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prendre les grades théologiques. Cette participation du clergé régulier contribua beaucoup à développer les études sérieuses et à propager la science. Nous voyons, en effet, que le plus grand nombre des théologiens célèbres du XIIIe siècle est sorti des ordres religieux. Les Frères Prêcheurs furent les premiers parmi tous les religieux qui enseignèrent à l'Université de Paris. Ils y arrivèrent le 12 septembre 1217, et s'établirent d'abord auprès de l'hôpital de Notre-Dame, devant le palais épiscopal. L'année suivante, ils passèrent à l'église de Saint-Jacques, située dans la paroisse de Saint-Benoît; le territoire de Saint-Jacques leur fut définitivement cédé par Jean, doyen de Saint-Quentin, et par l'Université en 1221 (1). Celle ci était très favorable à l'établissement des fils de saint Dominique, comme nous le voyons par une lettre du pape Honorius III adressée en 1220 aux maîtres et aux étudiants de Paris (2). Le premier Dominicain qui eut une chaire dans la Faculté de théologie fut maître Roland; il commença à enseigner comme maître vers le milieu de l'année 1229; en 1231, l'ordre obtint une seconde chaire dans la Faculté (3). Les fils de saint François d'Assise suivirent de près les Frères Prêcheurs. On ne connaît pas la date exacte de leur arrivée à Paris; cependant il résulte des documents qu'ils s'établirent à Paris entre le 11 juin 1219 et le 20 mai 1220 (4). Leur première maison fut située sur le territoire de Saint-Denys; plus tard ils bâtirent un couvent près de SaintGermain, après s'être fixés dans l'intervalle, pendant un temps très court, dans l'endroit appelé Vauvert (vallée verte) (5). Le premier Franciscain qui occupa une chaire dans la Faculté de théologie fut le célèbre Alexandre de Halès; il commença à enseigner vers l'année 1231 et depuis lors, les Frères Mineurs eurent toujours une chaire dans la Faculté. Les autres ordres religieux qui vinrent encore s'établir à Paris à cause de l'Université, dans le courant du xe siècle furent l'ordre du Val-desÉcoliers, qui suivait la règle de saint Augustin (vers 1229), les moines de Citeaux (vers 1227), les Prémontrés (en 1252), les Carmes (en 1260), les Ermites de Saint-Augustin (en 1259), les moines de Cluny (en 1261) (6). Pour ce qui est du XIVe siècle, nous trouvons dans le Cartulaire des documents concernant les Bénédictins, les ordres de Grammont et des Guillelmites du Mont-Rouge, les Chanoines réguliers, les Servites (Serfs de la

(1) Chartul., I, p. 93, n. 34; p. 94, n. 35; p. 99, n. 42; p. 100, n. 43.

(2) Chartul., I, p. 95, n. 36.

(3) Chartul., I, p. 94, note du P. Denifle au n. 34.

(4) Chartul., I, p. 95, n. 37 avec la note du P. Denifle.

(5) Chartul., I, p. 139, n. 76 avec la note; p. 168, n. 126.

(6) Chartul., I, p. 119, n. 65; p. 109, n. 53; p. 238, n. 214; p. 409, n. 360; p. 405, n. 358; n. 421, n. 375.

sainte Vierge) (1). Le savant éditeur ne publie pas seulement les documents concernant l'établissement de ces différents ordres à Paris, mais encore les statuts et les ordonnances des Chapitres généraux concernant les études; de plus, il donne les notices les plus précieuses sur les maîtres qui en sont sortis.

