèrent les usages des Chinois, et s'y conformèrent en tout ce

qui ne blessait pas les lois évangéliques. Ils furent traversés de tous côtés. « Bientôt la jalousie, » dit Voltaire, « corrompit les fruits de leur sagesse, et cet esprit d'inquiétude et de contention, attaché en Eu- rope aux connaissances et aux talents, renversa les plus grands desseins'.

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Ricci suffisait à tout. Il répondait aux accusations de ses ennemis en Europe, il veillait aux églises naissantes de la Chine. Il donnait des leçons de mathématiques, il écrivait en chinois des livres de controverse contre les lettrés qui l'attaquaient, il cultivait l'amitié de l'Empereur, et se ménageait à la Cour, où sa politesse le faisait aimer des Grands. Tant de fatigues abrégèrent ses jours. Il termina à Pékin une vie de cinquante - sept années, dont la moitié avait été consumée dans les travaux de l'apostolat.

Après la mort du Père Ricci, sa mission fut interrompue par les révolutions qui ar

1. Essai sur les Meurs, chap. 195.

rivèrent à la Chine. Mais lorsque l'empereur Tartare Cun-chi monta sur le trône, il nomma le Père Adam Schall président du tribunal des mathématiques. Cun-chi mourut, et pendant la minorité de son fils Cang-hi, la religion chrétienne fut exposée à de nouvelles persécutions.

A la majorité de l'Empereur, le calendrier se trouvant dans une grande confusion, il fallut rappeler les missionnaires. Le jeune prince s'attacha au Père Verbiest, successeur du Père Schall. Il fit examiner le christianisme par le tribunal des États de l'Empire, et minuta de sa propre main le mémoire des Jésuites. Les juges, après un mûr examen, déclarèrent que déclarèrent que la religion chrétienne était bonne, qu'elle ne contenait rien de contraire à la pureté des mœurs et à la prospérité des empires.

Il était digne des disciples de Confucius de prononcer une pareille sentence en faveur de la loi de Jésus-Christ. Peu de temps áprès ce décret, le Père Verbiest appela de Paris ces savants Jésuites, qui ont porté

V.

ΙΟ

l'honneur du nom français jusqu'au centre de l'Asie.

Le Jésuite qui partait pour la Chine s'armait du télescope et du compas. Il paraissait à la Cour de Pékin avec l'urbanité de la Cour de Louis XIV, et environné du cortège des sciences et des arts. Déroulant des cartes, tournant des globes, traçant des sphères, il apprenait aux mandarins étonnés, et le véritable cours des astres, et le véritable nom de celui qui les dirige dans leurs orbites. Il ne dissipait les erreurs de la physique que pour attaquer celle de la morale; il replaçait dans le cœur, comme dans son véritable siège, la simplicité qu'il bannissait de l'esprit ; inspirant à la fois, par ses mœurs et son savoir, une profonde vénération pour son Dieu, et une haute estime pour sa patrie.

Il était beau pour la France de voir ses simples Religieux régler à la Chine les fastes d'un grand empire. On se proposait des questions de Pékin à Paris : la chronologie, l'astronomie, l'histoire naturelle,

fournissaient des sujets de discussions curieuses et savantes. Les livres chinois étaient traduits en français, les français en chinois. Le Père Parennin, dans sa lettre adressée à Fontenelle, écrivait à l'Académie des Sciences :

« MESSIEURS,

« Vous serez peut-être surpris que je vous envoie de si loin un traité d'anatomie, un cours de médecine, et des questions de physique écrites en une langue qui sans doute vous est inconnue; mais votre surprise cessera, quand vous verrez que ce sont vos propres ouvrages que je vous envoie habillés à la tartare '. »

Il faut lire d'un bout à l'autre cette lettre, où respirent ce ton de politesse et ce style des honnêtes gens, presque oubliés de nos jours. « Le Jésuite nommé Parennin, » dit Voltaire, «< homme célèbre par ses con

1. Lettres édif., tom. XIX, p. 257.

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