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que en face d'un palais de justice de dimensions lilliputiennes : ce qui tendrait à prouver qu'on y fait un grand commerce et que les délits y sont fort rares. Quant à l'église, elle est toujours aussi petite et aussi pauvre qu'au temps de Bernadette. Le bon curé Peyramale avait rêvé de la remplacer par une véritable cathédrale, dont les premières assises semblent déjà des ruines et dont la crypte garde le tombeau désolé du fondateur. Rien de navrant comme ce spectacle, et je n'arrive pas à comprendre que le cœur des pèlerins ne bondisse pas à la vue de cette misère inexplicable. Sans doute on objecte des difficultés de diverse nature; mais, parmi ceux qui visitent ces débris d'une grande et noble entreprise, il y en a plus d'un capable de diminuer sinon de supprimer les obstacles. Espérons que la main toute-puissante du fils de Marie s'étendra un jour sur ces pierres et leur rendra le mouvement si brusquement arrêté. Ce sera pour tous les habitants de Lourdes, trop pauvres pour remplir le dessein de M. Peyramale, un beau jour, que celui où ils verront la basilique du Gave sourire, pardessus les peupliers de la vallée, à l'église de la cité.

Ce peuple de Lourdes est vraiment bon, et les détestables influences qui en ont gàté tant d'autres n'ont pas eu de prise sur lui, en dépit des efforts les plus violents et les plus obstinés. Le rêve de la libre-pensée était d'y fonder une Loge, avec la mission avouée de mettre à néant l'œuvre de l'apparition. L'essai tenté a piteusement échoué, si piteusement qu'il est impossible d'en parler, à Lourdes, sans amener le sourire sur toutes les lèvres; et, suivant toute apparence, il en sera de mème de toutes les tentatives du même genre. Cependant rien ne manquait pour réussir on avait de l'argent, l'appui du pouvoir, le zèle de tous les adeptes, cette opinion publique dont certaine presse mène si grand bruit, et l'inertie ou l'indifférence des innombrables conservateurs qui semblent faits pour assister aux funérailles de tout ce qu'ils représentent.

Le doux pays de France entendit dénoncer, à la tribune du Parlement, le scandale de ces foules accourant à Massabielle, conduites par des évêques et priant pour le salut de la patrie et de l'Église! M. Thiers lui-même dut répondre, en assurant ces apeurés que « les pèlerinages ne sont plus dans nos mœurs ».

Pour dérouter les manœuvres de l'obscurantisme clérical, il suffirait d'allumer, à Lourdes même, le flambeau de la science et de la liberté maçonniques. Hélas! pleurez, fils et filles de la Veuve ! Comme la lampe des vierges folles, celle du temple ouvert à l'orient de Lourdes s'éteignit tout à coup, sans qu'on ait jamais retrouvé la trace de ceux qui devaient l'entretenir. La superstition est restée triomphante pour longtemps encore, à en juger par l'obstination des peuples à venir, des quatre coins de la terre, à la grotte de Massabielle, pour un de ces pèlerinages « qui ne sont plus dans nos mœurs ». Durant la semaine qui précéda notre voyage, les pèlerins de la Hongrie avaient prié aux côtés des pèlerins de la Belgique, de l'Irlande, de ceux de Marseille, de Reims, de Saint-Étienne, de Quimper et dé Belley. L'évêque de Corke officiait pontificalement; l'évêque de Luçon prêchait; le vicaire apostolique de Zanzibar marchait, en procession, entre le prélat magyar Joseph Cselko et l'évêque hollandais de Curaçao. L'abbé Cartuyvels y haranguait les Wallons et les Flamands, dans le même temps que les Bretons de Quimper écoutaient louer la sainte Vierge dans le rude langage des Celtes.

Le même spectacle nous était réservé. Les pèlerins de la HauteItalie, sous la conduite de l'évêque de Grosseto, s'y rencontraient avec ceux de Vannes, de Rodez, de Versailles, accompagnés de leurs évèques. Le cardinal Bourret y prononçait un éloquent discours; des religieux de divers ordres y remplaçaient, dans la chaire, des prêtres de tout pays et de tout rang. L'amiral Mathieu, M. Ollé-Laprune, le colonel de Crisenoy, M. l'abbé Bielle, monsignor Tedeschi, l'avocat belge Reikens, le comte de Kreusnach, et cent autres personnages s'y trouvaient confondus, dans une foule de plusieurs milliers de suppliants obscurs, tous animés de la même foi en la puissance de Marie sur le cœur de son Fils.

