Page images
PDF
EPUB

de la patrie dans l'amour intéressé de la paix publique, c'est soimême qu'on recherche et qu'on aime; dans cet amour désintéressé, c'est vraiment au bien commun et au repos de tous qu'on se dévoue (1).

Les gens positifs, les business men, trouveront sans doute bien idéaliste, bien digne d'un métaphysicien et d'un mystique, cette religion du bien commun et de la paix sociale. Je tombe d'accord avec eux qu'elle n'est pas accessible à tout le monde. Il faut, pour être à sa hauteur, certaines qualités natives ou acquises: savoir s'abstraire de la vie matérielle, regarder avec les yeux de l'âme, pour apercevoir au-dessus d'un tas d'individus vulgaires ou mal formés, cette forme et cette beauté suprême de l'être collectif. Il faut même un cœur indulgent non moins qu'un œil lucide: la beauté, la perfection des collectivités n'est pas plus absolue en ce monde que celle des individus, Il faut enfin que l'observateur sache dépouiller les préjugés de son égoïsme personnel ou d'une excessive passion de l'indépendance. Le bon Frère Thomas, avec sa métaphysique et sa sainteté, y a parfaitement réussi.

Sans être le Frère Thomas, et même en demeurant homme du monde, avec tous les intérêts de sa situation, un esprit élevé, un cœur généreux, n'y peut-il pas suffisamment réussir?

C'est juste ici que le régime de la propriété individuelle peut rendre de très nobles services, en préparant un homme à comprendre et à exercer ce dévouement. Cette loi, psychologique et sociale, est souvent rappelée par saint Thomas; de l'amour intéressé d'un bien quelconque, notre volonté raisonnable est naturel-lement portée, si ce bien mérite vraiment son nom, à l'aimer pour lui-même. Les natures d'élite ressentent plus que d'autres ce généreux mouvement; elles ne peuvent s'empêcher, tout en utili- · sant un homme ou un groupe, de considérer la perfection intrinsèque, d'en goûter l'attrait final. Et c'est là une loi sociale aussi. Par elle, l'amour filial reçoit son caractère de piété élevée et grave, dans certaines familles où les soins attentifs d'une éduca

(1) Quæst. Disp. De Virtutibus, 11, art. 2.

tion virilement comprise mettent, sous les yeux des enfants, leur père et leur mère, comme un idéal vivant de force et de délicatesse morale. L'amour de la patrie, lui aussi, ajoute peu à peu la même piété dévouée, à ses premiers mouvements intéressés. Partout, en définitive, si nous ne sommes pas trop incurablement égoïstes nous aimons la société pour elle-même, et pas seulement pour nous. Et comme tout avantage personnel qu'elle nous procure engage sa perfection collective et la manifeste, il nous aide à concevoir un amour désintéressé du tout social, de son bien et de sa paix.

Tel est en particulier, sur l'élite, l'effet de la vie active et laborieuse du propriétaire gérant son bien. Dans ce métier, un homme d'esprit élevé et de cœur généreux reçoit chaque jour un plus grand développement de ses facultés humaines: il lui doit de l'énergie, des connaissances théoriques et pratiques, une domination intelligente sur les forces physiques de son milieu, le sentiment et la joie d'être à sa place dans l'ordre des êtres. Il sent donc tout ce qu'il doit à l'ordre social par où de tels avantages lui sont personnellement garantis chaque jour. Il est donc personnellement stimulé à reconnaître dans la société ce que saint Thomas nomme si justement: « le bien parfait et suprême dans l'ordre humain: « Ultimum et perfectum bonum in rebus humanis (1) ». D'autres avantages l'y portent aussi; mais d'une manière moins intime: la liberté individuelle, la vie de famille, la sécurité de son foyer et de sa rue. Parmi eux tous, la propriété se tient au premier rang, puisqu'elle donne à chacun le moyen direct de conserver, en homme et par soi-même, sa vie humaine: le plus substantiel de tous nos biens.

L'administration et le soin de la propriété individuelle sont donc un puissant moyen d'éducation pour ces « Optimi »; cette aristocratie naturelle dont le propre, selon saint Thomas, est de «gouverner ». c'est-à-dire de promouvoir le bien commun, « par la ver

(1) 1. Politic. I.

[ocr errors]

tu » (1). Je ne veux pas prétendre que ce soit là un portrait avant la lettre du gentleman: ce grand propriétaire rural ou industriel qui sérieusement appliqué à la gestion personnelle de sa fortune, n'est pas moins dévoué aux œuvres du bien public. Mais saint Thomas a nettement perçu la loi originelle et l'essence même du type. Il a vu qu'entre la vertu politique - c'est-à-dire la disposilion raisonnable et généreuse à se dévouer au bien commun- et l'exact accomplissement des charges personnelles de la propriété privée, il y a, chez les meilleurs par nature et par éducation, une relation constante. Le soin de la propriété, par les avantages noblement humains qu'il procure, porte une âme élevée à mieux comprendre l'excellence de l'état social, la supériorité de son bien; et par suite, à mieux s'y dévouer. Puis, la propriété elle-même est aux mains d'un tel homme, l'instrument naturel de ses libéralités, de ses fondations, de ses œuvres. En sorte que, basée sur l'intérêt personnel elle aboutit, aux mains de cette aristocratie du travail utile et dévoué, à provoquer le souci désintéressé du bien commun et de la paix sociale.

