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CHAPITRE VI.

TOMBEAUX CHRÉTIENS.

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EN parlant du sépulcre dans notre religion, le ton s'élève et la voix se fortifie : on sent que c'est là le vrai tombeau de l'homme. Le monument de l'idolâtre ne vous entretient que du passé; celui du ' chrétien ne vous parle que de l'avenir. Le christianisme a toujours fait en tout le mieux possible; jamais il n'a eu de ces demi-conceptions, si fréquentes dans les autres cultes. Ainsi, par rapport aux sépultures, négligeant les idées intermédiaires, qui tiennent aux accidents et aux lieux, il s'est distingué des autres religions par une coutume sublime : il a placé la cendre des fidèles dans l'ombre des temples du Sei

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gneur, et déposé les morts dans le sein du Dieu vivant.

Lycurgue n'avait pas craint d'établir les tombeaux au milieu de Lacédémone; il avait pensé, comme notre religion, que la cendre des pères, loin d'abréger les jours des fils, prolonge en effet leur existence, en leur enseignant la modération et la vertu, qui conduisent les hommes à une heureuse vieillesse. Les raisons humaines qu'on a opposées à ces raisons divines sont bien loin d'être convaincantes. Meurt-on moins en France que dans le reste de l'Europe, où les cimetières sont encore dans les villes?

Lorsque autrefois parmi nous on sépara les tombeaux des églises, le peuple, qui n'est pas si prudent que les beaux-esprits, qui n'a pas les mêmes raisons de craindre le bout de la vie, le peuple s'opposa à l'abandon des antiques sépultures. Et qu'avaient en effet les modernes cimetières qui pût le disputer aux anciens? Où étaient leurs lierres, leurs ifs, leurs gazons nourris

depuis tant de siècles des biens de la tombe? pouvaient-ils montrer les os sacrés des aïeux, le temple, la maison du médecin spirituel, enfin cet appareil de religion qui promettait, qui assurait même une renaissance très-prochaine? Au lieu de ces cimetières fréquentés, on nous assigna dans quelque faubourg un enclos solitaire abandonné des vivants et des souvenirs, et où la mort, privée de tout signe d'espérance, semblait devoir être éternelle.

Qu'on nous en croie : c'est lorsqu'on vient à toucher à ces bases fondamentales de l'édifice que les royaumes trop remués s'écroulent'. Encore si l'on s'était contenté de changer simplement le lieu des sépultures! mais, non satisfait de cette première atteinte portée aux mœurs, on fouilla les

1. Les anciens auraient cru un État renversé si l'on eût violé l'asile des morts. On connaît les belles lois de l'Égypte sur les sépultures. Les lois de Solon séparaient le violateur des tombeaux de la communion du Temple, et l'abandonnaient aux furies. Les Institutes de Justinien règlent jusqu'aux legs, l'héritage, la vente et le rachat d'un sépulcre, etc.

cendres de nos pères, on enleva leurs restes, comme le manant enlève dans son tombereau les boues et les ordures de nos cités.

Il fut réservé à notre siècle de voir ce qu'on regardait comme le plus grand malheur chez les anciens, ce qui était le dernier supplice dont on punissait les scélérats, nous entendons la dispersion des cendres; de voir, disons-nous, cette dispersion applaudie comme le chef-d'œuvre de la philosophie. Et où était donc le crime de nos aïeux, pour traiter ainsi leurs restes, sinon d'avoir mis au jour des fils tels que nous! Mais écoutez la fin de tout ceci, et voyez l'énormité de la sagesse humaine : dans quelques villes de la France, on bâtit des cachots sur l'emplacement des cimetières; on éleva les prisons des hommes sur le champ où Dieu avait décrété la fin de tout esclavage; on édifia des lieux de douleurs pour remplacer les demeures où toutes les peines viennent finir; enfin, il ne resta qu'une ressemblance, à la vérité effroyable, entre ces prisons et ces cimetières, c'est que

là s'exercèrent les jugements iniques des hommes, là où Dieu avait prononcé les arrêts de son inviolable justice'.

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1. Nous passons sous silence les abominations commises pendant les jours révolutionnaires. Il n'y a point d'animal domestique qui, chez une nation étrangère un peu civilisée, ne fût inhumé avec plus de décence que le corps d'un citoyen français. On sait comment les enterrements s'exécutaient, et comment, pour quelques deniers, on faisait jeter un père, une mère ou une épouse à la voirie. Encore ces morts sacrés n'y étaient-ils pas en sûreté; car il avait des hommes qui faisaient métier de dérober le linceul, le cercueil, ou les cheveux du cadavre. Il ne faut rapporter toutes ces choses qu'à un conseil de Dieu; c'était une suite de la première violation sous la monarchie. Il est bien à désirer qu'on rende au cercueil les signes de religion dont on l'a privé, et surtout qu'on ne fasse plus garder les cimetières par des chiens. Tel est l'excès de la misère où l'homme tombe, quand il perd la vue de Dieu, que, n'osant plus se confier à l'homme, dont rien ne lui garantit la foi, il se voit réduit à placer ses cendres sous la protection des animaux.

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