Et cette foi, je prie de le remarquer, ne tient pas à ce qu'on appelle l'hallucination du miracle plus ou moins fréquent et plus ou moins constaté. Pendant toute cette dernière semaine, il ne s'est point produit de fait que l'on pût à tort ou à raison qualifier de miraculeux. Une seule fois, l'ardent désir, qu'avait une pauvre mère d'obtenir la guérison de son enfant, donna prétexte à une joie vite dissipée : l'examen médical coupa court à cette persuasion trop facile à comprendre, mais aussi trop facile à dissiper.

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Cependant personne, même parmi les malades, ne doutait de la miséricordieuse puissance de la Vierge Immaculée : il n'y avait pas déception pour eux à ne pas être guéris, parce qu'ils s'abandonnaient au bon plaisir de la Providence, avec une foi si simple et si calme, qu'il était absolument impossible de les traiter d'hallucinés. La semaine précédente, il y avait eu de nombreuses guérisons, examinées avec le plus grand soin et dûment constatées, quelques-unes même d'un caractère exceptionnel, dont on parlait avec une joie tranquille et sans rien qui sentît l'exaltation pour les uns ni le découragement pour les autres. Ils savent, autant qu'ils le croient, Dieu maître absolu de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie : ils savent, et croient de mème, l'ascendant de Marie sur son cœur et la force de la prière sur le cœur de Marie; il n'y a rien là, n'en déplaise à M. Zola et à ses lecteurs, qui ne soit parfaitement rationnel, qui donne plus de vigueur et de tranquillité à l'àme, qui exclue davantage l'idée des imaginations et des sensations nervosées. Il suffit d'avoir passé quelques jours à Lourdes, avec un esprit droit et libre de préjugés, pour emporter la conviction absolument contraire à celle que prétendent imposer les écrivains de la libre-pensée, et l'on se demande tristement s'ils méritent plus de mépris ou de pitié. Le mieux est encore de répéter la parole du Christ mourant : « Pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font. »

Ils ne le savent vraiment pas, en dépit des leçons que Dieu leur donne en développant sans cesse les pèlerinages, et en paralysant jusqu'au ridicule leurs efforts contre la croyance à l'apparition. Comme des enfants entêtés, ils reviennent à la charge et à la déroute, réduits souvent à ces mesquins outrages, dont quelque goujat essaie de troubler les manifestations de la foi à la grotte ou à la basilique. Une police exacte, il est vrai, surveille et réprime au besoin les agissements de ces perturbateurs : mais il suffit à leur joie d'être un sujet d'inquiétude, - à leur gloire d'avoir apeuré quelque pauvre femme, à leur canonisation

parmi les leurs d'avoir été poliment mais énergiquement remis à leur place. Ils ne sont pas difficiles à contenter, comme on le voit, et il n'y a pas lieu de s'en préoccuper outre mesure. On raconte que, le jour où Pie IX rentra dans Rome, ramené par les armes françaises, quelques insulteurs élevèrent la voix, au passage de

la voiture pontificale. Des officiers de l'escorte portèrent instinctivement la main à leur épée mais le général Oudinot les arrêta d'un mot « Laissez, dit-il: ce n'est qu'une affaire de cravache. » Je n'ai du reste constaté rien de déplaisant, pendant mon séjour, et j'en ai rapporté un bonheur sans mélange. Ne pouvant retarder mon départ, je quittai Lourdes, le samedi soir, 21 septembre, en compagnie de deux aimables serviteurs des malades, qui avaient terminé leur période de service, M. le comte de B... gentilhomme poitevin, et l'un de ses amis, jeune Belge de bonne maison et d'éducation parfaite. Tout en parcourant, au déclin du jour, ces admirables défilés des Pyrénées, nous repassions ensemble nos souvenirs de pèlerinage, et le même regret achevait nos confidences: celui de partir, quand il eût été si bon de rester encore. C'est là en effet le sentiment qui est au fond de tous les cœurs français et catholiques, à la fin de ces jours heureux entre tous, passés à l'ombre du sanctuaire bâti par les mains d'une petite bergère, sur l'ordre de la Reine des cieux. Pour s'en consoler, il faut penser qu'on laisse derrière soi d'autres cœurs animés du même amour pour la France et pour l'Église, grâce auxquels la prière ne cesse jamais, devant l'image de Celle que nous appelons en même temps la patronne de l'Église et la Reine de la patrie.

