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du Gange, et qui s'étendaient jusqu'à Manille et aux Nouvelles-Philippines;

Enfin, les missions de la Chine, auxquelles se joignaient celles de Ton-King, de la Cochinchine et du Japon.

On comptait de plus quelques églises en Islande et chez les Nègres de l'Afrique, mais elles n'étaient pas régulièrement suivies. Des ministres presbytériens ont tenté dernièrement de prêcher l'évangile à Otaïti.

Lorsque les Jésuites firent paraître la Correspondance connue sous le nom de Lettres édifiantes, elle fut citée et recherchée par tous les auteurs. On s'appuyait de son autorité, et les faits qu'elle contenait passaient pour indubitables. Mais bientôt la mode vint de décrier ce qu'on avait admiré. Ces lettres étaient écrites par des prêtres chrétiens: pouvaient-elles valoir quelque chose? On ne rougit pas de préférer, ou plutôt de feindre de préférer aux voyages des Dutertre et des Charlevoix, ceux d'un baron de la Hontan, ignorant et menteur. Des savants, qui avaient été à la tête

des premiers tribunaux de la Chine, qui avaient passé trente et quarante années à la Cour même des empereurs, qui parlaient et écrivaient la langue du pays, qui fréquentaient les petits, qui vivaient familièrement avec les Grands, qui avaient parcouru, vu et étudié en détail les provinces, les mœurs, la religion et les lois de ce vaste empire; ces savants, dont les travaux nombreux ont enrichi les Mémoires de l'Académie des Sciences, se virent traités d'imposteurs par un homme qui n'était pas sorti du quartier des Européens à Canton, qui ne savait pas un mot de chinois, et dont tout le mérite consistait à contredire grossièrement les récits des missionnaires. On le sait aujourd'hui, et l'on rend une tardive justice aux Jésuites. Des ambassades, faites à grands frais par des nations puissantes, nous ont-elles appris quelque chose que les Du Halde et les Le Comte nous eussent laissé ignorer, où nous ont-elles révélé quelques mensonges de ces Pères ?

En effet, un missionnaire doit être un

excellent voyageur. Obligé de parler la langue des peuples auxquels il prêche l'Évangile, de se conformer à leurs usages, de vivre long-temps avec toutes les classes de la société, de chercher à pénétrer dans les palais et dans les chaumières, n'eût-il reçu de la nature aucun génie, il parviendrait encore à recueillir une multitude de faits précieux. Au contraire, l'homme qui passe rapidement avec un interprète, qui n'a ni le temps ni la volonté de s'exposer à mille périls pour apprendre le secret des mœurs, cet homme eût-il tout ce qu'il faut pour bien voir et pour bien observer, ne peut cependant acquérir que des connaissances très-vagues, sur des peuples qui ne font que rouler et disparaître à ses yeux.

Le Jésuite avait encore sur le voyageur ordinaire l'avantage d'une éducation savante. Les supérieurs exigeaient plusieurs qualités des élèves qui se destinaient aux missions. Pour le Levant, il fallait savoir le grec, le cophte, l'arabe, le turc, et posséder quelques connaissances en médecine;

pour l'Inde et la Chine, on voulait des astronomes, des mathématiciens, des géographes, des mécaniciens; l'Amérique était réservée aux naturalistes'. Et à combien de saints déguisements, de pieuses ruses, de changements de vie et de mœurs n'étaiton pas obligé d'avoir recours pour annoncer la vérité aux hommes! A Maduré, le missionnaire prenait l'habit du pénitent indien, s'assujettissait à ses usages, se soumettait à ses austérités, si rebutantes ou si puériles qu'elles fussent; à la Chine, il devenait mandarin et lettré; chez l'Iroquois, il se faisait chasseur et sauvage.

Presque toutes les missions françaises furent établies par Colbert et Louvois, qui comprirent de quelle ressource elles seraient pour les arts, les sciences et le commerce. Les Pères Fontenay, Tachard, Gerbillon, Le Comte, Bouvet et Visdelou furent envoyés aux Indes par Louis XIV : ils étaient mathématiciens, et le roi les fit

1. Voyez les Lettres édifiantes, et l'ouvrage de l'abbé Fleury sur les qualités nécessaires à un missionnaire.

recevoir de l'Académie des Sciences avant

leur départ.

Le père Brédevent, connu par sa dissertation physico- mathématique, mourut malheureusement en parcourant l'Éthiopie; mais on a joui d'une partie de ses travaux : le Père Sicard visita l'Égypte avec des dessinateurs que lui avait fournis M. de Maurepas. Il acheva un grand ouvrage, sous le titre de Description de l'Égypte ancienne et moderne. Ce manuscrit précieux, déposé à la maison professe des Jésuites, fut dérobé sans qu'on en ait jamais pu découvrir aucune trace. Personne sans doute ne pouvait mieux nous faire connaître la Perse et le fameux Thamas Koulikan, que le moine Bazin, qui fut le premier médecin de ce conquérant, et le suivit dans ses expéditions. Le Père Cœurdoux nous donna des renseignements sur les toiles et les teintures indiennes. La Chine nous fut connue comme la France; nous eûmes les manuscrits originaux et les traductions de son histoire; nous eûmes

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