Parmi tous ces ordres religieux, les plus célèbres pour l'enseignement à l'Université de Paris furent les Dominicains et les Mineurs. La grande influence qu'ils acquirent bientôt après leur arrivée à Paris excita contre eux une vive opposition de la part des maîtres appartenant au clergé séculier. A plusieurs reprises, des luttes ardentes éclatèrent entre l'Université et ces ordres, les Dominicains en première ligne. Une première fois, l'occasion de démêlés longs et véhéments fut une loi édictée par PUniversité en 1252. Elle portait que dorénavant chaque collège de religieux devait se contenter d'un seul maître enseignant et d'une seule école (2). Les Dominicains avaient, depuis la rentrée de l'Université à Paris en 1231, deux chaires, comme nous avons vu; ils étaient les seuls qui se trouvaient dans cette situation; nul doute, donc, que cette loi n'ait été dirigée principalement contre eux. Ils n'entendirent pas se laisser enlever si facilement une position acquise et s'opposèrent vivement à l'exécution du nouveau statut. De là grande lutte entre l'Université et les Frères Prêcheurs, dont l'ennemi le plus acharné fut le célèbre maître Guillaume de SaintAmour (3). En 1256, on voulut terminer le différend par une transaction, à la suite de laquelle les Dominicains auraient gardé les deux chaires, mais à condition qu'ils n'en auraient jamais un plus grand nombre et que leur admission dans la communauté des maîtres et étudiants séculiers dépendrait du bon plaisir de ceux-ci. Cette transaction fut annulée par le Pape Alexandre IV, qui prit la défense des ordres religieux; ce n'est qu'en 1259 que la lutte fut apaisée grâce à son intervention, les professeurs et les étudiants des ordres religieux furent réintégrés dans tous les droits que l'Université avait tenté de leur enlever. Vers la même époque, on voit se préparer une vive opposition de la part d'une grande partie de l'épiscopat français contre les privilèges accordés par les Papes aux Ordres Mendiants, en ce qui concerne la faculté de prêcher et d'entendre les confessions des fidèles. Déjà en 1255, le maître général des Dominicains Humbert en parle dans une lettre à tous les frères de l'ordre (4). L'Université de Paris ne pouvait rester étrangère aux événements qui marquent la suite de

(1) Chartul., II et III, en divers ennroits.

(2) Chartul., I, p. 226, n. 200.

(3) Chartul., I, p. 226-403, passim

(4) Chartul., I, p. 287, n. 250.

cette lutte entre le clergé régulier et séculier; nous trouvons à ce sujet dans le Cartulaire des documents de la plus haute importance (1). Quoique les ordres mendiants aient remporté la victoire dans ces grandes luttes, l'opposition contre eux, qui ne cessait pas entièrement, devait néanmoins nuire à leur influence et à leur développement. Une nouvelle lutte, qui éclata en 1387, leur fut plus funeste encore. Jean de Montesono, Dominicain, avait, dans sa première leçon de maître, avancé différentes opinions qui provoquèrent à juste titre l'opposition de l'Université. La Faculté de théologie formula quatorze propositions énoncées par ce maître, parmi lesquelles quatre qui contenaient que la doctrine sur l'immaculée conception de la sainte Vierge était contre la foi, et le somma de les retirer. Jean de Montesono refusa, même après que l'évêque de Paris lui eut ordonné également de se rétracter. Le maître dominicain vit son opposition appuyée dans son ordre, et une nouvelle lutte éclata entre l'Université et les Frères Prêcheurs, à la suite de laquelle ceux-ci furent exclus de la Faculté de théologie dans laquelle ils ne purent rentrer qu'en 1403. La doctrine erronée de Jean de Montesono ne resta nullement le seul point de discussion dans cette grande lutte; la question du schisme, naguère soulevée, y entra pour beaucoup (2).

A côté des maisons fondées par les ordres religieux, nous trouvons également des collèges pour les membres du clergé séculier et pour les laïques qui étudiaient à Paris. Ces fondations prirent un grand développement dans le courant du xie et du xiv° siècle. Déjà,en 1180, fut fondé le collège des « Dix-Huit » pour fournir le logement à 18 clercs pauvres (3). Le plus important de ces collèges fut celui de la Sorbonne. En 1254, Robert de Douay (de Duaco) et Robert de Sorbonne (de Sorbona) commencèrent à en préparer la fondation par des achats et des donations (4).

En 1257, le roi Louis IX donna à Robert de Sorbonne une maison en vue de cette fondation, qui avait pour but de donner le logement et la pension aux maîtres ès arts qui se vouaient à l'étude de la théologie, et qui manquaient de ressources. Par des legs considérables, ce collège se développa rapidement et devint la maison la plus importante en ce genre. Nous trouvons dans le Cartulaire non seulement les chartes qui concernent la fondation et la dotation du collège, mais encore les règlements et les autres pièces qui concernent l'organisation intérieure. A côté de la Sorbonne, il y eut encore plusieurs maisons semblables : les collèges pour

(1) Chartul., I, p. 267, n. 240; p. 592, n. 508. - II, p. 8, n. 539; p 13 n. 543

(2) Chartul., III, p. 486 ss., n. 1557, 1563.