Je confie ces notes à la bienveillance du lecteur. Elles n'ont rien de saillant ni même de nouveau, mais elles lui agréeront peut-être par leur simplicité et leur accent de conviction. Si par bonheur elles plaisent à quelqu'un, si — mieux encore - elles lui font un peu de bien, je prie cet ami inconnu de me recommander à Notre Dame de Lourdes, en disant, pour nous deux, un « Ave Maria ».

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FR. MARIE-JOSEPH OLLIVIER,

des Frères Prêcheurs.

LA FORME DE LA
DE LA TERRE

ÉTUDES SUR LA THÉORIE TÉTRAÉDRIQUE (1)

III

LIMITE DE L'ÉCRASEMENT LITHOSPHÉRIQUE.

Nous arrivons au point le plus délicat de nos études, à ce qui est peut-être le nœud de la question et, en tout cas, à ce qui a été jus

(1) Depuis la publication de notre premier article, M. Charles Lallemand, ingénieur en chef des mines, a eu l'amabilité de nous signaler une note sur l'origine probable des tremblements de terre, qu'il a fait insérer dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences, tome CII, p. 715 (séance du 22 mars 1886), et dans laquelle il dit avoir présenté la première justification mathématique du système tétraédrique. On y trouve, en effet, la phrase suivante : « Cette hypothèse (l'hypothèse tétraédrique de L. Green) est justifiée, à mon avis, par ce fait que, de tous les solides réguliers, le tétraèdre est celui qui embrasse le plus petit volume sous une surface donnée et qui, par conséquent, impose à l'écorce le minimum de contraction ». Et M. Lallemand ajoute, en note, qu'il a obtenu une vérification expérimentale de ce principe en faisant progressivement le vide dans des ballons de caoutchouc. Puis vient un résumé de la théorie de Green, suivi de quelques considérations à l'aide desquelles M. Lallemand établit que : « les tremblements de terre, comme les volcans, ne seraient qu'un phénomène secondaire, révélateur du travail incessant qui se produit dans l'intérieur de l'écorce. C'est à peu près exact, et à condition de dire que le phénomène sismique est, non pas la conséquence ou l'indice, mais le processus du phénomène oro génique, dont le volcanisme lui, est la conséquence, on a un principe qui, à l'heure actuelle, est un des fondements de la géologie mécanique, mais qui n'était pas nouveau en 1886 (V. le Traité de Géologie de M. de Lapparent, éd. de 1885, p. 541). Ce principe est d'ailleurs tout à fait indépendant du système tétraédrique ou de toute autre théorie morphologique du même genre. Quant à l'argument mathématique en faveur du système tétraédrique, tout le monde savait (V. Lapparent, op. cit., p. 1459), et nous le reconnaissons bien volontiers, que M. Lallemand avait énoncé ou en tout cas appliqué le premier à la forme de la Terre la propriété en question du tétraèdre. On nous accordera cependant que cette application avait besoin d'êtré précisée, ne fût-ce que pour montrer le fondement qu'elle trouve dans l'histoire astronomique et géologique de la Terre et des planètes en général; ou pour éviter de paraître intervertir les termes du problème en considérant comme donnée la surface de la lithosphère, qui est précisément la variable, tandis que la donnée, à chaque instant, est le volume du noyau; ou encore, pour ne pas parler de contraction de la lithosphère, puisque cette contraction, fonction du refroidissement, ne pourrait être enrayée, à supposer qu'elle dure encore, que par le maintien de la forme sphérique qui donne le minimum de surface rayonnante, tandis que ce dont il s'agit, le plissement de l'écorce, est un phénomène à tous points de vue différent. M. Lallemand voudra bien nous pardonner ces remarques, faites sans aucune aigreur et destinées exclusivement aux lecteurs.

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