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même qui ont cherché à vous nuire, car l'aumône est comme un second baptême qui efface les péchés, et un moyen presque infaillible de mériter le ciel. Ainsi, dépouillez-vous en faveur des pauvres c'est en faveur de Jésus-Christ que vous vous dépouillerez, et il aura pitié de vous. Puissiez-vons être persuadés de ce que je vous dis! Adieu.

2 juin 1799.

Billet inséré dans la méme lettre pour sa nièce, ágée de sept ans, qui restait auprès de sa grand' mère maternelle pendant l'émigration de son père.

Chère T..., embrasse tout le monde à F... de ina part, bien des deux bras, et porte tout ton cœur sur tes lèvres, afin que tu puisses remplir cette commission selon mes désirs. Je t'enyoie une image de Notre-Dame de la Trappe: va la placer à la chapelle; ne manque pas d'aller dire tous les jours un Ave, Maria, devant cette image. Quand tu sauras le Salve, Regina, tu le réciteras bien dévotement, et tu gagueras quatrevingts jours d'indulgence pour chaque fois. Comme j'ai appris que ton oncle aîné était marié, dans le cas qu'il reste à L........., je t'en envoie deux, pour que tu lui en donnes une', en le priant

de la mettreaussi à la chapelle. Je suis persuadé qu'on suivra chez lui le bel exemple que sa mère donne chaque jour à F... Tu lui diras: C'est ainsi, cher oncle, que vous attirerez sur vous et vos enfants les bénédictions du ciel, et après avoir joui de toute prospérité dans ce monde, vous serez comblé d'un bonheur éternel dans l'autre. Après cela embrasse-le bien tendrement, et ta mission sera finie. Adieu, chère T......, permets-moi de t'embrasser, quoique avec une barbe d'environ deux mois; elle ne t'atteindra pas. Adieu encore, chère T..., sois bien pieuse, et tu es assurée de ne point périr.

Fragment d'une lettre du mois d'avril 1800, à son frère, compagnon d'émigration.

Je ne suis plus au courant de ce qui se passe. Ce ne m'est pas une privation: la pièce est trop longue pour espérer d'en voir la fin; la mort elle-même baissera bientôt la toile pour nous. Ah! mon frère, puissions-nous avoir le bonheur d'entrer au ciel! Que de choses ne verrons-nous pas alors! Espérons en celui qui a pris sur lui les péchés du monde, et qui par sa mort nous donna la vie... S'il me reste quelque chose, je désire qu'on fasse bâtir une chapelle,

dédiée à Notre-Dame des sept Douleurs, dans l'arrondissement de la maison paternelle, selon le projet que nous en fîmes sur la route de Munich. Vous vous rappelez le plaisir que nous avions, après avoir traversé des pays protestants, de trouver enfin le signe du salut, le seul espoir du pécheur. Sitôt que la police ne s'y opposera plus, hâtez-vous de faire élever des croix, pour la consolation des voyageurs, avec des sièges pour les gens fatigués, et une inscription comme en Bavière: Ihr müden ruhen sie aus, « Vous qui êtes fatigués, reposez-vous. » Qu'il soit fondé douze messes par an le premier samedi de chaque mois, pour le repos de l'ame de mon père, et puis pour toute la famille. J'étais dans l'usage de faire dire une messe tous les mois pour mon père : en attendant que la chapelle se fasse, je prie M... (son frère, prêtre) de remplir mon engagement.

Billet à ses sœurs, joint à une autre lettre à son frère.

Ma lettre aurait dû être partie depuis quelque temps; je crains qu'elle ne trouve plus mon frère en R... Nous sommes à cueillir des olives par

un vent du nord très-froid; ce qui fait un peu souffrir. Je suis devenu très-frilcux, ce que j'attribue à la laine que j'ai sur la peau. La veille de la Pentecôte, je ne pus réchauffer mes pieds de tout le jour, quoique nous portions tous des chaussons de molleton; je sens aussi quelquefois froid à la tête, malgré mes deux capuchons. Du reste, mes hémorrhagies ont beaucoup diminué, et j'ai repris mes forces... Plus on souffre pour Dieu, plus on est heurcux par l'opinion de gagner le ciel, et on se réjouit en pensant que la vie de l'homme est comme la fleur des champs. Bientôt nous ne serons plus, chères sœurs, et nos neveux sauront à peine que nous avons existé. Voici un des grands avantages de la vie religieuse; c'est que tout ce qui annonce la dissolution prochaine et le tombeau cause autant de joie qu'on est attristé dans le monde par tout ce qui en rappelle le souvenir. Ne soyez pas gens du monde, et que la certitude de la mort vous console au milieu de toutes les peines qui pourraient vous survenir. C'est là le port de tous les vrais serviteurs de Dieu; c'est là qu'ils entreront dans la joie de leur Seigneur. Écoutez donc cette voix qui crie du ciel : Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur! Chère Rosalie,

et toi,cher filleul, puisque nous ne devons plus nous revoir dans ce monde, tâchons de nous retrouver dans l'autre.

6 décembre 1800.

Fragment d'une lettre à ses sœurs, du 1 février 1801.

Je vais vous donner, mes chères sœurs, une idée de la maison où je dois probablement finir mes jours. En 1693 les Français, ayant pénétré en Aragon, prirent le château Maëlla, et vinrent à l'abbaye de Sainte-Suzanne, qu'ils saccagèrent. Ce couvent, abandonné depuis plus d'un siècle, tombait en ruine, lorsque dom Jéronime d'Alcantara, notre abbé, y est arrivé avec cinq ou six autres pauvres religieux. Les aumônes sont venues de toutes parts : les gens du peuple, n'ayant pas d'autre chose à donner, ont prêté leurs bras, et bientôt la maison a été assez bien réparée pour des hommes qui doivent vivre dans une entière abnégation d'eux-mêmes. Il n'y a pas de mendiant en Espagne qui se nourrisse aussi mal, et qui ne soit mieux pour ce qui regarde le bien-être du corps; cependant on y est heureux par l'espérance, et il n'y en a pas un qui voulût changer son état contre un empire.

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