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PROCÈS DE L'HYPNOTISME

LA DÉFENSE

Suite (1)

J'ai montré (1) de quelle manière les hypnotistes se défendent d'être, dans leurs pratiques, les compères de Satan, et comment ils savent répondre aux raisons par lesquelles leurs adversaires voudraient prouver que l'hypnotisme est, dans son essence, diabolique. Mais avoir démontré que l'hypnotisme n'est pas œuvre de diable, ce n'est pas l'avoir suffisamment justifié. Il reste encore à sa charge, si vous voulez vous en souvenir, deux graves, très graves accusations on soutient qu'il est fonciè

rement immoral et malfaisant par nature.

Il pourrait même se faire qu'il nous fût plus difficile d'établir le mal fondé de ce reproche que le mal fondé de l'inculpation de satanisme. Le fait est que je vois plusieurs auteurs paraissant assez disposés à la conciliation, près de s'entendre avec nous sur le chapitre du sommeil provoqué et de la suggestion, qui se redressent en attitude d'intransigeants, sitôt que l'on aborde la question de moralité. Je puis citer, comme exemple, M. le chanoine Ribet, le docte auteur de la « Mystique divine distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies humaines. » Parlant du sommeil provoqué, il avait dit :

<«< Dormir est une fonction régulière de la vie organique. En luimême le sommeil n'excède donc point la nature. Au fond la léthargie artificielle ne diffère pas physiologiquement de la léthargie spontanée. Les procédés mécaniques qui la déterminent, tels que les passes, les compressions, la fixation d'un point précis, le commandement de la voix et la fascination du regard

(1) Revue Thomiste, no de septembre 1895.

nous

réservons la suggestion mentale présentent un rapport physique avec l'effet produit. Il est donc logique d'admettre que le sommeil provoqué par ces moyens est aussi naturel que le sommeil ordinaire (1). »

Un hypnotiste n'aurait pas mieux parlé. Quant à la suggestion, M. Ribet fait, il est vrai, ses réserves à propos de la suggestion mentale et des suggestions à longue échéance, mais il reconnaît de bonne grâce que « la simple direction des pensées et des impressions du sujet endormi s'explique naturellement. » Et il ajoute « Ce phénomène se reproduit dans les rêves ordinaires, où les fantaisies de l'imagination se mêlent aux incidents des réalités ambiantes. Jusque-là, on n'aperçoit rien que de connaturel et d'humain (2). »

Jusque-là aussi tout va bien pour la cause de l'hypnotisme. Mais écoutez la suite. Après avoir défini la suggestion, comme il la comprend, M. Ribet poursuit : La conclusion la plus impérieuse et la plus pressante est qu'il faut tenir la suggestion subie et exercée, passive et active, pour illicite et immorale (3). »

Il paraît bien que, pour le savant écrivain, l'immoralité de l'hypnotisme est plus évidente que son caractère extranaturel. Et telle est aussi la manière de voir de plusieurs autres auteurs, en particulier, du R. P. Touroude (4) et de M. l'abbé Claverie (5), si j'ai saisi exactement la pensée fondamentale de leurs livres. D'après cela, nous serions arrivés à l'endroit le plus dangereux pour l'hypnotisme, et il s'agit maintenant de défendre le point par où il serait le plus vulnérable. Voyons si nous allons y réussir, et si nous avons affaire, ici, à des préventions ou à des raisons.

«La question de la moralité ou de l'immoralité de l'hypnotisme

(1) Journal l'Univers, 30 janvier 1894.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) L'Hypnotisme, ses phénomènes et ses dangers. (5) Etude sur l'hypnotisme.

se résout substantiellement en démontrant qu'il n'est pas permis de renoncer à sa propre liberté morale comme il arrive dans les pratiques hypnotiques. Cette démonstration est faite depuis longtemps et passée en force de chose jugée dans les Codes des nations civilisées. Tout esprit raisonnable sent avec une profonde conviction qu'il n'est pas permis d'éteindre la lumière de l'intelligence ni d'étouffer le jugement de la conscience, parce que l'homme resterait indifférent à vouloir le bien qu'il doit faire et indifférent à repousser le mal défendu. Autant l'obligation de faire le bien et d'éviter le mal est grave, autant est absolu le devoir de ne pas se rendre impuissant à l'un et à l'autre. De là, la condamnation admise par tous de l'ivresse, de l'usage de fumer l'opium ou de boire l'haschisch, et de tout acte qui mette obstacle, même pour peu de temps, à la liberté morale. Il n'est pas d'homme si sauvage qui ne sente l'avilissement et la culpabilité de celui qui, volontairement, se dépouille de son libre arbitre, s'expose naturellement à mille périls matériels et devient capable de toutes sortes de délits; comme si pour lui n'existait plus de loi et qu'il fût changé en brute (1). ».

Ainsi parle le R. P. Franco, et, après lui, tous les adversaires de l'hypnotisme emploient leurs ressources de talent à faire ressortir combien monstrueuse est une pratique qui, « de sa nature, exige le renoncement à la liberté, à la conscience, au jugement intellectuel, rend incapable de choisir librement le bien, de se couronner par conséquent du mérite des bonnes œuvres, et réduit l'homme à l'humiliante condition d'un simple instrument pour commettre toute sorte de crimes, comme s'il n'y avait, pas des lois à observer et des commandements à garder (2). »

Nous voilà en pleine éloquence mais il faut se défier de l'éloquence dans les questions délicates et subtiles qui réclament une observation exacte, et une grande précision dans l'analyse des faits.

