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NOTE 6, page 135.

M. de Cl..., obligé de fuir pendant la terreur avec un de ses frères, entra dans l'armée de Condé; après y avoir servi honorablement jusqu'à la paix, il se résolut de quitter le monde. Il passa en Espagne, se retira dans un couvent de Trappistes, y prit l'habit de l'ordre, et mourut peu de temps après avoir prononcé ses vœux : il avait écrit plusieurs lettres à sa famille el à ses amis, pendant son voyage en Espagne et son noviciat chez les Trappistes. Ce sont ces lettres que l'on donne ici. On n'a rien voulu y changer; on y verra une peinture fidèle de la vie de ces religieux, dont les mœurs ne sont déjà plus pour nous que des traditions historiques. Dans ces feuilles écrites sans art, il règne souvent une grande élévation de sentiments, et toujours une naïveté, d'autant plus précieuse, qu'elle appartient au génie français, et qu'elle se perd de plus en plus parmi nous. Le sujet de ces lettres se lie au souvenir de tous nos malheurs elles représentent un jeune et brave Français chassé de sa famille par la révolution, et s'immolant dans la solitude, victime volontaire offerte à l'Éternel, pour racheter les maux

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et les impiétés de la patrie : ainsi, saint Jérôme au fond de sa grotte tâchait, en versant des torrents de larmes, et en élevant ses mains vers le ciel, de retarder la chute de l'empire romain. Cette correspondance offre donc une petite histoire complète, qui a son commencement, son milieu et sa fin. Je ne doute point que si on la publiait comme un simple roman elle n'eût le plus grand succès. Cependant elle ne renferme aucune aventure: c'est un bomme qui s'entretient avec ses amis, et qui leur rend compte de ses pensées. Où donc est le charme de ces lettres? Dans la religion. Nouvelle preuve qui vient à l'appui des principes que j'ai essayé d'établir dans mon ouvrage.

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A. MM. de B... ses compagnons d'émigration, à Barcelonne.

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15 mars 1799

Mon dernier voyage, mes chers amis (c'est celui de Madrid), a été très-agréable. J'ai passé à Aranjuez, où était la famille royale. J'ai resté cinq jours à Madrid, autant à Sarragosse, où j'ai eu l'avantage de visiter Notre-Dame du Pilar. J'ai eu plus de plaisir à parcourir l'Espagne, que je n'en avais eu à parcourir les autres pays. On

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a l'avantage d'y voyager à meilleur marché que nulle part que je connaisse. Je n'ai rien perdu de mes effets, quoique je sois très-peu soigneux: on trouve ici beaucoup de braves gens qui savent exercer la charité. On épargne beaucoup en portant avec soi un sac qu'on remplit chaque soir de paille, pour se coucher; mais je n'ai plus de goût à parler de tout cela. J'ai dit adieu aux montagnes et aux lieux champêtres. J'ai renoncé à tous mes plans de voyage sur la terre, pour commencer celui de l'éternité. Me voici depuis neuf jours à la Trappe de Sainte-Suzanne, où j'ai résolu, avec la grace de Dieu, de finir mes jours. J'ai moins de mérite qu'un autre à souffrir les peines du corps, vu l'habitude que je m'en étais faite par épicuréisme.

On ne mène pas ici une vie de fainéants; on' se lève à une heure et demie du matin, on prie Dieu, ou on fait des lectures pieuses jusqu'à cinq; puis commence le travail, qui ne cesse que vers les quatre heures et demie du soir, qu'on rompt le jeûne : je parle pour les frères convers dont je fais nombre; les pères, qui travaillent aussi beaucoup, quittent les champs aux heures marquées, pour se rendre au chœur, où ils chantent l'office de la Sainte-Vierge, l'office ordinaire, et celui des morts. Nons autres frères,

nous interrompons aussi notre travail, pour faire nos prières par intervalles, ce qui s'exécute sur le lieu. On ne passe guère une demiheure sans que l'ancien frappe des mains pour nous avertir d'élever nos pensées vers le ciel, ce qui adoucit beaucoup toutes les peines; on se ressouvient qu'on travaille pour un maître qui ne nous fera pas attendre notre salaire au temps marqué.

J'ai vu mourir un de nos Pères. Ah! si vous saviez quelle consolation on a dans ce moment de la mort! Quel jour de triomphe! Notre révérend Père abbé demanda à l'agonisant : « Hé bien, étes-vous fáché maintenant d'avoir un peu souffert? » Je vous avoue, à ma honte, que je me suis senti quelquefois envie de mourir, comme ces soldats lâches qui désirent leur congé avant le temps. Sainte-Marie Égyptienne fit quarante ans pénitence; elle était moins coupable que moi, et il y a mille ans qu'elle se repose dans la gloire.»

Priez pour moi, mes chers amis, afin que nous puissions nous retrouver au grand jour.

Faites savoir, je vous prie, au cher Hippolyte et à mes sœurs le parti que j'ai pris. Je leur écrirai dans six semaines, et ils peuvent m'écrire à l'adresse que je vous donnerai.

Nous sommes ici soixante-dix tant Espagnols, que Français, et cependant la maison est trèspauvre, voilà pourquoi je veux faire venir les 300 livres. D'ailleurs quoique, avec la grace Dieu, j'espère persister dans ma résolution, j'ai un an pour sortir.

de

Vous pouvez donc écrire au révérend Père abbé de la Trappe de Sainte-Suzanne, par Alcaniz à Maëlla, pour le frère Charles Cl.

(Vous aurez soin de mettre en tête de la lettre España, et après, Maëlla, en Aragon.}

Lettre écrite à ses frères et sœurs en France.

Première semaine de Pâques, 1799.

Me voici à Sainte-Suzanne depuis le premier lundi de carême ; c'est un couvent de Trappistes, où je compte finir mes jours : j'ai déjà éprouvé tout ce qu'il y a de plus austère dans le cours de l'année. On ne se lève jamais plus tard qu'à une heure et demie du matin; au premier coup de cloche on se rend à l'église; les frères convers, dont je fais nombre sous le nom Fr. J. Climaque, sortent à deux heures et demie pour aller étudier les psaumes ou faire quelque autre lecture spirituelle ; à quatre heures, on rentre à l'église jusqu'à cinq heures, que commence le

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