(3) Chartul., I, p. 49, n. 50.

(4) Chartul., I, p. 270, n. 241; p. 271, n. 241.

les Orientaux, pour les Danois de Saint-Denys, de Navarre, de SaintThomas du Lupara, et d'autres ; elles formaient autant de centres pour le développement de la vie scientifique à l'Université.

Le but que nous nous étions proposé dans ce compte rendu était de montrer les origines et l'organisation de l'Université de Paris, le développement et la marche des études, les circonstances qui ont amené la haute prospérité de la vie scientifique à cette école par excellence des hautes études philosophiques et théologiques du moyen âge. Il va sans dire que dans cette courte étude, nous n'avons fait qu'effleurer une partie des documents et des indications qui se trouvent dans le Cartulaire. Il n'y a pas un seul grand mouvement dans l'histoire ecclésiastique politique et littéraire du moyen âge, qui n'ait trouvé un écho dans l'histoire de l'Université de Paris et, par conséquent, dans les documents qui forment son Cartulaire. De plus nous voyons se refléter dans toutes ces querelles entre les membres de l'Université, dans toutes ces luttes entre celle-ci et différentes institutions ou personnes individuelles, dans toute la vie des étudiants et des professeurs, les mœurs entières du moyen âge, de sorte que le Cartulaire constitue une source de premier ordre pour cette branche la plus moderne et la plus attrayante de l'histoire. On peut dire avec raison qu'aucune publication de documents ne présente tant de variété par rapport aux différents côtés de l'histoire du Moyen Age comme aussi aucune autre ne la surpasse pour la perfection de la méthode et la valeur de l'édi

tion.

Dr J.-P. KIRSCH,

Professeur à l'Université de Fribourg (Suisse).

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Georges GOYAU, André PÉRATÉ et Paul FABRE, anciens élèves de l'École française de Rome. Le Vatican; les Papes et la Civilisation, le Gouvernement central de l'Eglise. Introduction par S. E. le cardinal Bourret ; épilogue, par M. le vicomte E.-M. de Vogüé. Firmin Didot, 1895.

Ce splendide volume, publié récemment par les soins de la librairie Firmin-Didot, contient les documents les plus précieux et les vues les plus larges sur tout ce qui se rapporte à la Papauté et à son rôle dans le monde. Nos lecteurs ont pu apprécier, par le spécimen qui leur en a été donné (1), la valeur des aperçus présentés par M. Goyau, en particulier, pour initier le public à l'action parfois cachée, toujours profonde de l'Église dans les choses humaines. D'autres études, d'un ordre moins élevé, n'en sont pas moins fort intéressantes et instructives. On sait peu, en France, comment vit et fonctionne cet organisme social, d'un genre à part, qui s'appelle l'Église. Qu'est-ce au juste qu'nn consistoire, un conclave, une congrégation romaine? quels sont le rôle et le mode d'action de ces grands corps, juges et gardiens des intérêts religieux? Bien des chrétiens et des hommes de savoir sont sur ce point d'une parfaite ignorance: ignorance regrettable, assurément, qui prépare plus d'un esprit à se laisser surprendre par les déclamations passionnées des ennemis de la foi. On est parfaitement édifié dans un certain monde sur ce qu'on appelle les abus de la cour romaine; on n'en ignore que mieux ce que c'est que la cour romaine; l'ouvrage que nous recommandons à nos lecteurs fera tomber sans doute plus d'une prévention sur ce point.

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L'ouvrage est divisé en quatre sections: 1° Vue générale de l'histoire de la Papauté, de saint Pierre jusqu'à Léon XIII; 2o le Gouvernement central de l'Église : le Sacré-Collège, les consistoires, les congrégations, la secrétairerie d'État, la Propagande, la cour pontificale; 3° les Papes et les Arts, au moyen âge, à la Renaissance, de nos jours; 4° la Bibliothèque Vaticane son rôle et ses diverses transformations, particulièrement sous Léon XIII.

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Chaque section comprend, outre le texte, un grand nombre d'illustrations fort soignées, qui constituent tantôt un document intéressant, tantôt une véritable preuve. Deux gravures au burin, l'une du regretté F. Gaillard, l'autre de son très habile élève Eug. Burney sont les perles de cette édition, pour la perfection et l'intérêt de laquelle la maison Didot n'a rien négligé. D. S.

(1) N° de novembre 1894.

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