Voyons, vous nous dites que l'hypnose enlève, dans les sujets, la liberté, la conscience, la raison en parlant ainsi, entendez

(1) FRANCO. L'Hypnotisme revenu à la mode, traduction de M. l'abbé MOREAU, p. 163. 2) Lettre de Mgr Sancha-Hervas du 19 mars 1888. Trad. du R. P. Couderc, S. J.

vous la faculté, ou seulement l'exercice de la faculté? Entendezvous que l'hypnose tue et supprime radicalement la liberté et la raison, ou simplement qu'elle en suspend les actes?

Évidemment vous devez entendre que le sommeil hypnotique suspend seulement l'activité des puissances et ne les détruit pas. Nous connaissons, en effet, des centaines d'hommes, par le monde, officiers, magistrats, étudiants, professeurs, qui se sont fait hypnotiser dix fois, vingt fois, quarante fois, un grand nombre afin d'expérimenter sur eux-mêmes les effets de l'hypnotisme, et qui, à cette heure, jouissent de leur liberté et de leur raison, tout aussi bien que vous et moi.

Quand donc vous criez à l'anéantissement de la liberté et de la raison par le sommeil hypnotique, malgré l'emphase de vos paroles, vous voulez dire tout simplement: que l'hypnose arrête l'exercice de nos deux facultés maîtresses, pendant sa durée, soit pendant cinq minutes, un quart d'heure, une heure, une journée, si l'on veut.

Cela bien établi, nous vous demandons: Admettez-vous qu'il soit immoral, par soi, absolument et toujours, de se laisser mettre dans un état où l'activité de la liberté et de la raison se trouvent, pour un moment, suspendue?

Si vous admettez que cela soit immoral intrinsèquement, absolument et toujours, le chloroforme empêchant momentanément la pensée et le vouloir libre, vous devrez proclamer intrinsèquement immoral le sommeil provoqué par le chloroforme, et soutenir que la morale interdit, absolument et toujours, au médecin de chloroformiser son malade, en quel qu'état que celui-ci se trouve, quelque opération qu'il doive subir. Condamnez-vous ainsi l'emploi du chloroforme? Non, vous déclarez au contraire qu'il est permis de s'en servir« dans les cas de grave nécessité, et pourvu que l'on s'entoure de précautions nécessaires (1) ».

Dans les cas de grave nécessité, et les précautions nécessaires étant prises, il n'est donc pas immoral de se laisser mettre dans un état qui comporte la suspension momentanée de la raison et de la liberté.

Dans les cas de grave nécessité, et les précautions nécessaires

(1) L'Ipnotismo tornato di moda, p. 168.

étant prises, le sommeil hypnotique n'est donc pas immoral, au moins de ce chef qu'il nous prive de la liberté et de la raison.

Comme on le voit, ce premier argument des adversaires repose tout entier, suivant la remarque fort juste de M. le D' Grasset, sur << une exagération qui dénature complètement l'essence et la portée de l'hypnotisme (1) ». Il n'en subsiste plus rien, devant cette simple observation : L'hypnose, de soi, laisse intactes nos puissances de raisonner et de vouloir, elle ne fait que suspendre, pour un moment, leur exercice.

Mais l'on insiste: quand bien même il faudrait accorder que l'hypnose ne mutile pas l'âme humaine, il n'en reste pas moins vrai que le sommeil hypnotique, par rapport à la morale, expose le sujet aux plus grands dangers. « L'hypnotiseur prend sur le sujet un empire à peu près absolu. Il peut donc lui suggérer toute sorte de pensées, de paroles et d'actions : cela fait, certains cas exceptés, assez rares d'ailleurs, où le sujet, par suite des habitudes générales de la vie, oppose comme une résistance instinctive à l'acte proposé, la suggestion s'accomplira fatalement, quelle qu'en soit la nature et quel qu'en soit l'objet, qu'il s'agisse d'assassiner un homme ou de le livrer à des passions honteuses. Qui ne voit à quel danger l'hypnotisé s'expose? Comme l'esclave antique, devenu la chose de son maître, il devient, lui aussi, la chose et l'instrument de son magnétiseur (2). »

Voilà qui prouve très bien que l'hypnotisme est dangereux; mais s'ensuit-il de là qu'il soit immoral ? Non, car tout ce qui est dangereux n'est pas immoral. Pour condamner absolument l'hypnotisme, il faudrait encore établir que les dangers qu'il présente ne peuvent absolument pas être conjurés. Or, ils le peuvent être aisément. M. Beaunis nous en indique le moyen bien facile. « Il faut, dit-il, et c'est là une règle dont on ne doit jamais se départir, que

(1) Ces paroles sont tirées d'une étude composée par M. le Dr Grasset et intitulée : l Hypnotisme et les Médecins catholiques. La science et les convictions religieuses de l'éminent Professeur de médecine, universellement reconnues, rendent son écrit doublement précieux et utile ; et je ne saurais assez lui exprimer ma reconnaissance, soit de la communication qu'il a bien voulu m'en faire, soit de l'autorisation de m'en servir qu'il m'a accordée sigracieusement.

2 F. CLAVERIE, Étude sur l'hypnotisme, p. 70.

REVUE THOMISTE. 3o ANNÉE. 39.

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