L'administration collectiviste de la propriété rendrait, au contraire, ce généreux concours impossible. La société n'offrant plus à chacun ce bien propre cher entre tous, qui est la maîtrise personnelle de son avoir, il serait impossible de lui reconnaître cette dignité, cette valeur, cet attrait éminents, d'une plus parfaite réalisation du bien humain. Loin d'exalter le dévouement, l'altruisme forcé de ce régime d'esclavage universel ne ferait qu'irriter les plus égoïstes et les plus brutales convoitises. Léon XIII, qui a l'habitude de peser tous ses mots, prévoit comme la suite nécessaire de cette «odieuse et insupportable servitude », « la porte ouverte à toutes les jalousies, à tous les mécontentements, à toutes les discordes (2) ».

La gestion individuelle de la propriété privée est donc un bien propre pour l'individu, qu'elle stimule au travail et un bien com

(1) Ia II. q. cv, art. 1.

(2) Encyclique De Conditione opificum.

mun pour la société, dont elle assure la paix; elle gagne tout à la fois à la cause publique les intérêts de la masse et le dévouement de l'élite. Il faut donc que, pour son bien et pour le bien commun, tout homme personnellement maître d'une propriété quelconque, ou aspirant à le devenir, ne la regarde pas uniquement sous l'aspect d'un fermage à percevoir ou d'un coupon à détacher. Il est tenu d'exercer l'administration et le soin de sa propriété : c'est son métier que de gouverner son avoir. Le retour du propriétaire au travail, soit ouvrier, soit patronal, ce serait donc le retour de la propriété individuelle au principe premier d'utilité et de justice qui en consacre le respect dans l'opinion et en assure les avantages à toute la société. Les plus savantes et les plus vraies des thèses sur les bienfaits de la propriété individuelle ont souvent l'apparence de théories chimériques, quand on les confronte avec les faits, tels qu'ils se passent chez nous. Pourquoi? Parce que les bienfaits privés et sociaux de la propriété individuelle sont annulés ou à peu près, lorsqu'aux avantages de sa jouissance, ses détenteurs ont perdu l'habitude de joindre les travaux et les charges de sa gestion.

(A suivre.)

Fr. M.-B. SCHWALM,

des Frères Prêcheurs.

BULLETIN D'HISTOIRE

L'UNIVERSITÉ DE PARIS AU MOYEN AGE (i)

L'Université de Paris était, pendant le Moyen Age, l'institut scientifique. le plus important de l'Europe chrétienne. Toutes les sciences, à l'exception du Droit civil (2), y furent enseignées par les maîtres les plus illustres, et de tous les pays, les étudiants affluèrent vers cette « mère des sciences, cette cité des lettres », pour y trouver, comme dans «< un atelier de la sagesse, les veines pures d'argent et d'or » de la vraie science. L'histoire de l'Université de Paris est, pour ainsi dire, l'histoire de la science ellemême au XIIIe et au xiv° siècle. Surtout les deux Facultés de philosophie facultas artium) et de théologie jouissaient de la plus haute renommée. La première seule comptait, vers la fin du XIVe siècle, environ mille maitres magistri) présents à Paris. Quant à l'importance de la Faculté de théologie, nous pouvons en juger par la lettre que l'Université de Paris adressa, le 4 février 1234, à tous les archevêques, évêques, prélats, et à tous les étudiants du monde chrétien, au sujet de la lutte contre les Ordres Men

[ocr errors]

(1) Chartularium Universitatis Parisiensis sub auspiciis consilii generalis facultatum Parisiensium ex diversis bibliothecis tabulariisque collegit et cum authenticis chartis contulit Henricus Denifle, O. P., in archivio Sedis apost. vicarius, auxiliante Emilio Chatelain, bibliotheca Universitatis in Sorbona conservatore adiuncto. Tom. I (1200-1286); tom. II (1286Auclarum 1350); tom. III (1350-1394). Parisiis, ex typis fratrum Delalain, 1889-1894. Chartularii Universitalis Parisiensis, tom. I, Liber Procuratorum nationis anglicano ( Alemannia) ab a. 1333 usque ad a. 1406. Parisiis, ap. fr. Delalain, 1894. Les quatre volumes suivants du Chartularium continueront, le quatrième et le cinquième, l'histoire générale de l'Université; le sixième et le septième contiendront les documents concernant les collèges séculiers. L'Auctarium comprendra quatre volumes, dont le deuxième reproduira la fin du Liber Procuratorum nationis anglicane, le troisième et le quatrième contiendront les Livres des procureurs nationis gallicanæ et nationis Ficardorum.

(2) L'Université d'Orléans était, pour ainsi dire, la Faculté de Droit civil de Paris.

REVUE THOMISTE. 3 ANNÉE. 44.

« PreviousContinue »